par Luc Mathieu publié le 23 mai 2022
Emmanuel Macron va-t-il accepter de rapatrier les enfants français et leurs mères détenus dans les camps du nord-est syrien ? Avant sa réélection, il s’y est refusé de manière catégorique, n’appliquant qu’une politique dite du «cas par cas». Aucun enfant n’a été ramené depuis janvier 2021. Mais, maintenant qu’il est réélu pour un dernier mandat, changera-t-il de politique ? C’est l’espoir, ténu, exprimé par les familles, associations, dont deux de victimes du terrorisme, avocats et spécialistes des droits humains dont plusieurs représentants se sont réunis lundi à Paris. «Nous demandons à être reçus à l’Elysée», a expliqué l’avocate Marie Dosé qui défend plusieurs familles toujours en attente du rapatriement de leurs proches. Leurs précédentes demandes n’ont jamais été entendues.
Environ 80 femmes, qui avaient rejoint l’Etat islamique, et 200 enfants sont aujourd’hui emprisonnés au Rojava, le nom que les Kurdes syriens donnent à la région du nord-est syrien qu’ils contrôlent. La grande majorité le sont dans le camp de Roj, à la proximité de la frontière irakienne, où certains sont nés. Quelques enfants et adolescents sont, eux, enfermés dans des centres dits de«réhabilitation» ou dans des prisons. Une dizaine d’entre eux l’étaient dans celle d’Hassaké, attaquée par l’Etat islamique en janvier. Personne ne sait ce qu’ils sont devenus depuis que les jihadistes ont été repoussés.
«Tentes en lambeaux»
Une enquêtrice de l’ONG Human Rights Watch vient, elle, de se rendre dans le camp de Roj. «Elle a parlé à dix enfants français, dont les plus âgés avaient 7 ou 8 ans, a expliqué Bénédicte Jeannerod, directrice de HRW France. Ils vivent dans des tentes en lambeaux, ils sont sales, le visage couvert d’égratignures. Les témoignages sont terribles. Ils manquent d’accès aux soins, ils sont confrontés à des violences et à des abus sexuels.» Des femmes ont raconté comment elles avaient été récemment emprisonnées durant plusieurs mois et avaient dû laisser leurs enfants seuls dans le camp.
Cette situation humanitaire désastreuse n’est pas nouvelle. Le camp de Roj s’est rempli au début de l’année 2019, alors que l’Etat islamique finissait de se désagréger à Al-Baghouz. Les autorités kurdes n’ont jamais caché qu’elles ne souhaitaient pas gérer l’emprisonnement des jihadistes étrangers et de leur famille et ont régulièrement appelé les pays occidentaux à rapatrier leurs ressortissants. Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Belgique les ont entendus. Pas la France, qui n’a ramené que 35 enfants depuis 2019. Elle avait bien prévu un rapatriement de la plupart d’entre eux, ainsi que des femmes et des hommes combattants, mais l’Elysée a reculé au printemps 2019 après la publication d’un sondage défavorable.
Rapatriements dangereux
Depuis, cette politique a été condamnée autant par des organisations internationales, dont le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, que nationales, telle la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). «Nous avons rendu notre premier avis qui demandait le rapatriement en septembre 2019. Je n’aurais jamais pensé que nous en serions encore là plus de deux ans plus tard», a déclaré lundi l’avocat Patrick Baudouin. «Aucun des arguments [des autorités françaises] ne tient à l’examen.»
Pour se justifier, l’Elysée invoque notamment le fait que la France n’a pas d’autorité sur le territoire kurde et que les rapatriements sont trop dangereux à organiser dans une région plus qu’instable, où l’Etat islamique est toujours présent. «Nous avons rapatrié 35 enfants, et d’autres pays le font», a rétorqué Patrick Baudoin. L’avocat balaie également l’argument du «cas par cas» qui ne justifie de ramener que les enfants «les plus vulnérables». «C’est odieux. Tous ces enfants sont dans des états de vulnérabilité absolue. Cela ne tient pas une seconde. Qu’est-ce qui bloque en réalité ? On le sait, c’est le poids de l’opinion publique. Mais si l’on faisait œuvre de pédagogie, si l’on rappelait que le rapatriement se justifie par l’intérêt supérieur de l’enfant, il serait aisé de convaincre qu’il n’y a pas de problème à ramener 200 enfants laissés à l’abandon.»
Alors que les appels se multiplient depuis plus de trois ans, l’association 13onze15 Fraternité et vérité, l’une des deux organisations qui représentent les victimes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, s’est jointe pour la première fois à celui lancé ce lundi. «Ces enfants sont incontestablement des victimes. Pas des attentats mais des errements de leurs parents, a déclaré son président Philippe Dupeyron. Que penseront-ils en grandissant de leur pays qui n’a jamais assumé sa responsabilité ? Il faut s’en préoccuper et les prendre en charge.»
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