par Florian Bardou publié le 18 juin 2022
Pour sculpter son corps, Maël a longtemps enchaîné les régimes amincissants, couplés à la fréquentation assidue d’une salle de sport. Il a aussi un temps consulté un diététicien. Mais pas de quoi garantir des «bénéfices à long terme». Alors pour «réapprendre à manger et équilibrer ses repas», le trentenaire, végétarien, s’est tourné l’été dernier vers un coach en nutrition repéré sur Instagram. L’objectif : se sentir attirant et retrouver confiance en lui. «J’aurais pu trouver les bases dans des bouquins mais j’avais la flemme et surtout l’envie d’être accompagné pour ne pas faire de faux pas», justifie le consultant en communication.
Le programme – trois mois de suivi hebdomadaire pour 140 euros mensuels – est mené à distance par un coach niçois. Maël doit d’abord lire toute une documentation sur l’alimentation et surtout réaliser des exercices. «Je devais prendre mes mensurations et mon poids une fois par semaine, avec des photos pour que le coach voie l’évolution physique. Je notais aussi mes impressions, mon rapport à la bouffe, au sport et mes envies, poursuit le Parisien. Lui se rendait dispo sept jours sur sept et distribuait ses conseils. Même au resto, tu pouvais lui envoyer le menu.» Et, selon Maël, les résultats ont vite été probants, malgré les «limites» de la prestation. «J’étais en burn-out et mon coach me donnait des conseils du style “carpe diem”. Il n’était clairement pas psy», conclut-il.
«Il y a un réel besoin d’être écouté»
A 33 ans, Vivian a déjà été coaché trois fois, mais pour des raisons purement professionnelles. La première fois, son ex-employeur, une grande banque, l’y a gentiment invité «pour une prise de poste managériale». «J’y suis allé un peu à marche forcée car c’était imposé par l’entreprise, mais très vite ça m’a permis de prendre du recul sur mon action et ce que je voulais être au travail», se souvient Vivian, désormais dans l’associatif. C’est d’ailleurs pour changer de boulot qu’il a ensuite suivi un programme de coaching «en transition de carrière». «La coach m’a aidé à trouver du sens au travail, à comprendre ce que je recherchais et pourquoi, raconte-t-il au téléphone. Aujourd’hui, je sais pourquoi je travaille dans mon association.» Avant sa prise de poste, il a de nouveau sollicité cette professionnelle, en qui il avait toute confiance (six séances pour 660 euros au total), afin de définir les contours de son nouveau job. Quitte à y recourir de nouveau dans sa vie personnelle ? «Je fais la différence entre le pro et le perso : je n’ai pas envie d’avoir un gourou qui me dise quoi faire, or un coach a une influence sur ce que l’on fait,affirme encore Vivian. Mais ça m’a donné envie de suivre une thérapie.»
A l’instar de Maël ou Vivian, les Français sont toujours plus nombreux à solliciter les services d’un coach. Et pour toutes sortes d’objectifs. Se (re) mettre au sport ou monter sa boîte, mais aussi arrêter de fumer, perdre du poids, mieux dormir, s’épanouir dans sa vie amoureuse, déjouer l’échec scolaire, apprendre à gérer un enfant difficile ou consulter les astres. Le leitmotiv ? Mettre de l’ordre dans sa vie, reprendre conscience ou maîtriser son image. Le graal ? Trouver le bonheur. A leurs côtés, ces guides – dont il n’existe aucune estimation du nombre, la profession n’étant pas réglementée –, ni thérapeutes ni consultants, facturent un accompagnement personnalisé à durée déterminée et souvent onéreux. Soit plusieurs centaines d’euros pour une dizaine de séances d’une heure, face à face ou en visio.
«Il y a un réel besoin d’être écouté, d’être motivé et d’aller chercher des encouragements dans une société très individualiste, soutient Marie Vegas, 42 ans, consultante et coach en rangement au Mans (Sarthe).L’idée d’un coaching, c’est d’être accompagné pour atteindre ses objectifs quand on sait que ça va être dur. C’est ce qui fait que ça rencontre un succès incroyable.» Depuis deux ans, après vingt ans dans le tourisme puis l’e-commerce, cette professionnelle de l’organisation (à domicile comme en entreprise) accompagne, façon Marie Kondo, les personnes en difficulté pour trier un placard, vider un grenier ou gérer un déménagement stressant.
«C’est facile et dynamique»
Marie Vegas propose toujours une première visite de «diagnostic» et ne fait que du sur-mesure (soit 200 euros la demi-journée pour désencombrer un dressing). «Je range avec les gens, mais je ne prends pas de décision à leur place et tout passe par le questionnement : le choix de se séparer d’un vêtement, par exemple, n’est jamais anodin, détaille la coach, par ailleurs adhérente de la Fédération francophone des professionnels de l’organisation, qui compte 150 membres. Le rangement est un outil pour accompagner des processus de deuil ou de transformation, c’est donc un métier d’accompagnement psychologique.» Au point de ringardiser les psys ? D’abord apparu dans le monde du sport et au travail outre-Atlantique dans les années 70, le coaching s’est récemment étendu au juteux marché du bien-être et du développement personnel à la sauce californienne. Il repose sur des méthodes hétéroclites (de l’analyse transactionnelle à la méditation, en passant par la communication non violente), développées dans d’innombrables livres auxquels s’ajoutent aujourd’hui des applications censées permettre de régler une situation donnée à brève échéance, mais peu éprouvées scientifiquement. Et, surtout, le coaching repose sur l’idée néolibérale que les individus sont maîtres et responsables de leur destin : comme le décrit la sociologue Eva Illouz dans Happycratie (Premier Parallèle, 2018), il n’appartient qu’à eux de développer leur capital bonheur.
Autrement dit, les coachs permettraient à leurs clients d’agir sur le «comment» (ou le présent) quand les thérapeutes sondent le «pourquoi» (le passé) d’une souffrance exprimée par un patient. «Le coaching de vie explose parce que c’est facile et dynamique, avance Marine, coach de vie de 30 ans. Or en France, aller chez le psy est encore un peu tabou.» Entre la Provence et Mexico, la jeune femme en reconversion, après une formation d’un an en ligne auprès du Serenity Coach Institut, aide ses clients «à avoir plus confiance en eux et se débarrasser de leurs croyances limitantes». «Pour aller mieux avec soi-même, tout le monde n’est pas obligé d’aller creuser les raisons du pourquoi du comment et de déterrer les cadavres», assure-t-elle. Ces promesses de paix intérieure, qui relèvent de la fable pour leurs détracteurs, suscitent un brin de méfiance chez les psys, même si certains revêtent la double casquette.
«Entrepreneurs de bonheur»
Et ce d’autant plus que des abus existent. Dans son dernier rapport, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) note ainsi une multiplication par trois des signalements relatifs à des personnes se revendiquant «coachs» (130 sur 3 000 au total en 2020). Il s’agit là de «leaders charismatiques» qui séduisent via les réseaux sociaux et des vidéos YouTube des âmes en quête de sens, en vantant des méthodes miracles d’épanouissement personnel. Or ces «entrepreneurs de bonheur» vont jusqu’à proposer des séminaires ou des shows dont le prix d’entrée s’élève à plusieurs milliers d’euros et les participants ressortent «vulnérables» et «isolés».
«Le coaching propose de construire un avenir heureux quand la psychologie travaille à résoudre des souffrances. Cela correspond à cette aspiration des contemporains à tabler sur le positif, résume Claire Cheung, 34 ans, psychologue dans le Rhône, un temps coachée pour son projet pro. Mais on ne peut pas attendre du coaching qu’il règle tous les problèmes avec facilité. Cela peut faire perdre confiance en soi ou, a contrario, cela peut donner l’impression que tout est résolu. Or, dans la vie, il n’y a pas de baguette magique.»Et la praticienne de nuancer : «Là où le coaching est intéressant, c’est qu’il permet de mettre les gens en action et de se décentrer au lieu de se regarder le nombril.» «Autrefois, on allait voir le prêtre, aujourd’hui on va voir un coach, analyse de son côté la chercheuse Pauline Fatien (1), professeure associée à Grenoble Ecole de management. On est dans une société d’individualisation où l’on doit se réaliser au travers d’un projet et au travers de soi. Et comme on doit tout entreprendre et qu’on serait tous devenus gestionnaires de nos vies, on a désormais des coachs pour tout.»
Depuis une trentaine d’années, les (grandes) entreprises aussi bien que l’administration publique ont d’ailleurs saisi l’intérêt de ces prestations pour booster la motivation (et la performance) de leur personnel, en particulier de leurs cadres. Pour galvaniser les troupes, pallier les carences d’un manager ou «réveiller les talents», elles font ainsi de plus en plus appel aux services de coachs professionnels – environ 5 000, selon les trois principales fédérations, International Coach Federation (ICF) France, la Société française de coaching et l’European Mentoring and Coaching Council (EMCC) France, pour un marché estimé à une centaine de millions d’euros. Ce sont, selon les travaux de la sociologue Scarlett Salman (2), dans leur grande majorité d’anciens consultants en ressources humaines, formatrices ou cadres de plus de 45 ans et reconvertis à la suite d’un licenciement.
«Un capitalisme au singulier»
Mais là encore les outils, les méthodes ou les pratiques, souvent inspirés de la psychologie et des neurosciences, diffèrent d’un coach à l’autre… «Le coaching en entreprise a ses limites mais, grâce aux fédérations, il est quand même plus structuré : les enquêtes montrent qu’il y a une satisfaction pour les actions de coaching, il ferait du bien, participerait à ce grand mouvement où on s’intéresse à l’individu et son bien-être au travail, observe Sybille Persson, professeure affiliée à l’ICN Business School, à Nancy. Cela n’empêche pas les critiques : on peut y voir une sorte d’entrepreneuriat de soi-même, un capitalisme au singulier dans lequel on charge encore plus la barque du manager.» Et la docteure en sciences de gestion de résumer : «Le coaching répond à un véritable besoin en entreprise tout en nourrissant une industrie du développement personnel qui ne connaît plus de limites.»
D’ailleurs, la multiplication des formations au coaching, pour certaines certifiées par l’Etat, pour d’autres diplômantes, parfois exclusivement en ligne, généralement d’une durée inférieure à un an et le plus souvent à des tarifs prohibitifs, est symptomatique de cette «nébuleuse» lucrative voire opaque. «Il faut s’assurer que c’est a minima une formation certifiante ou diplômante. Il en existe une trentaine, en majorité dans des écoles privées et quelques universités,met en garde la coach lyonnaise Valérie Ogier, présidente du Syndicat français des acteurs professionnels du coaching (500 adhérents). Aujourd’hui, tout le monde peut se dire coach. Mais encore faut-il être supervisé et formé en continu.» A défaut d’être réglementée, la profession gagnerait à être encadrée.
(1) Elle a coécrit avec Jean Nizet le Coaching dans les organisations, collection Repères, La Découverte, 2012.
(2) Aux bons soins du capitalisme, le coaching en entreprise, Presses de Sciences Po, 2021.
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