par Franck Bouaziz publié le 23 mai 2022
Ni hasard ni coïncidence. Le rapport que l’organisation Oxfam publie ce lundi matin se veut en résonance avec le Forum économique de Davos où vont converger cette semaine dirigeants économiques et politiques venus du monde entier. Les 2 500 participants à ce sommet suisse des riches vont vraisemblablement disserter sur les risques de récession mondiale liée à l’inflation et la pénurie de matières premières sur fond de conflit en Ukraine. Avec les grandes envolées habituelles sur «le monde d’après», mais sans doute aucune proposition concrète pour réduire les inégalités qui se creusent d’année en année. Oxfam, dont le fer de lance est la lutte contre les inégalités, a donc choisi au même moment de pointer du doigt ceux qui ont amassé des profits exceptionnels durant la crise sanitaire. Quatre secteurs économiques sont plus particulièrement épinglés. A commencer par l’industrie agroalimentaire, du fait de la hausse significative du prix des denrées l’an dernier : +33,6 % selon l’agence spécialisée de l’ONU, la FAO. Une entreprise en a particulièrement profité : le groupe de négoce alimentaire Cargill qui, avec 4,9 milliards de dollars (4,6 milliards d’euros) de bénéfices nets, a enregistré le résultat le plus profitable de ses 156 années d’existence. Les trois autres acteurs mondiaux du commerce de céréales et de matières premières alimentaires ont, pour leur part, affiché des profits en progression de plus de 50 % en 2021.
Au bonheur des actionnaires
Le secteur de l’énergie, qui a vu ses prix s’envoler comme jamais depuis la fin de la crise sanitaire et avec la guerre en Ukraine, n’est bien sûr pas en reste. Avec la flambée du prix du baril de brut (+ 53 % au cours des douze derniers mois), les majors du pétrole ont amassé d’énormes profits : 82 milliards de dollars de bénéfices cumulés pour BP, Shell, TotalEnergies, Exon et Chevron, selon le décompte effectué par Oxfam. Et sans surprise, l’industrie pharmaceutique est l’autre grande gagnante de la crise sanitaire, à commencer par les deux «Big Pharma» qui ont fourni le plus de vaccins : Moderna et Pfizer /BioNTech. Le premier a enregistré à lui seul une marge de 12 milliards de dollars sur ses ventes de vaccins… Enfin, les géants du numérique ont également surfé sur le Covid-19 du fait du temps accru passé en visioconférence sur les réseaux sociaux ou encore les sites de commerce en ligne : Apple, Microsoft, Tesla, Amazon et Alphabet (maison mère de Google) ont engrangé à eux cinq 271 milliards de dollars de profits, soit 94 % de hausse comparé à 2019, année d’avant Covid.
Ces résultats, note Oxfam font le bonheur des actionnaires des entreprises concernées. L’an dernier, Wal-Mart, la première chaîne de supermarchés sur le territoire américain, a versé 16 milliards de dollars de dividendes, dont la moitié à la famille Walton, premier actionnaire du groupe de distribution. Le fabricant de vaccins Moderna a engendré quatre nouveaux milliardaires parmi ses fondateurs et dirigeants du fait du boom la valorisation de l’entreprise. Quant à la fortune de Jeff Bezos, fondateur et principal actionnaire d’Amazon, elle a augmenté de 45 milliards de dollars en 2020… Au bout du compte, selon Oxfam, la planète compte aujourd’hui 2 688 milliardaires (en dollars), soit 573 de plus qu’en 2020. Tandis qu’à l’autre bout de la chaîne, 250 millions de personnes supplémentaires pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté du fait de la crise sanitaire.
«Taxez-nous !»
Face à ce creusement des inégalités à travers le monde, l’ONG propose une double réponse fiscale. D’abord un impôt sur les bénéfices exceptionnels réalisés par les grands groupes durant la pandémie. Une initiative située dans la philosophie de ce qu’ont imaginé le FMI, l’OCDE et l’UE en suggérant un prélèvement sur les profits exceptionnels des grands groupes énergétiques. En septembre 2020, Oxfam calculait qu’un impôt provisoire de 90 % sur les bénéfices exceptionnels liés au Covid de 32 multinationales, générerait 104 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires. De quoi nourrir et soigner des centaines de millions de gens qui en ont besoin à travers le monde. L’organisation non gouvernementale veut également cibler les milliardaires, qui à l’image d’Elon Musk, Jeff Bezos et Bernard Arnault, ont vu leur fortune s’envoler comme jamais durant la crise, en taxant à 99 % ce qu’ils ont engrangé entre 2020 et 2022. De quoi récolter des dizaines de milliards supplémentaires pour lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde. Mais si un certain nombre de super riches seront présents à Davos à l’image de l’émir du Qatar, peu de chances qu’ils reprennent en chœur le fameux «Taxez nous !» lancé par quelques millionnaires éclairés lors de l’édition en ligne du Forum économique qui s’est tenue en janvier.
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