par Justine Wild publié le 12 juillet 2021 à 10h59
Faire le vide dans sa tête. Rester attentif à son environnement, aux mouvements de son corps et laisser venir ses pensées, sans tenter de les contrôler. Concentration maximale sur sa respiration. Résultat : une meilleure gestion du stress, de la colère et autres émotions nocives. Telles sont les promesses alléchantes de la méditation de pleine conscience (MPC). Cette méthode d’origine bouddhiste connaît une popularité croissante, jusqu’aux bancs mêmes de l’école publique. Le député LREM d’Ille-et-Vilaine Gaël Le Bohec a proposé d’expérimenter cette pratique dans près de 250 classes, du CM1 à la cinquième. Cette idée, examinée par le ministère de l’Education nationale, a provoqué l’ire de la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui a publié un communiqué contre le projet. Le président de l’association, Malik Salemkour, alerte l’opinion publique sur la dangerosité d’une telle introduction dans les programmes scolaires et rappelle les missions de l’Etat vis-à-vis de ses enfants.
Pourquoi publier un tel communiqué contre la méditation ?
La volonté d’imposer, de surcroît à des enfants, une technique sur laquelle se cristallisent des doutes et des contestations, est problématique. La LDH a donc jugé normal de mettre en garde les citoyens quant aux risques induits par l’introduction de la méditation de pleine conscience à l’école : d’une part, les attaques de panique et épisodes psychotiques ; d’autre part, les craintes de manipulation par des mouvances sectaires. Car cette méthode se trouve d’ailleurs dans le viseur de certaines associations de lutte contre les dérives sectaires comme la Miviludes, qui rappellent que l’on ne connaît pas les effets à long terme d’une telle ingérence dans le comportement des enfants et dans leur conscience.
Parallèlement à cette expérimentation, constatez-vous un recours croissant à la méditation de pleine conscience ?
La multiplication des initiatives locales nous a alertés. En septembre 2019, La Rochelle a soumis une initiation à la méditation aux 5 000 enfants scolarisés dans la ville. Dans son rapport, Gaël Le Bohec affirme par ailleurs que cette méthode a déjà été utilisée dans 425 établissements, répartis dans 23 académies en France. Passé ce constat, toute la question est de savoir si l’Education nationale doit laisser se poursuivre l’extension d’une pratique douteuse, exercée par des intervenants extérieur aux classes, non habilités, et dont la nomination est laissée à la seule appréciation des enseignants ou chefs d’établissement. La méditation de pleine conscience n’est ni contrôlée ni avalisée. Ce qui pose d’ailleurs la question des intérêts économiques en jeu, puisqu’il est tout de même question de prestations payantes…
«On tombe dans une démarche comportementale qui n’a rien à voir avec l’éveil. En concentrant la pensée sur la vacuité, cette pratique ouvre la voie aux fragilisations psychologiques et aux manipulations mentales. […] C’est inquiétant, et surtout ça n’a pas sa place dans l’Education nationale.»
— Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l'homme
Vous indiquez dans votre communiqué que «certaines conséquences préoccupantes de la pratique de la MPC ont été signalées». Quelles sont-elles ? Quelles sont vos sources ?
Les membres du groupe Phénomène sectaire de la LDH ont mené un vaste travail de documentation. En 2018, Anne Josso, alors secrétaire générale de la Miviludes, rapporte avoir reçu une centaine de plaintes concordantes liée à la méditation. Les rapports de l’association font état de problèmes de santé et formes d’abus – comme la déstabilisation mentale et l’instrumentalisation – induits par la MPC. Des universitaires britanniques de la revue scientifique Plos One ont aussi observé que la pleine conscience pouvait provoquer des crises de panique, de dépression ou de dissociation chez un quart des individus qui la pratiquent.
Plus généralement, vous percevez cette méditation comme un problème politique ?
Oui car, avec la MPC, l’Education nationale sort du cadre des missions qui lui ont été attribuées, à savoir instruire et émanciper les enfants. Avec cette méditation, on tombe dans une démarche comportementale qui n’a rien à voir avec l’éveil. En concentrant la pensée sur la vacuité, cette pratique ouvre la voie aux fragilisations psychologiques et aux manipulations mentales. Ce qui peut rapidement conduire à une perte d’esprit critique, voire à l’assujettissement de l’individu. C’est inquiétant, et surtout ça n’a pas sa place dans l’Education nationale.
Pourquoi jugez-vous les pratiques de la pleine conscience contradictoires avec la laïcité ?
La laïcité fait partie des principes fondateurs de notre République. Elle implique que l’Etat n’impose ni façon de penser ni ordre moral. C’est la liberté de conscience, à savoir la liberté de choisir comment agir et penser, qui est ici mise à mal. Car la pleine conscience, dans ces différentes expérimentations, est imposée aux enfants. Si les adultes sont libres de leurs pratiques parascientifiques, les enfants eux, doivent donner leur consentement. En agissant sur leurs comportements inconscients, la MPC porte gravement atteinte à la laïcité.
Les origines bouddhistes de la pleine conscience constituent-elles un argument supplémentaire ?
La MPC peut effectivement sembler problématique dans la mesure où elle trouve ses racines dans la spiritualité bouddhiste. D’autant qu’au sein du think tank américain Mind and Life, qui promeut et finance la MPC, siègent des représentants de différentes obédiences bouddhistes et de la mouvance anthroposophique. On retrouve aussi à leurs côtés des chamanes et des individus liés à la mouvance New Age, à l’origine de nombreuses psycho-sectes et psychotechniques depuis la fin du XXe siècle. Il y a, à ce niveau-là aussi, un fort besoin de clarification et de transparence.
Mais en réalité, c’est surtout la tension avec la liberté de conscience qui doit nous alerter. D’autres pratiques, par exemple le judo, ont été développées par des sachants religieux. De la même manière, la MPC n’est pas clairement spirituelle ; il n’y a pas d’incitation directe à adhérer aux croyances bouddhistes. C’est avant tout lié au fonctionnement du corps et de l’esprit.
Que dit ce projet de la vision de l’éducation portée par le gouvernement ?
Ces expérimentations sont surtout révélatrices de la vision de l’éducation portée par Jean-Michel Blanquer qui, sur des arguments de sécurité, de protection, veut encadrer les comportements de la jeunesse selon son idée du bien. L’éducation a pourtant vocation à aider les enfants à devenir pleinement citoyens par l’esprit critique et par l’émancipation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire