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mardi 13 juillet 2021

Dans la peau d’un artiste de la préhistoire




EL PAÍS (MADRID)  

Cet article a été publié dans sa version originale le 16/06/2021.

Une équipe espagnole de chercheurs en archéologie expérimentale a reproduit les conditions de création des tout premiers peintres. Un véritable défi logistique.

La première fois qu’il s’est aventuré dans une grotte à la seule lumière d’une torche, l’archéologue Diego Garate a mesuré tout le défi technique qu’avait dû être celui des artistes de la préhistoire. “J’avais beaucoup de mal à avancer à l’intérieur de la grotte, moi qui m’étais habitué à les voir éclairées par des spots hyperpuissants”, explique-t-il. “Avec une torche, on voit tout en rouge. Il n’y a pas de spectre des couleurs, tout est dans la gamme des rouges.”

Ce test simple fait partie d’une série d’expérimentations imaginées pour mieux comprendre l’art rupestre : car pour appréhender les motivations des artistes, il faut aussi connaître leurs difficultés logistiques.

“Pour ces productions artistiques, les hommes préhistoriques ont mis en œuvre des chaînes logistiques complexes, et c’est ce qui nous intéresse : ils ont mobilisé des connaissances en spéléologie, des techniques d’éclairage, un savoir sur le milieu souterrain. Tout cela représente un investissement en temps et en hommes assez coûteux pour le groupe”, explique l’archéologue, directeur du projet “Before Art”, qui s’est donc notamment penché sur l’éclairage utilisé par les peintres rupestres.

Un spectacle visuel fascinant

“C’est une lumière vivante, dynamique et en perpétuel changement. Les flammes de la torche dansent, et c’est une dimension dont nous n’avions pas compris toute l’importance, poursuit Diego Garate, qui travaille à l’université de Cantabrie. Je n’avais pas mesuré à quel point l’éclairage du moment conditionne l’observation par l’artiste de son travail, dans une gamme de rouges très limitée. On se demande comment ils pouvaient essayer d’autres couleurs.”

Cette vision sur l’art est la grande révélation de ce travail, confirme María Ángeles Medina, de l’université de Cordoue, car on sait désormais que les conditions d’éclairage favorisaient la perception des couleurs ayant une grande longueur d’onde, comme le rouge et l’orange : “En fait, le spectacle visuel le plus fort dans une grotte ainsi éclairée, bien plus que la perception des couleurs, c’est le jeu des ombres.”

Les chercheurs se sont fondés sur les procédés de l’archéologie expérimentale : ils ont eu recours aux techniques propres à l’époque et au milieu concernés, puis ils ont effectué des mesures de lumière qui ont été intégrées à des programmes informatiques de modélisation des grottes.

Les archéologues tiennent par ailleurs un registre des vestiges d’outils d’éclairage mis au jour dans des grottes peintes, à l’image de celle d’Atxurra, située sur la commune de Lekeitio, dans la province de Vizcaya au Pays basque. Un demi-millier de petits morceaux de charbon laissés par les torches (“comme les petites mies de pain dans Hansel et Gretel !” s’amuse María Ángeles Medina), trois restes de feu, et une lampe [à huile] sculptée dans le grès, telle était la base de travail des archéologues.

Il leur fallut apprendre à fabriquer des torches et des lampes avec les matériaux du Paléolithique, avant de les utiliser dans une grotte semblable à celle d’Atxurra, mais dépourvue de vestiges archéologiques que la fumée et les flammes auraient pu endommager. Les archéologues ont ainsi confectionné des torches formées de branches nouées dans leur partie supérieure par des lianes, ce qui permet à la flamme d’être bien alimentée en oxygène et de se raviver avec les mouvements de son porteur. Selon l’humidité du bois, notamment, la torche restait enflammée de vingt à soixante minutes.

Trente-huit minutes de marche

“C’est la première fois qu’on analyse ainsi ces vestiges, et les informations qu’ils donnent sont riches”, se félicite María Ángeles Medina à propos de cette étude qu’elle a publiée avec Diego Garate et d’autres dans la revue PLOS, dans le cadre de sa thèse de doctorat.

Leur conclusion ? Les torches végétales et les lampes à graisse animale sont la combinaison idéale : les premières sont parfaites pour se déplacer dans la grotte, avec leur éclairage multidirectionnel, tandis que les secondes, qui durent plus longtemps et émettent moins de fumée que les torches et les feux, permettent de rester plus longtemps dans un espace clos et mal ventilé. “On ne va pas dans une caverne avec ces torches qui crachent de la fumée, ou bien on y reste”, résume Diego Garate. Les lampes ont cependant l’inconvénient de moins bien éclairer.

Ces facteurs, ainsi que les conditions propres à chaque grotte, permettent d’imaginer ce que vivaient ces artistes qui, à Atxurra par exemple, devaient marcher jusqu’à trente-huit minutes sous terre avant d’atteindre la paroi où ils exerçaient leur art. María Ángeles Medina explique :

Ils devaient apporter des torches de rechange, 2 kilos de bois, du combustible… Tout cela a un coût, économique et social aussi. Nous voulons pouvoir estimer le plus précisément possible cet effort, car c’est essentiel pour comprendre la place de l’art dans ces sociétés.”

Pour Diego Garate, cette approche expérimentale crée un cadre scientifique inédit dans l’étude traditionnelle de l’art paléolithique, qui s’est longtemps cantonnée à une histoire de l’art analysant les qualités esthétiques et techniques des figures peintes. “On est loin de l’image poussiéreuse de l’artiste préhistorique planté devant sa paroi à attendre l’inspiration, plaisante le chercheur. Les auteurs de ces œuvres pariétales se mettaient en quatre pour aller peindre dans des endroits dangereux parce que telle était leur envie. L’investissement logistique est la preuve de la prise de risque et de l’effort que cela représentait.”

 

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