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mardi 13 juillet 2021

Pauline Londeix, stratège en médicaments pour tous

Par     Publié le 05 juillet 2021

La militante pour l’accès aux traitements pour tous, passée par Act Up, a contribué, au sein du réseau international qu’elle a rejoint, à faire plier Sanofi sur la tuberculose. Son nouveau combat : des vaccins contre le Covid-19 pour les pays du Sud.

Pauline Londeix à Rome, le 2 juillet 2021.

Pour nous rencontrer, Pauline Londeix propose une longue balade dans le parc de la Villa Borghèse, à Rome, où elle s’est récemment installée. Déambulant jusqu’au quartier de Testaccio, cette brunette au regard profond s’arrête devant une plaque commémorative signalant l’ancien terrain d’entraînement de l’AS Roma, un des clubs de football les plus populaires d’Italie. « Mon père m’a transmis le goût de l’Italie où il a longtemps vécu, en particulier celui de sa culture. Avec lui, je jouais au football et je discutais des tactiques de jeu », explique-t-elle avec passion. Son père, l’écrivain Georges Londeix (1932-2011), est l’auteur d’un roman intitulé Football, publié en 1972. C’est de lui que cette ardente militante pour l’accès aux médicaments pour tous a hérité son intérêt pour les stratégies.

En l’occurrence, celles par lesquelles l’industrie pharmaceutique met à profit le système des brevets, créé dans les années 1990 par l’Organisation mondiale du commerce. A 34 ans, cette ancienne d’Act Up est une des figures pionnières d’une nouvelle génération de militants déterminés à démonter le système des droits exclusifs par des méthodes mêlant usage stratégique de l’expertise et action savamment ciblée. C’est depuis la cuisine de son appartement de Testaccio qu’elle rédige les communiqués de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (Otmeds), créé en 2019 avec Jérôme Martin, rencontré à Act Up, et qu’elle démasque sans répit les failles dans les discours, notamment dans ceux justifiant le maintien des brevets sur les vaccins contre le Covid-19, au détriment des pays du Sud.

« Elle fait partie d’une nouvelle génération d’activistes qui se caractérisent par un très haut niveau de technicité et qui ont construit des réseaux de solidarité internationaux, formant une petite internationale très efficace. Ils sont très mobiles et très flexibles, à la fois dans le collectif et très indépendants. Derrière Otmeds, il y a toute une chaîne d’avocats et d’experts sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour répondre à des questions aussi pointues que l’accès aux matières premières des médicaments », observe le producteur de cinéma Hugues Charbonneau, à qui l’on doit 120 Battements par minute, rencontré à Act Up. « Pauline est à la fois très douce, toujours dans la pédagogie, mais elle est pugnace. Elle sait exactement ce qu’elle veut et elle avance tout le temps »,précise-t-il encore.

Souci d’équité, d’égalité

« C’est une militante constructive qui veut faire avancer les choses par souci d’équité, d’égalité », renchérit la Prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi, qui l’a recommandée comme membre du comité d’éthique de l’Institut Pasteur. « Son ouverture d’esprit est remarquable, insiste l’immunologue. Elle est née de la lutte VIH/sida mais elle va au-delà, avec une vision de la santé mondiale pour tous, de l’accès aux médicaments pour tous et sur toute la planète. »

« Pauline est capable d’amplifier une action menée à l’échelle locale pour lui donner une portée mondiale en élargissant les cibles, et de s’adresser aux décideurs par un langage direct qui les place face à ce qu’ils font vraiment », complète l’activiste Mike Frick, du Treatment Action Group (TAG), une émanation d’Act Up-New York. « Ce que j’admire chez Pauline, c’est le courage qu’elle a de prendre la parole pour poser les bonnes questions, les plus difficiles, dont on ne veut pas parler », souligne l’avocate militante brésilienne Marcela Fogaça Vieira.

Outre son métier d’écrivain, son père est, comme sa mère, enseignant en lettres classiques. Elle en a hérité le goût de la syntaxe et de la sémantique. Elle reçoit aussi de ses grands-parents maternels, engagés à gauche, l’injonction de lutter. Après son bac L, elle s’inscrit en faculté de lettres ainsi que dans divers partis politiques, sans pour autant y faire l’expérience décisive qu’elle recherche. Elle la trouve à Act Up-Paris, en 2005. « J’y suis allée parce que je suis lesbienne et Act Up était la seule organisation présente sur les droits des LGBT que je trouvais pertinente. Elle poussait les politiques dans leurs retranchements et cela me plaisait beaucoup », se souvient-elle. « Je me suis dit que j’étais exactement à l’endroit où je voulais être, pour faire de la politique qui ne soit pas politicienne, basée sur du concret, du pragmatique, avec un discours très précis, fondé sur les faits, pour faire bouger les choses », insiste-t-elle. Elle y milite au sein du pôle traitant de la prévention du VIH et des droits des LGBT.

« Prendre part »

En 2006, elle coordonne une campagne visant à obtenir le soutien du Parti socialiste (PS) sur l’égalité des droits des LGBT et, notamment, sur le mariage pour tous. Face à l’imprécision des réponses obtenues, elle propose d’occuper les locaux de la rue de Solférino, ce qui permet à Act Up d’obtenir l’adhésion publique de François Hollande au mariage pour tous. En 2008, le poste de coordination des questions internationales se libère et lui est proposé. Pauline Londeix devient alors salariée de l’association et se forme aux questions d’accès aux médicaments.

C’est à cette époque qu’au sein du monde de la lutte contre le sida elle rencontre Françoise Barré-Sinoussi, avec laquelle elle se lie d’amitié. « Chaque fois qu’elle me proposait de boire un café dans son bureau, je me disais que cela allait durer vingt minutes et, chaque fois, nous discutions trois ou quatre heures », se souvient Pauline Londeix. Lors de ses séjours en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est, elle découvre aussi les problématiques des pays où manquent des leviers essentiels pour l’accès aux médicaments, comme le savoir-faire pour la production ou l’accès aux matières premières. « J’ai eu l’impression que les activistes thaïlandais, indiens ou marocains faisaient très bien le travail que je voulais mener, et je voulais y prendre part. J’avais aussi l’impression qu’on était complètement inaudibles quand on parlait du prix et de l’accès aux médicaments en France »,insiste t-elle.

En 2012, elle quitte Act Up et devient consultante pour diverses ONG et associations de patients au Maroc et en Thaïlande, elle s’initie alors au montage de dossiers d’opposition aux brevets avec l’avocate argentine Lorena Di Giano ainsi qu’avec Marcela Fogaça Vieira, qu’elle rejoint au Brésil en 2015. A cette époque, les militants de l’accès aux médicaments, dont ceux du TAG, d’I-MAK, à New York, et de l’Asia Pacific Network of People Living with HIV, à Bangkok, s’allient pour anticiper l’arrivée de nouveaux traitements contre l’hépatite C et pour dévoiler la stratégie de commercialisation, par l’américain Gilead Sciences, d’un traitement révolutionnaire, le sofosbuvir.

La bataille contre Sanofi

Pauline Londeix monte au créneau en France et dénonce son coût prohibitif dans un rapport rédigé pour Médecins du monde en 2014, révélant les problématiques de l’accès aux médicaments dans les pays du Nord. Elle s’inspire aussi d’une méthode développée par I-MAK, mêlant analyses pharmacologiques et juridiques, pour dénoncer en 2019, avec le TAG, les dépôts abusifs de brevets par Sanofi sur un médicament-phare de la lutte contre la tuberculose, la rifapentine. Ensemble, ils contraignent la firme à la rétractation, puis sa lutte se poursuit à l’OMS, où elle force la France, aux côtés d’ONG dont Médecins sans frontières, à se positionner en faveur d’une résolution en discussion sur la transparence des prix des médicaments. Elle crée dans la foulée Otmeds, avec Jérôme Martin. « Elle a une capacité à prendre du recul et à analyser les rapports de force afin d’évaluer l’impact de nos actions de manière à toujours les réajuster », admire celui-ci.

Son combat paie et, en octobre 2020, Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, la recommande au conseil consultatif sur le coronavirus de la Ville de Paris, tandis que le député François Ruffin l’imagine en ministre de la santé.

Cette reconnaissance n’entame pourtant pas l’intégrité de Pauline Londeix. Elle veille aux valeurs qu’elle incarne et puise sa force dans le Cantal, dont son père était originaire. « Quand je me connecte à la nature, j’éprouve de l’humilité et je me rends compte à quel point la vie est fragile. Quand on travaille sur des questions politiques et qu’on côtoie les sphères de pouvoir, c’est important de se rappeler que la vie, ce n’est pas ça. La politique, c’est vital pour moi, mais c’est dérisoire par rapport à notre condition humaine »,conclut-elle.


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