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mercredi 22 juin 2022

TDAH, un trouble surreprésenté en prison

Par   Publié le 21 juin 2022

Un quart des personnes incarcérées présenteraient un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Il passe bien souvent inaperçu face à d’autres pathologies psychiatriques et à un personnel pénitentiaire débordé.

Les données scientifiques sur la prévalence en prison des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) donnent le vertige : une méta-analyse internationale de 2015 assurait qu’un quart des détenus en seraient porteurs, sur la base d’entretiens cliniques diagnostiques – une proportion dix fois plus élevée que dans la population générale adulte. D’après une autre méta-analyse de 2015, qui agrégeait neuf études portant sur plus de 15 000 individus, « les personnes atteintes de TDAH dans l’enfance courent un risque deux à trois fois plus élevé d’être arrêtées, condamnées ou incarcérées à l’âge adulte », notamment pour des vols, des agressions ou des délits liés à la possession d’armes ou de stupéfiants.

Trouble du neurodéveloppement encore méconnu, le TDAH se définit par des symptômes cliniques tels que l’hyperactivité physique ou mentale, un défaut d’attention et une forte impulsivité – l’intensité varie selon les personnes. Violences, addictions, mauvaise gestion des émotions et difficultés à conserver un emploi stable peuvent conduire de nombreux jeunes et adultes porteurs d’un TDAH à basculer dans la précarité et la délinquance.

Anthony (le prénom a été modifié) a été incarcéré pour quatorze mois à la maison d’arrêt de Tours pour avoir conduit sans permis. Diagnostiqué avec un TDAH trois mois après son arrivée, l’homme de 31 ans reconnaît « ne pas avoir réfléchi aux conséquences » de son acte. C’est sa quatrième condamnation, les précédentes, pour des affaires de vols et de recels, lui avaient valu des peines fermes accompagnées de sursis. « Anthony a mis du temps à accepter son TDAH, explique le docteur Jérôme Bachellier, psychiatre au sein de l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de la maison d’arrêt de Tours. Son impulsivité n’était pas un problème à ses yeux et représentait même une force. Il ne faisait pas le lien avec ses passages à l’acte délictueux. C’est pourtant un facteur-clé chez les détenus. »

Le diagnostic peut représenter un soulagement et les consultations une source de réconfort chez les personnes incarcérées. « Ça fait du bien de savoir pourquoi je pète les plombs parfois, et de poser un nom dessus », assure Erwan (le prénom a été modifié), 41 ans, condamné pour la quatrième fois pour des faits de harcèlement moral et diagnostiqué à son arrivée. « Je me suis livré au docteur Bachellier comme à personne d’autre, confie, de son côté, Anthony. Il est calme, gentil. » Après un silence, Anthony poursuit : « Il me comprend, m’explique comment je fonctionne, me conseille. »

Depuis plusieurs mois, Anthony prend du méthylphénidate – un psychostimulant prescrit dans le cadre du TDAH pour réguler l’impulsivité et optimiser la concentration. « Je suis toujours speed, mais moins impulsif, témoigne-t-il. Même mon codétenu dit que j’ai changé et que je prends davantage mon temps. » Tout en se tripotant les doigts, il affirme se sentir mieux. « Il est temps de prendre ma vie en main, j’ai des gens derrière » : en couple, avec deux enfants à charge, il veut se marier et projette de s’installer en tant que paysagiste.

Problème de sous-diagnostic

Selon le ministère de la justice, en 2016, 31 % des sortants de prison ont de nouveau été condamnés l’année de leur libération, dont 79 % à des peines de prison ferme. « Les troubles psychologiques ou psychiatriques identifiés pendant la détention sont associés à un surrisque de récidive », est-il précisé.

Or, une étude fondée sur les données nationales suédoises montre que les taux de récidive pour des infractions avec violences sont réduits de 42 % lorsque les personnes sont traitées par antipsychotiques, psychostimulants ou pour des troubles de la dépendance, en comparaison avec des phases sans médicaments. Une autre étude relève un taux de condamnation pénale réduit de 41 % chez les femmes et de 32 % chez les hommes traités pour un TDAH, sur une période de trois ans.

« Il y a un vrai problème de sous-diagnostic de ce trouble en prison, alerte le docteur Bachellier. C’est une perte de chances pour ces détenus, alors qu’on pourrait se servir de leur incarcération pour amorcer une prise en charge. » Il suggère l’instauration d’un autoquestionnaire soumis aux arrivants, qui pourrait alerter le personnel soignant.

Car le TDAH n’est pas évident à appréhender et il est difficile de faire la part des choses pour les médecins. « Les détenus se contiennent souvent pendant les consultations, explique le médecin. Si on ne le cherche pas, on risque de passer à côté. » Les entrants arrivent en prison après des parcours de vie chaotiques et violents, bien souvent en rupture familiale, sociale ou de soin. Sans compter les comorbidités associées au TDAH qu’ils peuvent avoir développées – addictions, troubles de l’humeur, du sommeil ou anxieux –, qui compliquent le diagnostic. Enfoncé dans sa chaise, Anthony confie avoir été dépendant à la cocaïne pendant quinze ans. Selon les études, la prévalence des addictions chez les adultes avec un TDAH varie entre 10 % et 30 %.

Pour l’heure, les détenus sont vus par un médecin pour un bilan de santé global à leur arrivée. Rémi, infirmier psychiatrique au sein de la maison d’arrêt de Tours, assure qu’au moins un membre du dispositif de soins psychiatriques (DSP) voit ensuite les nouveaux détenus dans la semaine de leur arrivée, toujours avec leur accord, malgré deux entrées par jour, et jusqu’à huit le week-end. « On essaie de faire un dépistage précoce d’une pathologie ou d’identifier si le patient souffre d’un syndrome réactionnel à la détention »,précise-t-il. Pourtant, « ce type de proposition de consultation n’est pas généralisé dans tous les établissements »souligne un rapport des inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) de 2015.

Refondre le modèle de financement

Avec une dotation de 4,5 équivalents temps plein au sein de la DSP, la maison d’arrêt de Tours – 245 détenus pour 130 places – fait presque figure d’exception. Selon le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ, 15,5 % des postes budgétés en psychiatrie ne sont pas pourvus en USMP, et 50 % de ces unités ne bénéficient d’un psychiatre qu’au maximum deux jours par semaine. L’accès aux soins ambulatoires des prisonniers est, de fait, inégal sur le territoire. Au déclin de la démographie de psychiatres s’ajoute le manque d’attractivité de cet exercice en prison. « La crise que traverse la psychiatrie en milieu pénitentiaire est à l’image de celle que connaît le reste du secteur sur le territoire », estime la docteure Pascale Giravalli, psychiatre à Marseille et présidente de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

D’autant que, bien souvent, les postes correspondent à des vacations ou à des temps partiels et la densité de soignants est fixée par rapport au nombre de places théoriques d’une prison et non à son taux d’occupation réel. Alors que la France connaît une surpopulation carcérale sans précédent, les délais de consultations s’allongent.

Le problème n’est pas récent : selon une étude épidémiologique de 2004, huit détenus sur dix présentaient au moins un trouble psychiatrique plus ou moins sévère – un chiffre à préciser toutefois, dans la mesure où l’anxiété et la dépression peuvent être générées par l’incarcération, et où les dépendances à l’alcool et aux substances psychoactives étaient aussi prises en compte. « Ma préoccupation depuis des années consiste à repérer les patients psychotiques qui sont en rupture de soins et qui arrivent dans un état très inquiétant, explique la docteure Giravalli. Si je suis seule pendant une demi-journée par semaine tous les quinze jours, le TDAH ne sera pas ma priorité. »

Contactée, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) assure qu’une « refonte du modèle de financement des USMP est en cours et tiendra (…) compte d’autres critères comme le type d’établissement, la taille réelle, le taux de rotation par place »… Un rapport de 2018 présenté à l’Assemblée nationale recommandait la définition d’un ratio minimal de soignant en psychiatrie par détenu.

Méconnaissance du trouble par les soignants

Au-delà du manque de personnel, le docteur Bachellier insiste : « La prison manque de gens formés au repérage du trouble. » Il s’y est intéressé de lui-même, alors qu’il exerçait au sein d’un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) et recevait de nombreux patients qui se sont révélés en souffrir.

« Le milieu carcéral n’échappe pas à la méconnaissance des troubles du neurodéveloppement par les soignants, en particulier les médecins », reconnaît Claire Compagnon, déléguée interministérielle auprès du premier ministre et chargée de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement. Depuis la récente réforme des études de médecine, la connaissance du TDAH a été intégrée au tronc commun des programmes. Rien n’a, en revanche, été prévu pour les personnels soignants intervenant en prison déjà en activité.« Nous allons devoir y travailler de manière plus importante »,admet Claire Compagnon.

Les soignants en détention seraient pourtant demandeurs de formation. Mais ils sont débordés et épuisés, comme le soulignait le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son avis relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux de 2019. « On en revient toujours à la question des moyens et du temps humain », commente le docteur Bachellier.

« Pour l’instant, nous ne fonctionnons que sur la molécule »

Une fois le diagnostic posé, « que pouvons-nous proposer comme suivi thérapeutique ?  », s’interroge Pascale Giravalli, dans un contexte de manque de soignants et de transferts possibles de détenus vers une autre prison qui entraîne parfois une rupture de prise en charge. Car celle-ci ne se limite pas à la prescription d’un psychostimulant. « Les médicaments pour le TDAH réduisent les symptômes [mais] ne guérissent pas le trouble et (…) des traitements non pharmacologiques concomitants sont presque toujours nécessaires pour aider le délinquant à gérer les problèmes liés au TDAH et à améliorer son comportement », souligne un article paru, en 2018, dans la revue BMC Psychiatry.

Certains détenus refusent, par ailleurs, le traitement médicamenteux qui peut leur être proposé. « Ils en ont une vision négative et disent ne pas vouloir être “cachetonnés” ou stigmatisés auprès des autres détenus », explique le docteur Bais, psychiatre au sein de l’USMP de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne, dans l’Hérault.

Les auteurs de l’article, membres du United Kingdom ADHD Partnership, recommandent une prise en charge multimodale adaptée aux détenus, incluant des groupes de psychoéducation et des thérapies comportementales et cognitives courtes afin, par exemple, de mieux gérer l’intensité de leurs émotions.

« Pour l’instant, nous ne fonctionnons que sur la molécule, déplore le docteur Bachellier, qui essaie de voir ses patients une fois par mois au minimum. Il y a une vraie complémentarité avec les interventions des psychologues. Le médicament n’est jamais qu’un tremplin qui permet aux patients de saisir tous les enjeux d’une thérapie et de développer des outils pour apprendre à mieux se gérer. » Cela rend possible, à terme, la diminution des doses, voire l’arrêt du traitement, « encore faut-il s’y préparer dès l’instauration du médicament ».

En outre, les détenus se retrouvent pour beaucoup en rupture de soins à leur libération. Erwan doit bientôt sortir. Traité depuis plusieurs mois par méthylphénidate, il assure vouloir continuer le traitement, qui le rend « plus calme ». Pour des raisons judiciaires, Erwan doit trouver un nouveau médecin traitant, en attendant d’être pris en charge dans un Csapa ou un centre médico-psychologique (CMP). Le fonctionnement par secteurs géographiques de ces structures complexifie ses démarches, car il n’a plus de logement.

Les CMP sont débordés et les délais pour obtenir un rendez-vous peuvent atteindre plusieurs semaines, voire des mois. A ce sujet, la DGOS garantit que 400 personnels non médicaux seront recrutés sur trois ans dans les CMP. Quant aux médecins traitants et aux psychiatres libéraux, pour les détenus qui en auraient les moyens, beaucoup ne prennent plus de nouveaux patients. « La filière est engorgée, déclare le docteur Bachellier. Alors, je bricole… »


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