par Thomas Clermont, Psychologue clinicien publié le 22 décembre 2021
Mesdames et messieurs les candidat·e·s à l’investiture au poste de futur·e président·e de la République je vous adresse cette lettre depuis mon bureau de psychologue clinicien au sein d’un établissement public de soins psychiques pour enfants et adolescents. De votre future place et de vos décisions découlera la santé des Français. Soigner non pas en étant médecin, mais soigner de votre place de chef d’Etat.
Ainsi se dessinent deux axes où peut se développer votre dimension soignante.
Tout d’abord en soignant les soignants (et donc par voie de conséquence les patients eux-mêmes). Les décisions du ministère des Solidarités et de la Santé sont évidemment cruciales dans ce domaine, et le constat de l’état de notre système de santé est bien connu depuis de nombreuses années. Les Assises de la santé mentale qui se sont tenues récemment ont montré l’état désastreux du monde de la psychiatrie, de la pédopsychiatrie et de la santé mentale au sens large. Si des institutions de soin psychique dysfonctionnent voire ferment leurs portes notamment par manque de médecin et épuisement des équipes, les secteurs de médecine somatique s’avèrent également confrontés à ces questions. Au moment où je m’adresse à vous, sachez que des blocs opératoires fonctionnent au ralenti faute d’infirmiers de bloc. Je ne vous décris pas la situation d’un modeste hôpital dans une ville moyenne de province, non. Je vous décris la situation actuelle d’un grand hôpital parisien fleuron de l’AP-HP. Puisque l’intitulé même du ministère de la Santé s’est vu ajouté celui «des Solidarités», je vous invite à être solidaire des soignants (et des soignés) via les décisions que vous pourrez prendre en collaboration avec votre futur·e ministre de la Santé.
Développer sa dimension soignante
Votre dimension soignante trouvera également à s’exprimer dans d’autres champs de vos décisions politiques et j’en veux pour preuve mon expérience clinique issue d’un simple bureau de consultation dans un centre médico-psychologique pour enfants et adolescents. Je vais vous parler de quatre enfants que je reçois, et que je suis bien en peine d’aider alors que je suis soi-disant en charge de prendre soin d’eux. Quatre enfants que vous pouvez soigner car c’est avant tout l’environnement dans lequel grandissent ces enfants qu’il faut soigner, plutôt que de demander à des psychologues de normer, adapter l’enfant pour qu’il réponde au mieux à une situation hors-norme, et ainsi qu’il rentre dans le rang de l’institution scolaire, judiciaire et plus globalement dans le champ social.
Zoé, 8 ans scolarisée en CE2, présente un retard dans les apprentissages. Elle vivait jusqu’à ses 5 ans avec ses parents et son petit frère dans un studio de 12 m². Depuis trois ans sa famille enchaîne les hôtels sociaux et est en attente d’un logement social depuis sept ans. Avec vos choix politiques sur la question du logement VOUS pouvez soigner cette enfant.
Djibril, 11 ans scolarisé en 6e, présente une agitation en classe et à la maison. Il se montre très affecté quand on évoque avec lui le fait que sa mère est débordée par la vie familiale avec trois enfants, mais surtout que son père ne voudrait rien faire avec lui. Ceci particulièrement depuis trois ans, date à laquelle monsieur a connu un licenciement économique et qu’il n’a pas retrouvé d’activité depuis. Djibril décrivant son père comme «un boxeur complètement KO». Avec vos choix politiques sur la question de l’emploi VOUS pouvez soigner cet enfant.
Aminata, 9 ans scolarisée en CE2, après un passage en Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants à son arrivée en France, elle présente une grande inhibition sur fond d’un état dépressif. Arrivée depuis trois ans en France elle a quitté la Côte-d’Ivoire car menacée d’excision. Elle y a laissé sa mère qu’elle n’a pas revue depuis son départ. Elle vit en France avec son père qui était installé et travaille en France depuis une dizaine d’années. Avec vos choix politiques sur la question de l’accueil des étrangers VOUS pouvez soigner cet enfant.
Yanis, 4 ans scolarisé en moyenne section de maternelle, présente des pleurs immotivés dans le cadre scolaire. L’enseignante qui accueille Yanis tous les matins est agacée par cet enfant qu’elle juge difficile. Comment l’enseignante peut-elle porter un regard constructif sur un enfant, regard étayé par un enseignement théorique solide, quand la formation actuelle des professeurs des écoles saupoudre quelques vagues connaissances de psychologie de l’enfant tant dans son développement normal que pathologique ? Avec vos choix politiques sur la question de l’éducation nationale VOUS pouvez soigner cet enfant.
Vous aurez compris que pour prendre soin de ces enfants nous avons certes besoin de soignants en nombre et soutenu par une politique de santé mettant en avant la confiance et la reconnaissance du soignant, cela au service évidemment des patients ; mais aussi, et surtout, besoin d’un «soignant en chef» en la personne du Président de la République.
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