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jeudi 23 décembre 2021

Souffrance Covid-19 : en pédopsychiatrie, des vagues d’hospitalisations d’enfants

par Julien Lecot  publié le 21 décembre 2021

Comme à chaque fois que la France fait face à un nouveau pic de contaminations de Covid-19, les pédopsychiatres voient des enfants affluer en masse dans leurs services. Au point de ne pas pouvoir tous les prendre en charge. 

«Ça recommence, ça flambe complètement, on n’est vraiment pas en train de dramatiser.» Sylvie Tordjman, cheffe du pôle psychiatrie de l’enfant du centre hospitalier Guillaume Régnier, à Rennes, est inquiète. Ces dernières semaines, à mesure que les contaminations au Covid-19 repartaient à la hausse, la pédopsychiatre a vu une fois de plus un grand nombre d’enfants arriver dans son service pour de graves problèmes psychologiques. A force, elle se serait presque habituée : vague après vague, ce genre de situation se répète : «On a l’impression que c’est exponentiel, qu’à chaque reprise de l’épidémie le phénomène s’amplifie.»

Sylvie Tordjman étaye son alerte avec des chiffres : à la date du 9 décembre, les urgences de son établissement avaient déjà accueilli pour ce mois autant de jeunes pour des tentatives de suicide ou idées suicidaires que sur l’ensemble de décembre 2019, avant la pandémie. «Cet hiver, c’est pire que tout. On va probablement dépasser notre pic de mars, se désole-t-elle. En un mois, 55 enfants ou adolescents étaient passés dans notre service. Contre 13 pour le même mois un an plus tôt.» Au moment du tout premier confinement. La pédopsychiatre a été surprise par la hausse soudaine des contaminations début novembre. En revanche, elle s’attendait totalement à voir son service de nouveau sous l’eau quelques semaines plus tard : «A chaque fois qu’il y a une nouvelle vague c’est la même chose. On a juste été épargnés durant le premier confinement.»

Car depuis le début de la pandémie, elle a constaté avec ses collègues une forte corrélation entre la dégradation de la situation épidémique et celle de la santé mentale des enfants. Difficile de parler de son hôpital comme d’un cas isolé. Tous les pédopsychiatres interrogés par Libération font le même constat : quand le Covid-19 se fait plus menaçant, que la peur des confinements et restrictions sanitaires planent sur l’Hexagone, les mineurs vont plus mal. «Angoisse, troubles émotionnels, de l’humeur, épisodes dépressifs, passages à l’acte suicidaire… Depuis le début de l’année, la santé mentale des jeunes s’est globalement aggravée. Et à chaque vague, on constate des pics d’hospitalisations et on peine à accueillir tout le monde», note Carmen Schröder, responsable du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Un lien entre pandémie et dégradation de l’état mental constaté aussi aux Etats-Unis et au Canada

«On commence à ressentir les effets de la cinquième vague, confirme Christèle Gras-Le Guen, cheffe des urgences pédiatriques du CHU de Nantes et présidente de la Société française de pédiatrie. Nous voyons comme à chaque fois de plus en plus d’enfants arriver aux urgences, et de plus en plus jeunes. Le «temps normal», on s’en souvient à peine… Désormais, on a régulièrement des gamins de 8-9 ans suicidaires et déterminés.»

Les bilans de surveillance syndromique de la santé mentale, publiés chaque semaine par Santé publique France, viennent confirmer les récits des soignants. Depuis la fin de l’année 2020 (la deuxième vague) le nombre d’hospitalisations pour des troubles de l’humeur chez les moins de 15 ans est en forte hausse par rapport aux années précédentes, avec un record pour l’instant établi durant le mois de mars 2021 (troisième vague). Il en est de même, à peu de choses près, pour les passages aux urgences pour gestes suicidaires. Le lien entre pandémie et dégradation de la santé mentale des enfants n’a d’ailleurs pas été établi qu’en France : aux Etats-Unis et au Canada, entre autres, des médecins ont aussi constaté une forte hausse des admissions en pédopsychiatrie depuis l’arrivée du Covid-19, pendant l’hiver 2019-2020.

Qui dit hausse des admissions dit nécessité de trouver des lits et des soignants pour répondre à ce besoin croissant. Autant de choses qui se font rares dans les hôpitaux français. «On ne va pas se mentir, on gère assez mal ces vagues successives, concède Richard Delorme, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital parisien Robert-Debré. On s’accroche, on fait notre travail, mais nous sommes constamment dans une situation périlleuse. Tous les jours on accepte de faire sortir des patients sévères que l’on aurait jamais osé laisser dehors il y a un an et demi.»

Des services de pédiatrie également saturés

La situation est d’autant plus complexe que, contrairement à 2020, les services de pédiatrie sont aussi sous haute tension cette année, la faute à une très forte vague de bronchiolites. Impossible donc d’utiliser, comme l’hiver dernier, une partie du service pour y mettre des patients de pédopsychiatrie. A Strasbourg par exemple, «jusqu’à un bon tiers des lits en pédiatrie» étaient à l’époque occupés par des enfants et adolescents ayant des troubles pédopsychiatriques, se souvient Carmen Schröder. Bien qu’inadaptés, ils présentaient une forme de luxe dont ses équipes ne peuvent plus bénéficier aujourd’hui. «On ne sait plus où les mettre, résume la docteure alsacienne. Et ça ne devrait faire qu’empirer…»

Alors chaque unité s’adapte. Des jeunes sont renvoyés chez eux, même si leur état aurait en d’autres temps justifié une hospitalisation. D’autres sont placés «en désespoir de cause dans des services de psychiatrie pour adultes, se désole Christèle Gras-Le Guen, la présidente de la Société française de pédiatrie. Or, on sait que certains patients adultes peuvent être dangereux. Alors on met l’enfant à l’isolement pour le protéger. C’est une forme de maltraitance institutionnelle, mais nous n’avons pas le choix». Les urgences auraient bien pu s’appuyer sur d’autres structures, à commencer par les centres médico-psychologiques (CMP), mais elles sont tout aussi saturées. Même constat chez les pédopsychiatres libéraux, peu nombreux et également surbookés.

«Les capacités de soins en santé mentale de l’enfant sont largement dépassées depuis longtemps, reprend Christèle Gras-Le Guen. Il y a un sous-effectif chronique de pédopsychiatres en France et de moyens. La pandémie n’est qu’une loupe, un élément qui a mis le doigt là où ça fait mal et qui a accentué d’anciens problèmes».Plusieurs rapports, et notamment une mission d’information du Sénat en 2017, avaient mis au jour le réel manque de professionnels et de financements de la part des pouvoirs publics, entraînant des mauvaises prises en charges et des délais interminables pour être soigné. Une situation qui n’a pas tendance à s’améliorer puisque la profession est vieillissante et souffre d’un manque d’attractivité, expliquait en novembre dernier Claire Hédon, la Défenseuse des droits, dans son rapport annuel sur les droits de l’enfant.

Le [problème le] plus important est la désynchronisation des horloges biologiques. C’est important d’avoir une routine, des horaires réguliers de lever, de coucher, de repas, d’activités physiques, sociales ou scolaires… Tout cela est bouleversé depuis deux ans et les plus vulnérables en souffrent.»

—   Sylvie Tordjman, cheffe du pôle psychiatrie de l’enfant du centre hospitalier Guillaume Régnier, à Rennes

A défaut de pouvoir soigner dans les meilleures conditions les enfants et adolescents qui se présentent à eux, les soignants s’attellent à comprendre les raisons de la hausse récente des troubles psychologiques. Quand on ne peut guérir, autant prévenir. Patient après patient, hospitalisation après hospitalisation, Sylvie Tordjman et ses collègues de l’hôpital rennais ont fini par identifier une série de facteurs propres à la pandémie qui expliquent cette augmentation.

La pédopsychiatre évoque en vrac «le stress chronique», provoqué par les vagues à répétition qui rendent l’avenir incertain ; «les passages du confinement au déconfinement» qui ont pu poser des problèmes aux enfants les plus casaniers et révéler les phobies scolaires ; un «huis clos qui perdure» avec la normalisation du télétravail et les restrictions sanitaires qui peuvent aggraver les tensions et violences intrafamiliales. «Et le plus important est la désynchronisation des horloges biologiques. C’est important d’avoir une routine, des horaires réguliers de lever, de coucher, de repas, d’activités physiques, sociales ou scolaires… Tout cela est bouleversé depuis deux ans et les plus vulnérables en souffrent», insiste-t-elle.

Autant de facteurs qui touchent particulièrement les adolescents, d’ordinaire plus fragiles et dans une phase de transition toujours complexe. Mais aussi les plus jeunes. Les admissions à l’hôpital pour les situations les plus préoccupantes sont minutieusement répertoriées mais il est difficile de quantifier cette hausse du mal-être chez les plus petits. Tous les pédopsychiatres interrogés confirment voir au fil des vagues de plus en plus de jeunes enfants avec des problèmes psychologiques. Et si ceux issus de familles défavorisées sont en général plus touchés, toutes les classes sociales sont concernées.

«Beaucoup de parents constatent des changements dans le comportement de leurs enfants, parfois dès deux ou trois ans, analyse Richard Delorme. Un enfant ne va pas vous dire qu’il est déprimé ou anxieux. Ça se traduira par une majoration de l’irritabilité, des troubles du sommeil ou de l’alimentation. Mais il ne faut pas imaginer que seuls les adolescents mentalisent le fait d’être mal dans cette crise. Même les petits, d’une manière différente, y sont sensibles.»


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