Dernière petite-fille de Sigmund Freud, marquée par le souvenir de la Vienne de son enfance, elle s’était engagée aux Etats-Unis dans l’action sociale auprès des classes défavorisées. Elle est décédée le 3 juin, à l’âge de 97 ans.
« Un homme n’est vraiment mort, disait Jorge Luis Borges, que lorsque le dernier homme qui l’a connu est mort à son tour. » C’est donc à une femme, la dernière petite-fille de Sigmund Freud, qu’est dévolue désormais cette place dans l’histoire du freudisme. Née à Vienne le 6 août 1924, Sophie Miriam Freud, cousine du peintre Lucian Freud, nièce d’Anna Freud et de Sophie Halberstadt, est morte à Lincoln (Massachusetts), à l’âge de 97 ans, le 3 juin.
Fille de Jean-Martin Freud et d’Ernestine Drucker, elle était un personnage hors du commun, viennoise en diable, habitée par un humour féroce. Très tôt, elle souffrit des disputes incessantes entre sa mère – la belle « Esti », détestée par Sigmund – et son père volage et dissipé. Sans compter les relations complexes avec son frère, Anton Walter, intégré dans les armées alliées pendant la seconde guerre mondiale et qui participa, sa vie durant, à la recherche des anciens criminels nazis. Elle en parlera dans un beau livre, A l’ombre de la famille Freud. Comment ma mère a vécu le XXe siècle (Des Femmes, 2006).
« Bénédiction » et « malédiction »
Psychosociologue féministe, assistante sociale, professeure d’université, elle se tenait très éloignée des théories freudiennes, qu’elle contestait radicalement. Elle préférait une approche pragmatique de la misère psychique des classes défavorisées, notamment des femmes célibataires des milieux populaires, auprès desquelles elle faisait merveille quand elle les visitait à califourchon sur sa moto rouge. Sophie Freud entretenait un rapport ambivalent avec la figure de ce grand-père, source de « bénédiction » et de « malédiction », mais dont elle n’hésita pas à reprendre le patronyme, après s’être séparée de son mari, Paul Loewenstein, exilé d’Allemagne, père de ses trois enfants.
Comme toute la famille Freud, elle demeura marquée par l’histoire tragique des deux « vies viennoises » de la Belle Epoque : celle illustre de Freud, celle abjecte d’Adolf Hitler. Le premier allait devenir le penseur le plus renommé et le plus controversé du XXe siècle et le deuxième le plus grand assassin de tous les temps, génocidaire des juifs et destructeur de la psychanalyse, dont la conceptualité permettait de penser l’essence même de la pulsion de mort, au point qu’en 1938, Thomas Mann dira, après l’Anschluss : « La fureur avec laquelle il marcha contre certaine capitale s’adressait au vieil analyste, son ennemi véritable (…) le grand désillusionneur » (Les Exigences du jour, Grasset, 2003, p. 308).
Et c’est à travers cette obsession qu’elle portait en elle sur la Vienne de son enfance qu’il faut interpréter les propos insensés qu’elle tint dans le documentaire de Manfred Becker Neighbours. Freud and Hitler in Vienna (2003) : selon elle, les deux hommes auraient été de « faux prophètes ». Elle n’oublia jamais, malgré ses colères, qu’elle devait la vie à ce « false prophet ». Grâce à lui, et à l’exil de sa progéniture, elle ne fut pas exterminée à Auschwitz.
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