Par Romain Geoffroy Publié le 23 juin 2021
Dans un arrêt attendu, la Cour a confirmé une décision européenne selon laquelle on ne peut interdire la commercialisation de cannabidiol dans un Etat membre de l’UE s’il est produit légalement dans un autre Etat membre.
Une deuxième décision sur le CBD (cannabidiol) en deux semaines, et une nouvelle victoire pour les boutiques vendant ces produits. Dans un arrêt très attendu, la Cour de cassation a estimé mercredi 23 juin que, en vertu de la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne (UE), on ne peut interdire la commercialisation du CBD dans un Etat membre si ce produit est produit légalement dans un autre Etat membre.
La Cour de cassation a cassé un arrêt condamnant le gérant d’une boutique de Grenoble qui vendait des produits à base de CBD – la molécule non psychotrope du cannabis – et ordonné un nouveau procès à Paris. Dans cette affaire, les juges de la cour d’appel de Grenoble « n’ont pas recherché, alors que cela leur était demandé, si le CBD découvert dans le magasin tenu par le prévenu était fabriqué légalement dans un autre Etat de l’UE », explique-t-elle.
En juin 2019, le tribunal correctionnel de Grenoble avait relaxé le gérant du magasin des chefs de complicité d’acquisition, détention, offre ou cession non autorisée de produits stupéfiants. Le parquet avait fait appel. Un an plus tard, en juin 2020, la cour d’appel de Grenoble avait infirmé le jugement et déclaré coupable le gérant, qui avait formé un pourvoi en cassation.
Cette décision de la Cour de cassation vient ainsi appliquer l’arrêt rendu en novembre par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui était venu contredire les autorités françaises. La CJUE avait considéré que le CBD n’est pas un stupéfiant et que la libre circulation des marchandises ne permet pas à un pays de l’UE de s’opposer à sa commercialisation quand il est légalement produit dans un autre Etat membre. Et ce, même « lorsqu’il est extrait de la plante de Cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines ». Elle autorisait donc, de fait, la vente de produits importés, même si la France en interdit la production sur son sol.
Selon Ingrid Metton, avocate spécialisée dans les affaires de « cannabis light », « cet arrêt de la Cour de cassation dit que si le CBD est produit légalement dans l’UE et que le THC est à l’état de trace, le produit ne peut être qualifié de produit stupéfiant en France, peu importe qu’il s’agisse de fleurs ou de produit transformé ». « Ces produits peuvent donc être commercialisés », assure-t-elle. « Cette décision fait du CBD un produit lambda, à l’instar de tous produits issus d’une plante. »
« Les boutiques ont obtenu gain de cause »
Pour Yann Bisiou, spécialiste du droit de la drogue et cofondateur de l’association L630, qui milite pour une réforme des politiques publiques sur les drogues, la décision de la Cour de cassation mettra fin à la poursuite des boutiques qui vendaient du CBD importé de l’UE : « Les boutiques ont obtenu gain de cause. » « Reste à trancher si la France va rester un pays de consommateurs ou si elle autorisera la production, avec la création d’une filière, etc. », ajoute-t-il.
Le 15 juin, la plus haute instance judiciaire française avait déjà donné raison à une boutique de Dijon qui vendait des produits à base de CBD et contestait sa fermeture, prononcée en 2018 par les autorités. Mais cette décision n’avait qu’une portée limitée. Elle estimait que la fermeture de six mois de cette boutique avait été ordonnée de manière « prématurée », car décidée « en l’absence de détermination par expertise de l’origine du cannabidiol et de la présence de THC dans les produits saisis, au-delà du test effectué par les services de police ». Sans une expertise indépendante, il n’y avait pas de preuve « que les produits en cause entraient dans la catégorie des produits stupéfiants », écrivaient les juges.
Dans les dizaines d’affaires actuellement en cours devant les tribunaux en France, les poursuites reposent chaque fois sur l’arrêté de 1990 sur le cannabis, selon lequel « sont autorisées la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) de variétés de Cannabis sativa L. » si leur « teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol [ou THC] n’est pas supérieure à 0,2 % ». Or, le cannabidiol se trouvant principalement dans les feuilles et les fleurs de la plante – et non dans les fibres et les graines –, le texte tel qu’il est rédigé empêche théoriquement toute commercialisation de produits à base de CBD en France.
Dans l’attente d’une nouvelle réglementation
Mais depuis qu’elles ont été sommées par la CJUE, en novembre, de revoir leur copie, les autorités françaises travaillent sur une nouvelle réglementation. Le ministère de l’intérieur a révélé, fin mai, que le prochain cadre prévoyait que « l’autorisation de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation industrielles et commerciales du chanvre » soit « étendue à toutes les parties de la plante », sous réserve que la teneur en THC ainsi que celle des produits finis soient inférieures à 0,2 %. Une décision qui permettrait aux agriculteurs français de cultiver du CBD pour la fabrication de produits dérivés et clarifierait l’activité des boutiques spécialisées qui exerçaient jusqu’ici dans le flou et risquaient des poursuites judiciaires.
Selon cette prochaine réglementation, les boutiques spécialisées seraient ainsi autorisées à vendre divers produits – aliments, huiles, cosmétiques, e-cigarettes… à base de CBD –, mais ne pourraient en revanche pas commercialiser de fleurs brutes, car celles-ci contiennent des traces de THC, sont souvent fumées et mélangées à du tabac, ce qui est nocif pour la santé. Par ailleurs, en cas de contrôle policier, il faudrait les analyser pour les distinguer du cannabis stupéfiant.
Dans un communiqué, la Cour de cassation a précisé mercredi qu’elle « ne tranchait pas la question de savoir si la France peut valablement ou non se prévaloir de l’objectif de protection de la santé publique pour interdire la détention et la commercialisation de CBD sur son territoire ». Pour cela, les autorités devraient alors démontrer la dangerosité sanitaire du « cannabis light » sur la base des données scientifiques les plus récentes. Cependant, comme le relevait en novembre la CJUE, « d’après l’état actuel des connaissances scientifiques », le CBD, à la différence du THC,« n’apparaît pas avoir d’effet psychotrope ni d’effet nocif sur la santé humaine ».
Dans l’attente d’une nouvelle réglementation, la décision de la Cour de cassation représente, pour Me Metton, « un désaveu des autorités et du cadre très restrictif qu’ils espéraient mettre ». « La décision de la Cour de cassation sonne aujourd’hui comme un nouveau camouflet pour le gouvernement », a également réagi dans un communiqué Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre. « Dans ce contexte, il n’apparaît plus tenable pour le gouvernement de maintenir ses positions dogmatiques en la matière », insiste-t-il, fustigeant une « position prohibitionniste à l’encontre des produits CBD » justifiée par « des raisons devenues froidement politiques ».
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