Par Solène Cordier Publié le 13 juillet 2021
Formation des professionnels, prise en charge des victimes, éducation à la sexualité… Le groupe de travail mandaté il y a huit mois a rendu, mardi, un rapport au ministre de la Santé.
Pilotage de la lutte contre la prostitution des mineures, sensibilisation et formation des acteurs, amélioration du repérage et du traitement judiciaire… Au terme de huit mois d’échanges, le groupe de travail sur la prostitution des mineures, installé par le secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, devait remettre officiellement ses recommandations, mardi 13 juillet, au ministère de la santé.
Dans le rapport que Le Monde a pu consulter, les participants (représentants des administrations de l’Etat, professionnels de terrain et associations) s’attachent d’abord à dresser un tableau le plus complet possible du phénomène, en réunissant les données existantes. A ce stade, malgré les difficultés pour parvenir à un chiffrage précis, le secteur associatif estime qu’entre 7 000 et 10 000 jeunes seraient concernées – dans l’immense majorité des filles, avec une forte augmentation ces dernières années, quelles que soient les sources observées. A titre d’exemple, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) recensait 400 mineures victimes de proxénétisme en 2020, contre 206 en 2019 et 116 en 2016. Soit une progression de 70 % en cinq ans.
Des signaux d’alerte identifiés
Corollaire de cette expansion, celui du proxénétisme dit « de cité », une« spécificité française », relève le rapport : « Apparu en 2015, il a rapidement pris son essor dans les grandes agglomérations du territoire. » Or, « en 2020, plus de 85 % des mineures victimes de proxénétisme l’étaient au titre du proxénétisme de cité », explique une étude de mars 2021 du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée, citée dans le rapport.
Attention, cependant, à ne pas réduire les mineures victimes de la prostitution aux seules jeunes filles de banlieue, avertissent les auteurs, qui dressent le portrait-robot suivant des concernées : « Très majoritairement des jeunes filles, de 15 à 17 ans en moyenne, vulnérables, provenant de tous les milieux sociaux et qui ont des difficultés à prendre conscience de leur statut de victimes. » Un grand nombre d’entre elles se trouvent en situation de rupture familiale et près de la moitié avaient déjà subi des violences pendant leur enfance, « principalement intrafamiliales et/ou sexuelles ».
En s’appuyant largement sur les travaux menés par Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), l’une des seules associations spécialisées sur ce sujet par ailleurs membre du groupe de travail, plusieurs signaux d’alerte sont identifiés, tels que la déscolarisation, les changements vestimentaires ou de train de vie, les grossesses précoces ou tentatives de suicides… La fugue est, à cet égard, « un moment particulièrement à risque du point de vue des conduites prostitutionnelles », en particulier « lorsqu’elles durent ou se répètent ». Ainsi, 40 % des adolescentes accompagnées pour fugue en 2020 étaient concernées par de la prostitution, « soit parce qu’elles étaient en contact avec des réseaux, soit parce qu’elles risquaient de l’être », contre 25 % en 2019. Pour les jeunes prises en charge par l’aide sociale à l’enfance, « des signaux supplémentaires peuvent être identifiés, tels que le non-recours au pécule du foyer et la présence de véhicule à proximité de l’établissement ».
« Aucune modification législative »
Lors de la première réunion du groupe de travail, le 30 septembre 2020, sa présidente, la magistrate Catherine Champrenault, alors procureure générale de Paris, énonçait cette feuille de route : « Proposer des pistes de remédiation d’abord en amont, pour empêcher l’entrée dans la prostitution. Ensuite, quand elle a commencé, des pistes pour mieux la détecter et y mettre fin, (…) d’autres pour sanctionner les proxénètes (…) et, enfin, pour éviter que ces victimes ne retombent dans la prostitution. »
A l’issue des travaux, quelque 90 recommandations sont rassemblées pour agir sur l’ensemble de la chaîne, de la prévention à la prise en charge des victimes. « Il faut, en premier lieu, améliorer l’éducation à la sexualité et à l’égalité entre les sexes, ce qui permettrait d’agir à la fois sur la prostitution mais aussi sur les violences au sens large, considère Arthur Melon, secrétaire général de l’association ACPE. D’autant que cela ne demande aucune modification législative, simplement de mettre les moyens pour faire respecter la loi », dit-il en faisant référence aux trois séances annuelles d’éducation à la sexualité en milieu scolaire théoriquement prévues.
Autre enjeu majeur : celui de la formation de l’ensemble des professionnels concernés (éducation nationale, services de police et justice, protection de l’enfance) ainsi qu’un renforcement des effectifs des services d’enquête et de l’aide sociale à l’enfance, débordés face à l’ampleur du phénomène, qu’il faudrait d’ailleurs quantifier plus précisément. Conscients que le sujet est à la croisée de plusieurs politiques publiques, les auteurs plaident, en outre, pour l’adoption d’un plan national de lutte contre la prostitution des mineures. Reste à savoir quelles pistes seront en définitive retenues ; pour les annonces, le gouvernement donne rendez-vous « à l’automne ».
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