Par Elisabeth Roudinesco Publié le 7 octobre 2021
Daniel Zagury analyse, en praticien, les causes du déclin de la discipline. Et ses conséquences.
« Comment on massacre la psychiatrie française », de Daniel Zagury, L’Observatoire, 261 p.
Célèbre pour son apport à la clinique médico-légale, ainsi que pour son courage face aux polémiques qui ont déferlé sur lui à propos de ses expertises de grands criminels – Guy Georges, Patrice Alègre, Michel Fourniret et bien d’autres –, Daniel Zagury, psychiatre honoraire des hôpitaux et auteur de nombreux ouvrages, est aujourd’hui un homme en colère. En témoigne le titre de son dernier livre, Comment on massacre la psychiatrie française. Néanmoins, c’est avec rigueur et sans outrance qu’il décrit la situation actuelle.
Non seulement, dit-il, tout va de mal en pis depuis une vingtaine d’années – fermetures de lits ou réduction du personnel soignant, pénurie d’experts –, mais la sottise des classifications issues du fameux Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux(DSM), contesté dans le monde entier, a eu pour conséquence la réapparition de pratiques d’un autre âge : contentions, maltraitance, etc. Autrement dit, c’est l’abandon de la triple approche de la folie – biologique, sociale et psychique –, au profit d’un étiquetage unique qui a conduit à une dégradation de la discipline : « On a précipité l’effondrement de la psychiatrie intégrative bio-psycho-sociale (…). Ce qui est condamnable, ce ne sont évidemment pas les neurosciences (…) mais la prétention à l’hégémonie et à l’exclusivisme de n’importe lequel des composants du champ psychiatrique. »
Désastre organisé
Daniel Zagury montre également que l’introduction, en 2009, de la loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoire) a accentué ce désastre organisé. Elle a en effet privé de pouvoir les chefs de service hospitalier en permettant que toutes les décisions soient prises par des « manageurs » chargés de surveiller les bonnes et les mauvaises pratiques, à coups de procédures rédigées en langue de bois : une infernale « bureaucratose », fondée sur la gestion des budgets. Le résultat étant qu’un professeur de médecine doit désormais passer un temps infini à compter les crayons et le papier hygiénique qu’il utilise dans son service au détriment de la relation avec les patients.
Les malades mentaux sont désormais classés en deux groupes : les dangereux et les autres. Soit un véritable déni de la clinique
La description donnée par Daniel Zagury de cette manie de la maîtrise administrative est un morceau d’anthologie. Quant aux pages sur le rétablissement des soins sans consentement (loi du 5 juillet 2011), elles font froid dans le dos, puisque l’idéal d’une sécurité « managée » prend le pas sur l’approche thérapeutique. Aussi bien les malades mentaux sont-ils désormais classés en deux groupes : les dangereux et les autres. Soit un véritable déni de la clinique quand on sait que, bien souvent, le patient dangereux n’est pas celui qu’on croit.
Le chapitre le plus éblouissant est celui sur l’expertise. Prenant appui sur sa longue expérience, Zagury propose une modification de l’article 222-1 du code pénal sur l’irresponsabilité pénale et l’abolition du discernement. Et il cite l’histoire de deux criminels antisémites et délirants dont il a expertisé longuement les « cas » : Adel Amastaibou et Kobili Traoré. En 2003, le premier a défiguré à coups de couteau son voisin de palier, Sébastien Selam, en hurlant : « J’ai tué un juif, Allah le voulait. » En 2017, le second a torturé puis défenestré sa voisine, Sarah Halimi, aux cris de « Allah akbar », suscitant une avalanche de tribunes contradictoires dans la presse.
On ne juge pas les fous
Dans le premier cas, souligne Zagury, on a affaire à un schizophrène dont le jugement était aboli, alors qu’à ses yeux, dans le second, le meurtrier, consommateur de cannabis, restait conscient de son acte. Selon lui, l’un relevait de l’hôpital psychiatrique, l’autre des assises, même si la justice a conclu à l’abolition du discernement dans les deux affaires. Zagury démontre donc avec force qu’une expertise se mène au cas par cas et qu’un acte criminel n’est jamais identique à un autre, fût-il guidé par une même obsession (l’antisémitisme). Une expertise bien menée reste donc essentielle à la vie sociale dans les Etats de droit : on ne juge pas les fous quand ils ne peuvent répondre de leurs actes.
Voilà donc le livre humaniste d’un psychiatre en colère, convaincu qu’on doit toujours tenter de réformer le monde.
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