par Richard Godin publié le 14 octobre 2021
L’évocation de la comtesse de Ségur rappellera à certains «la couleur des couvertures de la Bibliothèque rose illustrée». Pour d’autres, cela fera ressurgir des noms (Sophie, Dourakine, Gribouille), «des émotions durables, des récits effrayants, des mots de vocabulaire jamais entendus» ou «des sensations immédiates pas toujours avouables stimulant les fantasmes érotiques ou sadiques». Pour Caroline Eliacheff, fille de Françoise Giroud, ce sont des ouvrages «qu’on croit relire alors qu’on lit enfin». A la lumière de sa vie personnelle et professionnelle (elle est psychanalyste et pédopsychiatre), l’autrice raconte la passion de la comtesse de Ségur pour «l’éducation et la santé des enfants» à travers son œuvre qui «décline de mille façons l’idée selon laquelle ils sont le pur produit de ce qu’on leur inculque».
Une conception écrite «pour ses petits-enfants» mais qui s’adresse indirectement aux parents et autres pédagogues.Si ses œuvres sont encore lues aujourd’hui, c’est que «leurs thèmes dépassent l’époque». C’est le cas quand elle montre «les effets bénéfiques d’une éducation sans violence, et les conséquences néfastes des perversions parentales». Une analyse novatrice au XIXe siècle, devenue la définition même du problème de «l’enfant-roi». Des Malheurs de Sophie au Général Dourakine en passant par François le bossu ou les Petites Filles modèles, ses romans s’inspirent de sa vie pour en faire «un univers imaginaire aux entrées multiples» : les sévices, l’inceste, la négligence parentale, la sexualité, la jouissance, la mort ou le handicap. «La comtesse a fait de son roman familial une œuvre littéraire.»
«Entre ses 55 ans et ses 70 ans, la comtesse de Ségur publie cinq contes de fées, un petit livre de médecine, dix-huit romans, trois comédies et quatre livres religieux.» Une période productive qui fait d’elle «une pionnière» de la psychologie des enfants. En cela, Caroline Eliacheff la rapproche de Françoise Dolto, à qui la vie et les œuvres de la comtesse de Ségur lui ont souvent fait penser. Elles partagent une «compréhension stupéfiante des enfants» mais aussi le combat pour «avoir un métier». Sophie Rostopchine (vrai nom de la comtesse de Ségur) n’a jamais respecté les règles de son époque ni «la norme de son milieu». Elle brave la censure, le contrôle familial et son mari pour que sa littérature enfantine soit publiée. Deux siècles plus tard, force est de constater que ses écrits continuent de nourrir «les fantasmes des enfants» tout en défendant leur cause face aux conflits et oppressions qu’ils subissent par leur entourage. «Aujourd’hui, on considère que la principale menace pesant sur les enfants, ce sont… leurs propres parents», rappelle Caroline Eliacheff. Heureusement, les livres de la comtesse de Ségur se terminent toujours bien : «Les enfants peuvent s’endormir les sens apaisés.»
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