Bernardo Mendonça Publié le 27 mai 2022
Avec la pandémie, les maladies psychologiques se sont aggravées. Et certaines personnes en profitent, sans formation en psychologie ou en psychiatrie. En 2021, les plaintes pour usurpation de fonction ont été multipliées par six au Portugal.
En janvier de l’année dernière, Paula Fernandes, 53 ans, une femme au foyer de Maia, Porto, a fait appel aux services de la Clinica da Mente. Elle avait entendu parler à la télévision de l’établissement et de la psychothérapie HBM (human behaviour map – carte du comportement humain), une technique créée par Pedro Brás, son directeur. Elle était convaincue qu’elle allait enfin pouvoir surmonter la dépression dont elle souffrait depuis “plus de vingt ans” et arrêter le traitement prescrit par les psychiatres. “Je me suis dit que j’étais sauvée.”
Or elle a été “obligée” de payer “tout de suite” un pack de consultations. “Ils m’ont mise au pied du mur : ils m’ont dit que sinon je paierais plus cher et j’ai accepté. J’ai dépensé en tout 1 900 euros pour un traitement qui est passé d’hebdomadaire à mensuel en peu de temps.” Le traitement consistait en “conversations avec une psychologue et séances d’hypnothérapie où j’écoutais de la musique”, explique-t-elle.
Elle change de ton quand elle raconte qu’une fois les rendez-vous prévus terminés elle a souffert d’anxiété et a demandé de l’aide. “J’ai eu des crises de panique, j’avais envie de me jeter du balcon. Je dormais quatre heures et je restais éveillée le reste de la nuit. Les médicaments qu’ils m’avaient retirés me manquaient. Mais la psychologue de la clinique a balayé mes plaintes, elle m’a dit que ça allait passer. J’ai fini par faire appel à ma psychiatre, qui m’a stabilisée en me redonnant mes médicaments.”
Paula considère qu’elle a payé pour une illusion qui l’a laissée plus déséquilibrée qu’avant. Selon la psychiatre Inês Homem de Melo, de Porto, ce cas n’est que l’un des nombreux qui sont arrivés en consultation après l’échec d’un traitement alternatif en vue de soigner une dépression ou une autre maladie mentale. “Il y a une grande incompétence dans ce domaine.” Quant à la Clinica da Mente et à la technique de psychothérapie HBM, le médecin ne mâche pas ses mots : “Ils incitent les malades à payer d’avance un pack de consultations au mètre qui coûte des milliers d’euros, comme si c’était la mensualité d’une salle de sport de luxe. Nul ne peut promettre un résultat en x séances à des personnes qui présentent des tableaux cliniques différents.”
Des personnes vulnérables
Elle évoque une affaire similaire que lui a racontée une autre malade. Elle implique une autre clinique, située à São João da Madeira, dans le nord du pays, et un autre directeur, formé à la médecine traditionnelle chinoise. “La malade m’a raconté qu’ils lui ont proposé un traitement pour la dépression d’une valeur de 7 000 euros qui consistait en injections homéopathiques importées d’Allemagne, accompagnées de séances d’électromagnétisme avec un appareil appelé Mora. J’ai été choquée par le prix de cette technique qui ne repose sur aucune preuve scientifique. Désespérée, la dame a réuni toutes ses économies. Ces personnes vulnérables voient une personne en blouse qui se qualifie de ‘docteur’ et tombent dans le piège…”
Inês Homem de Melo dénonce en outre le discours “antipsychiatrique” et “antimédecins” de la Clinica da Mente et de son directeur, qu’elle juge “culpabilisateur pour les malades”. Elle précise : “Pedro Brás affirme que la maladie mentale n’a pas de cause médicale. Il instille chez les malades la culpabilité de ne pas réussir à en venir à bout sans médicaments. Or, il y a des formes de maladie mentale pour lesquelles un traitement pharmacologique est essentiel, la schizophrénie et le trouble bipolaire par exemple. Ce discours peut donc avoir des conséquences dramatiques.”
Contacté par Expresso, Pedro Brás, responsable de formation et psychothérapeute depuis quatorze ans, rejette ces accusations et considère que les prix qu’il pratique sont adaptés à la méthode en cause et dément que sa clinique conseille aux patients de se “sevrer” des médicaments.
Ce n’est pas un cas isolé. L’OPP [ordre des psychologues] a reçu 62 plaintes pour usurpation de titre professionnel dans le secteur de la santé mentale en 2021. Les plaignants dénoncent des personnes qui se déclarent abusivement “psychothérapeute”, “hypnothérapeute”, “coach”, “psychologue” et “thérapeute”. Le nombre de plaintes a sextuplé par rapport à 2020. L’OPP souligne que les sciences psychologiques font appel à des méthodes, des procédés et des techniques reposant sur l’investigation et la preuve scientifique. Il y a cependant des individus qui ne suivent pas ces codes et représentent “une menace pour la santé publique”.
Les sommes considérables à payer
La psychologue et psychothérapeute Isabel Filipe, qui exerce à Matosinhos, au nord de Porto, explique que la pandémie a provoqué l’aggravation de troubles mentaux légers et la multiplication d’entreprises opportunistes ces deux dernières années. “Les services de santé mentale créatifs et déguisés proposés par des personnes n’ayant ni la formation ni les connaissances professionnelles adéquates ont augmenté. Ce qui est grave, parce qu’ils risquent d’aggraver et de déséquilibrer encore plus l’état émotionnel des personnes. Supprimer un médicament ou interférer dans des traumatismes du passé risque de provoquer des dépressions graves ou de conduire au suicide”.
Elle évoque une masseuse exerçant dans un salon de coiffure de Porto qui se qualifie de psychothérapeute “holistique”. “Elle s’est lancée dans le domaine de la santé mentale mais en invoquant des techniques de médecine chinoise. Je ne suis pas contre ces thérapies si elles ne se substituent pas à la médecine ou à la psychologie.”
Pedro Brás, le visage de la Clinica da Mente, contre-attaque. “Tous ces propos viennent de personnes incapables de gérer et de diriger une psychothérapie. Nous sommes la seule clinique du pays qui mesure l’état psychologique des patients, non seulement au début mais aussi à la fin du traitement, avec une efficacité excellente”, assure-t-il.
La clinique suscite des critiques sur Internet, sur le réseau social Reddit entre autres. La plupart portent principalement sur les sommes considérables à payer immédiatement pour la psychothérapie HBM. José (ce n’est pas son vrai nom), 27 ans, ingénieur en informatique, raconte avoir versé 2 100 euros pour un traitement qui consistait à “faire une sieste”, “écouter de la musique de spa” et “répéter un script général”. João, un autre ancien patient de la clinique, rapporte sur le même réseau social qu’on lui a proposé un traitement de 3 500 euros assorti de facilités de paiement. “Ils facturent 200 euros de l’heure la consultation. Je voulais de l’aide et ils m’ont offert un plan pour m’endetter…”
Pedro Brás confirme le tarif de la consultation, qui dure selon lui quatre-vingt-dix minutes, et se targue d’être la plus grande entité privée de santé mentale du pays, avec ses 23 psychologues qui réalisent 20 000 consultations par an. Il balaie les critiques. “À chacun son opinion. Aucune entreprise ne plaît à tout le monde. Est-ce qu’on pratique un prix au-dessus de celui du marché ? Oui. Est-ce que c’est cher ? Non. Le marché veut et a besoin de notre service.”
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire