Par Henri Seckel Publié le 06 juillet 2021
A Avignon, cette UMD est l’une des dix structures accueillant notamment les criminels déclarés irresponsables pénalement pour cause de trouble psychique.
Reportage. « J’ai tué quelqu’un. » Le visiteur n’a rien demandé, ne le connaît que depuis dix secondes, et voilà que José (le prénom a été modifié), 34 ans, cheveux gominés vers l’arrière, livre cet aveu les yeux dans les yeux. « On était en voiture. Il a insulté mon père, il a insulté ma mère, j’ai sorti un couteau, je l’ai planté là, raconte-t-il, index pointé vers le cœur. Je n’ai pas voulu faire ça, j’ai regretté un maximum. »
Regard neutre, ton neutre, aucune émotion apparente : les effets de sa maladie mentale, et des médicaments chargés de le stabiliser. Avec le même regard, le même ton, la même absence d’émotions, José dit qu’il aime effriter ses biscottes dans son lait le matin, et qu’il se réjouit que sa mère vienne lui rendre visite le lendemain et lui apporte des madeleines.
« On n’est pas juge, ni surveillant pénitentiaire. Ici, il n’y a que des soignants », dit Fabienne, chef de service
José est l’un des 51 patients de l’unité pour malades difficiles (UMD) de Montfavet, à Avignon (Vaucluse). Derrière le grillage délimitant la cour de son bâtiment, on aperçoit le mur d’enceinte de 5 mètres de haut, infranchissable, qui donne à l’endroit un air de prison. Les blouses blanches omniprésentes rappellent qu’il s’agit d’un hôpital. « Ce n’est pas un lieu de punition, c’est un lieu de soin. On n’est pas juge, ni surveillant pénitentiaire. Ici, il n’y a que des soignants », explique Fabienne, chef de service (le personnel a souhaité rester anonyme), qui souligne l’absence de barreaux aux fenêtres et de caméras de vidéosurveillance dans les couloirs.
Montfavet fut la deuxième UMD ouverte en France, en 1947. Le docteur Henri Colin, qui avait créé la première en 1910, à Villejuif (Val-de-Marne), avait imaginé cette structure pour « les récidivistes des asiles qui sont la terreur des autres malades et font le désespoir des médecins ». Ces lieux fermés et à l’écart sont l’équivalent en psychiatrie d’un service de réanimation, un ultime recours pour les cas les plus graves. « Le bout de l’entonnoir », résume Lylian, responsable d’équipe infirmière.
Trois types de patients
Montfavet et les neuf autres UMD françaises accueillent trois types de patients : les malades mentaux devenus ingérables en psychiatrie générale ; les détenus « en état d’aliénation mentale » (article D 398 du code de procédure pénale), qui ont sombré psychiquement en prison ; les criminels n’ayant pas été incarcérés, ni même jugés, souvent, car désignés pénalement irresponsables « en raison d’un trouble psychique » (article 122-1 du code pénal).
Un tiers des occupants de l’UMD de Montfavet étaient « 122-1 » dans les années 1990. Ils sont quatre actuellement, quatre autres sont « D 398 » – c’est le cas de José, qui pourrait bientôt devenir un « 122-1 » : son avocat espère convaincre la cour d’assises d’Aix-en-Provence, où se tiendra son procès, que son discernement était aboli lorsqu’il a tué.
Les patients regroupés ici (10 % de femmes) souffrent de troubles particulièrement graves (schizophréniques, en grande majorité). Certains ont commis des crimes terribles. Les mesures de sécurité sont strictes : les bâtiments sont en rez-de-chaussée, plus simples à surveiller ; aucune porte ne s’ouvre sans clé ; celles des chambres, équipées d’un hublot, sont impossibles à bloquer de l’intérieur ; lit, table et tabouret sont rivés au sol, toilettes et lavabo solidaires des parois, lampes protégées derrière un Plexiglas. Les patients ne se déplacent jamais seuls. Les soignants sont équipés d’un petit boîtier électronique à dégoupiller en cas d’urgence, pour avertir les autres.
« Ce qui est satisfaisant, c’est d’amener un patient à prendre conscience de sa maladie », explique Julie, psychiatre à l’UMD.
Mais ce qui frappe en entrant dans ces murs, où la verdure fait presque oublier le béton, c’est le silence. « L’intérieur d’une UMD, ce n’est pas la folie destructrice qu’on peut imaginer, ce n’est pas sensationnel, c’est relativement banal, explique Christine, chef du pôle UMD. Les moments de grande violence sont extrêmement rares. »
Ils existent, évidemment. Il faut souvent refaire les chambres, l’une d’elles est actuellement en chantier : son occupant a fracassé la cuvette des toilettes dans un accès de colère. Les agressions – entre patients ou envers les soignants – ont lieu. « Un patient peut entendre des voix qui lui disent de passer à l’acte, et alors, pour un mot, un regard, d’un coup, c’est le feu », dit Kevin, infirmier. Il faut parfois se mettre à quatre pour le maîtriser, le placer en isolement, l’attacher à un lit. « Quand ça s’agite, ça s’agite très fort, mais les urgences psychiatriques et les unités de crise en psychiatrie générale sont beaucoup plus agitées. Contraindre, attacher, piquer, ça se fait plutôt là-bas. Ici, c’est calme, très souvent. »
« Nous avons le luxe de la temporalité », se réjouit Lylian. A côté d’une psychiatrie générale en lambeaux faute de moyens, cette psychiatrie d’exception jouit d’un confort relatif, à commencer par le nombre d’infirmiers : cinq pour 12 patients (contre un pour 35). Les blouses blanches ont le temps de prendre leur temps, partager un café ou une cigarette, instaurer un lien de confiance. « Ne rien faire, c’est déjà faire quelque chose avec eux », sourit Kevin. Pas de recette systématique, chaque patient nécessite une écoute et des médicaments particuliers. « C’est de la dentelle », dit Lylian.
Séjour de un an à un an et demi
Diverses activités – musculation, piscine, pétanque, jardinage, céramique, etc. – rythment le quotidien. « Tout sert de support pour entrer en relation avec le patient et l’amener à parler de sa pathologie ou de son passage à l’acte », affirme Philippe, infirmier. Il faut connaître l’histoire d’un patient pour l’aider, mais les soignants ne font pas de distinction entre celui issu de la psychiatrie classique et un criminel « 122-1 ». « Si vous voyez en permanence la pancarte derrière chacun, vous allez traiter différemment les uns et les autres, dit Lylian. On prend en charge quelqu’un qui a une maladie psychiatrique, point. »
« Ce qui est satisfaisant, c’est d’amener un patient à prendre conscience de sa maladie, explique Julie, psychiatre à l’UMD. C’est de se rendre compte qu’il est en capacité de réfléchir et de repérer un fonctionnement dangereux pour lui ou pour les autres, de mettre des mots dessus et d’imaginer que, dans une situation identique, il ne repassera pas à l’acte. »
Un séjour en UMD dure normalement entre un an et un an et demi, avant un transfert en service de psychiatrie classique – toujours en milieu fermé. Le chemin vers la liberté, quand il existe, est très long : une commission composée de psychiatres extérieurs doit donner un avis favorable à la sortie de l’UMD, et cet avis doit être validé par le préfet ; puis, le patient, quelques années après son retour en psychiatrie classique, doit être vu par deux nouveaux psychiatres extérieurs – lesquels, sans se concerter, doivent garantir que l’intéressé ne présente plus de dangerosité –, et le préfet, une fois encore, doit donner son accord pour le bon de sortie. C’est très rare.
La durée d’une hospitalisation en psychiatrie est généralement bien supérieure à la peine de prison qu’aurait reçue un « 122-1 » en cas de procès. Un patient actuel de Montfavet est en UMD depuis 2005. Pierre-Just Marny, ancien « plus vieux détenu de France », avait, lui, passé trente-deux ans derrière ces murs. Lylian résume : « Quand on entre en prison, on sait quand on va en sortir. Quand on entre en psychiatrie, on ne sait jamais. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire