Publié le : 26/05/2022
Dr Philippe Foucras
Plus de 200 brevets déposés sur un seul médicament, c’est un exemple de la stratégie d’accumulation juridique grâce à laquelle les firmes pharmaceutiques accroissent leurs profits au détriment des patients. Bienvenue dans ce monde, légal mais immoral, des brevets éternels.
Elles se targuent d’innovation thérapeutique mais, en réalité, les firmes pharmaceutiques cherchent surtout à maximiser leurs bénéfices. Elles ont ainsi développé une stratégie pour retarder l’arrivée des médicaments concurrents et génériques en prolongeant le plus possible les protections juridiques de leurs produits les plus rentables. Cette stratégie consiste à accumuler des brevets secondaires en créant un « mur de brevets ». Elle a été dénommée evergreening, « toujours verte », telles les plantes à feuilles persistantes qui ne tombent jamais.
Exploiter le plus possible
En théorie, un brevet a pour but de favoriser l’innovation, en rendant publique une découverte ou une invention, et de conférer au détenteur l’exclusivité de son exploitation pour lui permettre d’en tirer profit. Un nouveau médicament fait donc l’objet d’un brevet, accordé pour 20 ans. Au-delà, il tombe dans le domaine public, devient généricable et… les profits s’effondrent. C’est cette durée que les firmes cherchent à allonger par la stratégie de l’evergreening.
Aux États-Unis, il existe une ONG, l’organisation I-Mak (Initiative for medicines access and knowledge), qui étudie l’evergreening et ses conséquences sur la santé publique. En 2018, elle a calculé que, pour les 12 médicaments les plus rentables, la durée moyenne d’exclusivité grâce au brevet est de 38 ans, au lieu des 20 initiales. Le record est détenu par l’Herceptin, un anticancéreux du laboratoire Roche qui a décroché 48 ans d’exclusivité. Sanofi, avec son insuline Lantus, a réussi à bloquer la concurrence pour 37 ans aux États-Unis : son brevet initial tombait en 2015, mais les 74 brevets additionnels prolongent l’exclusivité jusqu’en 2031.
Ces brevets secondaires concernent des procédés de fabrication, des modifications chimiques ou des nouvelles indications. Il s’agit parfois d’un simple changement de posologie ou d’un nouveau conditionnement. La plupart sont déposés au goutte-à-goutte après la mise sur le marché du médicament. Tout est possible, même si le brevet est refusé par la suite, car le temps d’instruction de la demande aura permis de gagner du temps. À l’expiration du brevet d’une molécule, le labo peut aussi déposer un nouveau brevet uniquement pour la partie active de la molécule. En voici un exemple caricatural. Juste avant la fin du brevet de l’oméprazole (Mopral) en 2008, AstraZeneca a breveté l’ésoméprazole (Inexium), partie active de l’oméprazole, et a pu commercialiser avec succès son nouveau produit, tout en dénigrant l’ancien devenu généricable.
Multiplier les procédures
Aux États-Unis, où le prix des médicaments est libre, cette stratégie permet de l’augmenter régulièrement. Ainsi, le Lantus (insuline) a connu une hausse de 114 % entre 2012 et 2016, restreignant de fait l’accès aux soins des malades. En Inde, les labos de génériques sont puissants. Les firmes ont donc déposé beaucoup de brevets dans les années 1990 pour empêcher l’arrivée des génériques des antirétroviraux du sida. Cela a entraîné d’intenses batailles juridiques, les autorités indiennes refusant des brevets qui ne correspondaient à aucune innovation ni aucun progrès réel. C’est un autre intérêt de l’evergreening : la possibilité de multiplier les procédures à l’encontre des entreprises de génériques et/ou de conclure avec elles de juteux arrangements financiers.
Ce procédé des « murs de brevets », considéré par certains comme de « bonne guerre », a pour conséquence une perte de sens du brevet, en dévoyant l’innovation au lieu de la favoriser. Son utilisation débridée dans l’industrie pharmaceutique a des répercussions néfastes pour la santé publique : retard ou impossibilité d’accès aux génériques en particulier dans les pays pauvres, et explosion des coûts du fait de la prolongation des exclusivités.
Les champions de la prolongation indue
En nombre de brevets déposés aux États-Unis
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