par Johanna Luyssen publié le 15 octobre 2021
C’est en soi une chic nouvelle : à partir de février 2022, chaque famille française repartira de la maternité avec sa boîte cadeau, contenant notamment une turbulette, un livre, des conseils, un savon afin de promouvoir les produits naturels, bref des tas de choses censées répondre aux questionnements inévitables lors des premiers jours d’un nourrisson – du syndrome du bébé secoué à la mort subite. Le tout a été pensé sur la base d’un modèle finlandais de 1938 et devrait, selon le secrétariat d’Etat à l’Enfance, être une «invitation à sortir» et à «ne pas s’oublier en tant que parent».
Coup de beurre de karité
Surtout, il y a cette histoire de crème hydratante, abondamment raillée sur les réseaux sociaux. On propose donc de la crème pour la parturiente épuisée. «Nous souhaitons qu’il y ait un objet spécifiquement pour la mère, pour lui permettre de se dire qu’il faut qu’elle prenne soin d’elle, peut-être une crème ou quelque chose comme ça», expliquait cette semaine le cabinet d’Adrien Taquet au HuffPost.
Quelle est drôle cette injonction à prendre soin de soi avec un petit pot de crème, et qu’il est dérisoire ce petit pot de crème, alors que le corps est ravagé, les hormones en furie, le ventre étrangement en deuil, et puis ce sang qui coule en permanence, ces lochies qui n’en finissent pas. S’assoir sur les toilettes est une souffrance, le simple fait d’uriner provoque des couinements de douleur, les hémorroïdes menacent, la fatigue brouille les yeux et l’esprit et, en vérité, l’être de douleur qu’est la parturiente ne pense généralement qu’à une chose au sortir de la maternité : se débarrasser de ces slips jetables façon filet de pêche et de ces serviettes géantes façon Pampers qui lui gênent la marche – et qui lui coûtent une fortune, car figurez-vous qu’elle ne les a trouvées dans aucune «bébé box».
On aimerait tant qu’un pot de crème hydratante règle en un coup de beurre de karité la question du manque d’effectifs des sages-femmes, qu’elle réponde à cette phrase terrible, lue dans nos colonnes, de Coralie Godmé, sage-femme à Saint-Denis : «Je n’ai plus le temps de m’asseoir quelques minutes au bord d’un lit pour écouter une femme angoissée, enceinte ou tout juste mère, et lui montrer qu’elle n’est pas seule.»
Redevenir désirable rapidement
On peut voir en cette crème hydratante, mais surtout, dans ce refus de cerner les vraies questions – durée du congé maternité, du congé paternité, prise en charge du post-partum –, quelque chose d’assez français. Plutôt que d’accompagner la parturiente dans ce parcours dont elle n’avait aucune idée, avec un soutien, du concret, une solution s’imposait donc : s’hydrater, se faire belle, être une femme, un objet de désir, qui se tartinerait de crème comme si elle s’apprêtait avant d’aller danser.
De la même manière que la Française active doit quitter très rapidement la maternité et reprendre le travail comme si tout cela n’existait pas (jurisprudence Rachida Dati), elle doit redevenir désirable très rapidement – et tout aussi rapidement reprendre des relations sexuelles, d’ailleurs, afin de redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un objet de désir. Dans son récent documentaire, la Parisienne démystifiée, la militante et journaliste Rokhaya Diallo interroge Grace Ly, co-animatrice du podcast Kiffe ta race, sur sa condition maternelle. «Dans la mère parisienne, dit Grace Ly – et ce qu’elle dit s’applique, par extension, à la mère française –, il y a l’idée qu’elle est d’abord une femme, obligatoirement. Qu’elle ne doit pas s’oublier en tant qu’objet de désir. Dès que tu deviens mère, c’est une injonction. Déjà on t’offre le package, tu sais, le boîtier, avec la crème anti vergetures. Parce qu’avant de penser à ton enfant, il faut penser à tes vergetures.» Car offrir livre et crème aux accouchées reste un grand classique, la Bébé Box n’est qu’un reconditionnement de ce qui existe déjà.
En France, il faut donc penser à ses vergetures, et à bien s’hydrater la peau après les ravages de la maternité. Il faut rebondir, revenir à sa condition de femme sexy et fatale, comme si tout cela n’existait pas, et surtout il faut – et c’est bien là toute la violence du message – penser à soi, sinon, nous le savons, personne ne le fera. Et surtout, «il ne faut surtout pas s’oublier», sinon, nous le savons, ce sont les autres qui nous oublieront.
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