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lundi 12 juillet 2021

Le secret élucidé de la forme fractale des choux


 



Par   Publié le 12 juillet 2021

Spectaculaires, les structures fragmentées et répétées que produisent les différentes variétés de « Brassica oleracea » découlent du destin contrarié des bourgeons, entre fleurs et tiges, révèle une équipe française.

Le chou romanesco offre un parfait exemple de structure fractale.

Quel est l’objet commun, mais pas banal, qui suscite à la fois l’aversion chez les enfants, la fascination chez un fameux mathématicien et l’admiration générale sur l’étal des marchés ? Réponse : le chou romanesco. Amis lecteurs, oubliez le bambin en vous qui détestait tant les choux. Chou-fleur, chou de Bruxelles, chou-rave, brocoli, chou romanesco… : aucun n’avait l’heur de vous plaire, malgré les efforts parentaux pour tenter de vous en faire avaler – hormis leurs homonymes à la crème.

Oubliez cet enfant, donc, pour contempler cette huitième merveille du monde : les inflorescences du romanesco. Avec leurs motifs coniques très prononcés qui rappellent la pyramide de Gizeh, quoique de dimensions plus modestes, ces constructions végétales doivent l’essentiel de leur architecture à Mère Nature. La main humaine n’est intervenue que secondairement dans la sélection de ces spectaculaires édifices.

Spectaculaire est le mot. « S’il n’existait pas dans la nature, le chou-fleur variété romanesco aurait dû être inventé par un fractaliste. Parmi les objets de tous les jours, c’est la meilleure illustration qui soit du concept de surface rugueuse mais riche en invariances », s’émerveillait le mathématicien polono-franco-américain Benoît Mandelbrot, découvreur des structures fractales (Université de tous les savoirs. Les Mathématiques, Odile Jacob, 2002). Ce chou est, en effet, un parfait exemple de structure fractale naturelle, à l’instar des flocons de neige ou des éponges. En clair, il présente une géométrie similaire quelle que soit l’échelle d’observation. En zoomant sur la pointe du chou, on retrouve l’ensemble de sa structure ; on parle de figure « auto-similaire » ou d’objet mathématique infiniment morcelé. Vertigineuse mise en abyme.

La domestication en cause

Mais comment ces brassicacées parviennent-elles à bâtir ces édifices hypnotiques ? Leurs secrets de fabrication, percés par une équipe française, sont divulgués dans la revue Science du 9 juillet. Tous les choux construisent des structures fractales, mais elles sont encore plus impressionnantes chez le romanesco. « Chez les choux domestiqués, l’ordre des fractales peut atteindre 7 ou 8 [le même motif est répété sur 7 ou 8 échelles], contre 2 ou 3 seulement chez leur ancêtre sauvage, explique François Parcy, du CNRS-CEA-Inrae à l’université de Grenoble-Alpes, qui a coordonné l’étude dans Science avec Christophe Godin, de l’Inria (ENS de Lyon, CNRS, Inrae). Notre étude illustre comment la sélection de mutations chez les plantes, au fil de la domestication, a modifié leur forme, de façon drastique parfois, pour donner les fruits ou les légumes que nous apprécions aujourd’hui. »

Première surprise : toutes les variétés de choux appartiennent à une seule et même espèce, Brassica oleracea, tout comme leur ancêtre sauvage. « Le chou est une des rares cultures originaires d’Europe. Très répandu dans la nourriture populaire, il a été domestiqué à partir de chou sauvage qu’on trouve encore en Bretagne et autour de la Méditerranée », raconte François Parcy. Dans la Grèce et la Rome antiques déjà, le chou-fleur était apprécié. En France, après avoir été boudé par les élites au Moyen Age, il devient à la mode à partir de la Renaissance. Louis XIV et Louis XV l’appréciaient, d’où la célèbre recette du potage du Barry créée à la cour, à base de ce légume.

« Les variétés domestiquées présentent trois grandes différences avec le chou sauvage, souligne François Parcy. Leur tige s’est considérablement épaissie. Elle ne s’allonge pas, si bien que les choux restent posés au sol. Enfin, et c’est ce que montre notre étude, ces variétés présentent un défaut d’identité florale à l’origine de leurs structures fractales»

Un gène « architecte floral »

Au plan botanique, la partie consommée des choux est un « méristème floral », ou plutôt préfloral. Autrement dit, c’est un tissu en croissance, constitué de cellules non différenciées, ou incomplètement différenciées. Chez le chou, ce tissu a commencé à se différencier en tissu floral. Mais ses édifices fractals, révèle l’équipe française, résultent d’un destin contrarié. Voici comment.

Les auteurs ont d’abord étudié la plante modèle Arabidopsis, qui appartient à la même famille que le chou. Il existe un mutant d’Arabidopsis qui forme de petits choux. Si, chez ce mutant, les chercheurs inactivent un gène nommé LEAFY, ces mini-choux ne se forment pas. Or ce gène LEAFY est un « architecte floral » : il gouverne la croissance des fleurs, ce qui a mis les chercheurs sur une piste. Il faut savoir que ce qui détermine le destin d’un bourgeon, c’est « une lutte d’influence entre quatre groupes de gènes. Deux les poussent vers une identité de tige, deux autres vers une identité de fleur »,détaille François Parcy.

« Pour connaître les effets de cette lutte d’influence génétique chez le chou, nous avons créé des plantes virtuelles », indique le généticien. Verdict, la seule façon d’obtenir des structures fractales, c’est de faire passer le chou par un état floral transitoire. « Ce qui donne au chou son apparence, c’est le fait que le bourgeon entame d’abord un trajet floral puis perd sa route pour se comporter comme une tige », résume François Parcy. Ce bref détour floral permet aux tiges du chou, à la différence des tiges normales, de croître sans feuilles et de se multiplier quasiment à l’infini. Autrement dit, des fleurs essaient de pousser à partir du bourgeon mais elles perdent rapidement leur identité florale pour se transformer en tiges, qui à leur tour tentent de produire de nouvelles fleurs, tout aussi fugaces, et ainsi de suite. Cette réaction en chaîne crée un amoncellement de tiges sur des tiges : une forme fractale. Les fleurs avortées ne font pas de pétales mais produisent, à la place, des tas de fleurettes semblables à des tiges.

Vitesses de croissance

Et la variété romanesco ? Sa forme saisissante s’explique par le fait que ses tiges produisent des bourgeons de plus en plus rapidement – alors que, chez le chou-fleur, le rythme de production est constant. Cette accélération confère à chacune de ses fleurettes une structure pyramidale. Le chou-fleur est tout aussi fractal, mais ses fleurettes sont noyées dans la masse.

Maintenant, entrons un peu dans le détail des luttes d’influence génétique qui œuvrent en silence, chez les brassicacées. Chez Arabidopsis, pour faire une fleur, le gène architecte floral (LEAFY) s’active mais il doit appeler en renfort deux autres gènes qui, en s’alliant avec lui, repoussent l’activité des gènes de tige. Chez le chou, ces deux renforts sont mutés : l’architecte n’arrive pas à repousser les gènes de tige, qui envahissent alors le territoire floral pour le transformer en tige.

Plus précisément encore, chez le chou-fleur, un de ces renforts est inactif mais l’autre est simplement retardé. Donc, pendant des semaines, aucun renfort floral n’est opérant : la plante crée alors son chou. Mais au bout de quelques semaines, le second renfort finit par s’activer. Résultat, au bout de chaque petite tige, des fleurs se forment. C’est pourquoi, quand on laisse évoluer un chou-fleur, il finit par porter des fleurs jaunes ou blanches, typiques du genre Brassica« Heureusement car, sinon, il n’y aurait pas de graines de chou-fleur ! », relève François Parcy. Mais, le plus souvent, ces choux sont récoltés avant qu’ils ne passent au stade de la floraison – et qu’on ne puisse plus les manger…

Ces travaux pourraient-ils avoir des retombées agronomiques ? « Au cours des cinq dernières années, le réchauffement climatique a entraîné une baisse de la production des choux-fleurs et des brocolis », relève Anne-Marie Chèvre, de l’Inrae à Rennes. Comment, dès lors, ménager ces choux ? Sous l’effet d’un coup de chaleur, par exemple, les choux-fleurs s’ouvrent, perdent leur aspect compact et les consommateurs les boudent. « On recherche des choux-fleurs qui résistent aux températures élevées », indique François Parcy.

La suite de Fibonacci entre en scène

Ces plantes, pour finir, offrent une autre curiosité mathématique. En plus de former des structures fractales, leurs fleurettes dessinent des spirales qui tournent dans les deux sens. Le nombre de spirales qui tournent vers la droite et le nombre de spirales qui tournent vers la gauche suivent la fameuse suite de Fibonacci – vous savez, cet objet arithmétique où chaque nombre, dans la suite, est la somme des deux précédents : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21… « Chez le chou-fleur, ces nombres sont le plus souvent égaux à 5 et 8,indique Christophe Godin. Chez le romanesco, ils varient selon la taille des fleurettes. Ils commencent avec 5 et 8, mais passent ensuite à 8 et 13, et peuvent monter encore plus haut»

En réalité, de nombreux végétaux forment de telles spirales, qu’on retrouve par exemple dans les pommes de pin, les inflorescences du tournesol… Dans tous les cas, les nombres de ces spirales font partie de la suite de Fibonacci. Depuis deux cents ans, le phénomène fascine les savants. Dès les années 1830, deux pionniers, les frères Bravais (Auguste, géologue et physicien, et Louis-François, botaniste), ont appréhendé l’essence des liens entre la phyllotaxie (l’étude de la disposition des bourgeons, des feuilles, des fleurs ou des fruits sur la tige d’une plante), la suite de Fibonacci et le fameux nombre d’or, ou « divine proportion », un rapport défini par une équation géométrique bien précise, qui vaut exactement 1,61803398. Ainsi, deux organes successifs, dans les plantes qui produisent de telles spirales, forment un angle approximativement égal à 137,5°, ou « angle d’or ».

Mais revenons à nos choux. Pourquoi le nombre de leurs spirales obéit-il à la suite de Fibonacci ? « Il s’agit bien d’un phénomène émergent. Les organes s’auto-organisent du fait de leur confinement dans un espace très réduit, au sommet des tiges, au cours de leur croissance. Le nombre de ces spirales augmente automatiquement avec le rythme de production de ces organes »,explique Christophe Godin.

Au fond, c’est bien parce que les choux font des fractales, encore et encore, qu’ils créent ces boules charnues et hypertrophiées appréciées des gourmets. Pas sûr, cependant, que cela réconcilie les enfants avec les maths.


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