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samedi 25 juin 2022

L’emprise des écrans sur les enfants, vecteur grandissant de la « pandémie » de myopie

Par    Publié le 25 juin 2022

L’usage des smartphones, des tablettes et des ordinateurs dès le plus jeune âge prend des proportions inquiétantes, selon une enquête Ipsos. Il accélère l’élongation de l’œil, menaçant la moitié de l’humanité de maladies graves.

Chez un opticien, à Paris, en 2008.

Une raison de plus, s’il en fallait, pour éloigner les enfants des écrans. En lançant une campagne de sensibilisation du grand public au fléau planétaire de la myopie, vendredi 24 juin, l’Institut d’éducation médicale et de prévention (IEMP), sis à Lyon, a tiré la sonnette d’alarme. Selon une enquête Ipsos menée du 12 au 22 avril pour le compte de cet établissement privé financé par l’industrie de l’optique et des mutuelles, auprès d’un échantillon représentatif de 3 601 Français, les enfants âgés de 3 à 6 ans consacrent aujourd’hui 3 h 29 par jour à des activités sollicitant la vision de près : livre, smartphone, tablette, ordinateur, jeu vidéo. Cette durée passe à 4 h 03 chez les 7 à 10 ans, à 6 h 54 chez les 11 à 13 ans et à 7 h 28 chez les 14 à 18 ans.

Ces données pourraient d’ailleurs être en deçà de la réalité. « Elles correspondent à l’évaluation qu’en font les parents et sont très probablement sous-estimées », relève Bruno Assouly, fondateur de l’IEMP. Elles confirment surtout le lien entre l’usage des écrans et l’envolée des cas d’anomalie de la réfraction qu’est la myopie, laquelle se traduit par une vision floue de loin et nette de près. « Le temps important consacré aux activités sur écrans sollicite fortement la vision de près, au même titre que la faible exposition à la lumière naturelle, du fait de la diminution des activités en extérieur et de l’allongement de la durée des études qui favorisent le travail intensif de près », explique M. Assouly.

La myopie a certes un caractère héréditaire : le risque chez un enfant serait multiplié par deux si l’un de ses parents est myope et par trois à huit si ses deux parents le sont. Mais les facteurs génétiques ne sont impliqués que « dans 10 % des cas » et jouent un rôle « moins prépondérant » que les facteurs environnementaux, estime l’IEMP. Il y a encore dix ans, le chef du service d’ophtalmologie de l’Hôpital américain de Paris réfutait que le temps passé sur les écrans favorise le développement de la myopie, au motif que cette « théorie », disait-il, ne trouvait, à l’époque, « aucun support scientifique ».

Un phénomène mondial

En 2022, plus personne n’ose tenir de tels propos. « Les enfants d’aujourd’hui regardent plus d’écrans et lisent de plus près qu’avant. Cela induit la contraction d’un muscle qui déforme le cristallin. Pour éviter cela, l’œil va automatiquement grossir et provoquer une myopie », explique le docteur Thomas Jona Wolfensberger, médecin chef à la clinique ophtalmique universitaire Jules-Gonin de Lausanne, en Suisse, établissement sans aucun lien avec l’initiative de sensibilisation prise par l’IEMP.

Cette pathologie peut avoir pour origine une cornée trop courbée ou une opacité du cristallin, mais elle est « essentiellement due » à une élongation excessive du globe oculaire : chez les personnes myopes, l’œil est anormalement allongé, au lieu de présenter une forme sphérique. L’image des objets éloignés se forme, dès lors, sur un plan situé en avant de la rétine, ce qui la rend floue.

Un phénomène mondial sur lequel l’Académie américaine d’ophtalmologie avait attiré l’attention dès 2016, dans un rapport compilant les résultats de 145 études menées auprès de 2,1 millions de personnes sur tous les continents (Global Prevalence of Myopia and High Myopia and Temporal Trends from 2000 through 2050). Ce document avait alors frappé la communauté scientifique, en prédisant que la myopie toucherait la moitié de l’humanité (49,8 %, soit 4,758 milliards d’individus) d’ici à 2050.

Des solutions pour ralentir le phénomène

Pour bien faire, les professionnels répètent qu’il faut absolument empêcher tout enfant de moins de 3 ans d’avoir entre les mains le smartphone de ses parents. Au-delà de cet âge, ils recommandent aux adultes d’imposer à leur progéniture une pause de vingt secondes toutes les vingt minutes, en regardant au loin. « C’est assez compliqué à mettre en œuvre », reconnaît Dominique Bremond-Gignac, cheffe du service d’ophtalmologie à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Cette dernière insiste sur les pathologies que peut générer, à terme, la myopie quand elle n’est ni dépistée à temps ni ralentie. « L’œil de l’enfant n’est pas un œil en miniature et le problème de la myopie dépasse largement la question de la vision elle-même », fait-elle remarquer.

« Entre 1950 et 2050, la prévalence va passer de 15 % à 60 % au sein de la population française » – Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologistes de France

En 2050, 1 milliard d’humains pourraient souffrir d’une myopie supérieure à − 6 dioptries, celle qui occasionne une vision floue à partir de 16 centimètres de distance. Cette population a de grands risques d’être sujette à la dégénérescence maculaire, une dégradation d’une partie de la rétine (la macula), qui peut mener à la perte de la vision centrale après 50 ans. Autres risques, multipliés par trente par rapport à un individu exempt de myopie : le décollement de la rétine, le glaucome à angle ouvert (une lésion du nerf optique) et la cataracte. Le grand public ignore cette réalité.

« Une majorité de Français ne sait pas que plus la myopie démarre tôt, plus elle évolue vite. Plus de huit interviewés sur dix n’imaginent pas que la myopie puisse entraîner des complications allant jusqu’à la cécité », souligne l’enquête Ipsos. Il existe pourtant des solutions pour ralentir le phénomène. S’émanciper autant que faire se peut des écrans, donc. Réduire, aussi, le temps de lecture prolongée à moins de 30 centimètres d’un livre ou d’un magazine. Et sortir au moins deux heures par jour, pour s’exposer à la lumière naturelle.

« Une poussée inquiétante avant l’adolescence »

« La dopamine, un neurotransmetteur produit dans la rétine sous l’effet de la lumière, joue un rôle crucial dans la bonne transmission des images au cerveau et éviterait une croissance excessive de l’œil de la naissance jusqu’à 25 ans », relève Béatrice Cochener, directrice de la faculté de médecine de Brest et présidente de l’Académie française de l’ophtalmologie.

Jusqu’à présent, l’Occident semblait relativement épargné par rapport à certains pays d’Asie, comme la Chine, où neuf enfants sur dix portent des lunettes. Or, les disparités ethniques s’estompent à vive allure. « Entre 1950 et 2050, la prévalence va passer de 15 % à 60 % au sein de la population française, avec une poussée inquiétante avant l’adolescence », alerte Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologistes de France.

Tous ces messages vont faire l’objet d’un affichage de l’IEMP dans les cabinets médicaux, notamment ophtalmologiques et pédiatriques. Un site Internet vient aussi d’être ouvert pour appeler à la vigilance. L’heure est à la mobilisation générale contre ce que certains professionnels comparent, de par son ampleur, à une pandémie.


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