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lundi 20 décembre 2021

Plaidoyer.Il est temps de mettre fin au massacre des sapins de Noël

Pour cet urbaniste et journaliste belge, il n’est plus possible, à notre époque, de couper chaque année des milliers d’arbres qui seront détruits quelques semaines après. Comment peut-on continuer de considérer comme un produit jetable un végétal qui a mis plusieurs années à pousser ? interroge-t-il.

En 2012, l’Espagne était en émoi. Un peu partout, on publiait des photos montrant le roi Juan Carlos – qui était par ailleurs président d’honneur du WWFespagnol – en train de poser devant un éléphant qu’il venait d’abattre lors d’un safari secret. Et cet “elephantgate” allait sonner le début de son déclin.

Cette même année se dressait, sur la Grand-Place de Bruxelles, une installation lumineuse représentant un sapin de Noël. L’absence de “vrai” sapin suscita moult controverses chez les Bruxellois, et l’expérience fut la dernière du genre. Ainsi, l’an passé, la Grand-Place accueillait un épicéa de 18 mètres de haut qui avait grandi pendant vingt-sept tranquilles années dans un jardin.

Ces jours-ci, à l’approche de Noël, les municipalités du monde entier constellent l’espace public de sapins. Les grandes villes se livrent souvent à un concours, à qui aura le plus grand. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : le sapin de Noël fait partie du marketing de la ville, et plus le trophée est grand, mieux c’est !

Les arbres, êtres inférieurs à l’homme ?

Pourtant, nous connaissons tous ces images de sapins adultes héliportés depuis leur plantation. Lorsqu’on tape sur YouTube une recherche comme “Christmas Tree Helicopter Harvest”, on tombe non pas sur quelques, mais sur des millions d’arbres morts qui se balancent pitoyablement dans les airs. Sans parler des dizaines de millions de jeunes arbres qui finissent dans nos salons et nos centres-villes.

On continue de considérer les arbres comme des êtres vivants inférieurs. Sur l’échelle de l’évolution, nous les plaçons juste au-dessus des champignons et des bactéries, et bien en dessous de l’homme, joyau suprême de la création. C’est oublier qu’ils étaient là avant nous. Les végétaux ont créé les conditions dans lesquelles des formes de vie dites supérieures ont pu voir le jour. Ils subviennent à nos besoins en nourriture et en oxygène, ils rafraîchissent le climat et le régulent, ils fournissent des habitats à d’autres êtres vivants. Le bruissement de leurs feuilles, leurs parfums et leurs couleurs émerveillent nos sens. Ils annoncent les changements de saisons. Les Amérindiens parlent des arbres comme du “peuple debout”, tandis que nous, nous ne les voyons souvent comme rien de plus qu’une matière première pour le bois, le papier et les décorations.

Dans son livre À la recherche de l’arbre-mère [parution française en mars 2022], Suzanne Simard, de l’université de Colombie-Britannique, sape la thèse selon laquelle les arbres et les plantes seraient inférieurs aux hommes et aux animaux : non seulement ils échangent des informations, mais ils les stockent. Suzanne Simard, et d’autres scientifiques comme la Belge Valérie Trouet (université d’Arizona) auraient beaucoup à dire sur ce sujet.

Si tant de gens ont envie d’avoir un vrai sapin de Noël dans leur salon, c’est précisément pour son côté naturel. Il n’y a pas grand-chose à y redire. Ou si ? Car que se passe-t-il avec tous ces conifères une fois qu’ils ont accompli leurs bons et loyaux services ? Pour le plaisir du spectacle, à la kerstboomverbranding [fête flamande, début janvier, lors de laquelle on brûle tous les sapins de Noël], nous les regardons partir en fumée en bavardant et en sirotant du vin chaud, nous contemplons tout ce CO2 stocké s’envoler dans l’atmosphère.

Friends - Phoebe and the Christmas Tree Chipper

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De l’avis général, les arbres de Noël sont aux fêtes de fin d’année ce que la pelouse est au terrain de football, indissociable. Certes. Mais est-il bien raisonnable de considérer comme un produit jetable un végétal qui a mis plusieurs années à pousser ? Faut-il vraiment dresser un arbre de Noël à chaque réverbère de nos quartiers commerçants ? Ne pourrait-on pas à la place décorer de guirlandes lumineuses des arbres déjà présents dans l’espace public ?

Pour nos salons, des solutions existent déjà. Outre le célèbre (et non moins polluant) sapin en plastique, on trouve de très beaux arbres de Noël en bois labellisé FSC ; il y a quelques années, l’agence Nature et Forêts du gouvernement flamand commercialisait des “bouleaux de Noël”, des branches et des troncs non utilisés d’exploitations sylvicoles. Cette tradition qui veut que l’on décore des arbres s’enracine dans la culture celte ; elle n’a rien à voir avec Noël. Dès lors, qu’importe que l’arbre soit un épicéa, un bouleau ou autre. Et pourquoi ne pas faire de même sur les places de nos villages ou la Grand-Place de Bruxelles ? Ces places n’ont-elles pas déjà des arbres qui pourraient être décorés ? Certaines communes n’ont-elles pas des arbres, malades ou dangereux, qu’il faudra un jour ou l’autre arracher ? Pourquoi ces arbres-là ne pourraient-ils pas être décorés pour trôner sur les parvis de nos églises ?

Mettre fin à la culture du jetable

La tradition de l’arbre de Noël doit-elle disparaître, comme celle de Zwarte Piet ? La discussion est d’un autre ordre. Aujourd’hui, la société a changé de regard sur la figure de Zwarte Piet [personnage traditionnel, qui accompagne saint Nicolas le 6 décembre, et dont le grimage est associé à du blackface]. Dans le cas de l’arbre de Noël, en revanche, il s’agit avant tout de remettre en question une culture du jetable, une culture où l’on jette des produits vivants, et tout le cycle de production qui se trouve derrière, avec la perte de biodiversité, la surexploitation de dizaines de milliers d’hectares de terres, l’érosion des sols qui cause des inondations, la consommation d’énergie, la pollution de l’air.

En tant qu’être vivant, un arbre n’est pas inférieur à un éléphant. La différence se trouve dans nos têtes : alors que la balle d’un roi suscite l’indignation aux quatre coins du monde, nous tolérons chaque année un massacre au nom d’une tradition. Et maintenant, qu’allons-nous préférer : abriter, au plus profond de nos consciences, une double morale à la Juan Carlos ? Ou bien offrir, pour la Noël, une année de vie supplémentaire à un Picea abies ?


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