Emmanuel Hirsch Professeur émérite d’éthique médicale
Publié le 13 septembre 2022
Alors que le chef de l’Etat devait préciser les modalités de la convention citoyenne sur la fin de vie, le professeur émérite d’éthique médicale Emmanuel Hirsch s’interroge, dans une tribune au « Monde », sur l’opportunité de relancer un débat qui divise la société.
Il ne s’agit pas tant de légiférer sur l’euthanasie que de penser ensemble un modèle de société favorable à une vie digne d’être vécue jusqu’à son terme, respectueuse des préférences et des droits de chacun, attentive à éviter les discriminations et donc inspirée des valeurs de notre démocratie. Notre vigilance concerne tout d’abord ceux que nous abandonnons en pleine vie et qui parfois revendiquent le droit à la mort, faute d’être reconnus dans la plénitude de leurs droits à la vie.
Convient-il de déterminer des critères de priorisation entre personnes justifiant ou non d’un dispositif légalisé de mort médicalisée, cette déprogrammation du droit de vivre, au motif que nous n’acceptons plus de leur reconnaître une place parmi nous ?
Y avait-il opportunité et urgence à faire aujourd’hui de l’euthanasie l’objet d’un débat, au moment où tant d’autres enjeux décisifs imposent leur agenda dans un contexte d’incertitude et de fragilisation de notre démocratie ? Est-ce ainsi que nous pourrons nous rassembler et nous renforcer pour raviver les principes du vivre-ensemble, notre bien commun et refonder notre République ?
Dissimuler le meurtre sous des arguments médicaux
Faut-il désormais légaliser l’euthanasie – l’acte de mort sous forme d’injection létale exécuté par un médecin – et estimer que nous serons alors parvenus au terme d’un parcours législatif ? Notre confrontation personnelle à la mort sera-t-elle enfin apaisée et digne des valeurs de notre démocratie ? Pourrons-nous affirmer que nous aurons instauré une méthode du « bien mourir » là où les conditions du « mal mourir » hantaient notre conscience collective, sans avoir la lucidité de reconnaître que, face à la maladie grave ou à un handicap qui altère l’autonomie, c’est le sentiment de « mort sociale » qui incite bien souvent à préférer anticiper la mort plutôt qu’à poursuivre une vie ou une survie indigne d’être vécue ?
Considérer que certaines circonstances exceptionnelles devraient justifier une approche au cas par cas de l’aide active d’un médecin pour mettre un terme à l’évolution inexorable de souffrances relève-t-il d’un droit transposable dans un texte de loi ou plutôt d’une démarche concertée, insoumise à des procédures, quelles que soient les règles censées les prémunir de toute dérive ? Lorsqu’en humanité et en responsabilité une personne malade décide avec ses proches et l’équipe soignante qu’il est vain de poursuivre un traitement et que la qualité de l’existence à vivre encore prime sur une obstination déraisonnable, ce choix de vie n’est pas assimilable au choix de la mort. Soins de vie, les soins palliatifs incarnent cette présence à l’autre, cette vigilance bienveillante et cette compétence qui le reconnaissent dans la plénitude de ses espérances, de ses choix et de ses droits. Rien à voir avec une « assistance médicalisée active à mourir », assimilable à une décision délibérée, et donc intentionnelle, de débranchement ou de déconnexion de la vie qui dissimule le meurtre sous des arguments ou des justifications d’ordre médical.
Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances que certains ne supportent plus et qu’il nous faut dénoncer. Doit-on pour autant se résigner à admettre, sans y apporter les évolutions indispensables, le constat de carences institutionnalisées à l’égard des plus vulnérables en établissement comme au domicile ? N’aurait-on pour seule réponse ou « solution » digne de notre démocratie que de se préoccuper davantage des conditions de leurs fins de vie que de leur existence parmi nous ?
Envisager de légaliser l’euthanasie, de considérer l’acte compassionnel de tuer autrui comme l’ultime expression de nos solidarités, suscite des controverses et apparaît comme une transgression. Est-il tolérable d’estimer adaptable l’interdit de tuer, au motif que la demande d’assistance dans la mort serait légitimée par un choix personnel et encadrée par une procédure médico-légale ? Le suicide médicalement assisté serait-il préférable à l’euthanasie ?
D’autres défis plus immédiats
Dès lors que l’on défend les droits de la personne affectée de souffrances psychiques ou atteinte d’une maladie d’Alzheimer, voire trop âgée pour avoir envie de poursuivre son existence et y trouver encore un sens, à bénéficier de l’ultime libération d’une mort octroyée par un médecin, dans quelles circonstances pourra-t-on s’opposer demain à un droit qu’aucune autorité ne sera plus en capacité de circonscrire et d’encadrer ?
Si s’imposait le modèle de cette mort digne parce que volontaire et maîtrisée, indolore et médicalisée, comprendrait-on encore demain la volonté de vivre sa vie, y compris en des circonstances considérées par certains « indignes d’être vécues » ? Saurons-nous alors contribuer collectivement à l’émergence et à la diffusion d’une autre culture de la fin de vie, bienveillante, solidaire, responsable, à distance des peurs, des suspicions, opposée aux méprises et aux injonctions idéologiques ?
Il nous faut également être attentifs à éviter que des argumentations qui prétendent apporter une caution éthique à ce que serait une loi d’exception ne prévalent dans l’arbitrage de décisions dont j’estime qu’elles ne constituent pas aujourd’hui une urgence politique. On peut même suspecter qu’elles visent à nous détourner d’autres défis immédiats, comme celui de permettre aux professionnels de santé d’assumer un soin digne dans un contexte de précarisation de leurs pratiques et de délitement de notre système hospitalier.
S’il s’agit de respecter le droit des personnes malades jusque dans les conditions de leur mort, engageons ensemble cette approche renouvelée de la démocratie en santé qu’insulte aujourd’hui l’actualisation d’une concertation nationale sur la fin de vie en vue de légitimer l’euthanasie là où la santé publique relève d’autres priorités et d’autres expressions de la solidarité. Nous méritons mieux que l’euthanasie par compassion !
Emmanuel Hirsch est professeur émérite d’éthique médicale, université Paris-Saclay. Il est auteur notamment de Faut-il autoriser l’euthanasie ? (First, 2019) et de Vincent Lambert. Une mort exemplaire ? (Cerf, 2020)
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