Par Sandrine Cabut Publié le 21 juin 2021
REPORTAGE Souvent présentés comme caractéristiques de la « maladie des tics », les mots et gestes obscènes sont en fait des manifestations rares de cette pathologie. Reportage au CHU de Hautepierre, où l’on conjugue médicaments et thérapies comportementales.
Raclements de gorge, reniflements, bruits de bouche, clignements d’yeux, haussements d’épaules… Chez Khalil, 9 ans, les premiers signes sont apparus en grande section de maternelle. « C’était des petits trucs dont lui n’avait pas conscience au début », raconte sa mère. Elle s’est vite doutée que les « petits trucs » en question étaient des tics. Quelques années auparavant, son aîné avait reçu un diagnostic de syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) – patronyme du neurologue français qui a décrit la maladie en 1885. Pour reconnaître cette pathologie, qui se caractérise par l’association de tics moteurs et vocaux présents depuis au moins un an, il en avait alors fallu sept. Sept ans d’errance médicale, jusqu’à « tomber sur le bon médecin », raconte Karima. Pour le deuxième cas familial, celui de Khalil, cela a été plus facile.
Ce mardi d’avril, le jeune garçon a rendez-vous au CHU de Strasbourg, où il est suivi depuis le début de ses troubles. Dans le service de neurologie de l’hôpital de Hautepierre, une consultation consacrée à la « maladie des tics » est assurée par une équipe multidisciplinaire, constituée ce jour-là d’un neurologue, le professeur Mathieu Anheim, d’une pédopsychiatre, la docteure Agnès Gras-Vincendon, et d’une psychologue, Ileana Sima. C’est l’un des treize centres de compétence pour le SGT sur le territoire, le centre de référence étant à Paris, à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP).
Une capacité de contrôle
Assis à côté de sa mère, Khalil est calme et silencieux. Il n’a pas de tic évident, ni moteur ni vocal. L’effet des médicaments ? Au quotidien, il en prend deux : de l’aripiprazole (commercialisé notamment sous le nom d’Abilify) pour lutter contre les tics, mais aussi du méthylphénidate (Ritaline et consorts). Cette dernière molécule vise à traiter un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), détecté il y a un an.
« Quand je ne les prends pas, ça ne va pas trop », concède l’enfant, sans donner plus de détails. « Le traitement l’aide bien », acquiesce Karima, tout en décrivant la fluctuation des tics selon les périodes et les circonstances. « A l’école, par exemple, il se contrôle et il y a juste quelques petits bruits ou mouvements qui s’échappent, mais, quand il rentre à la maison, c’est plus important car il se relâche », assure cette maman de quatre enfants.
Une analyse partagée par le professeur Anheim. « Souvent, les parents racontent que leur enfant gigote tout le temps et a beaucoup de tics, et en consultation on ne voit pas grand-chose. Un tic, ça se contrôle, du moins temporairement,confirme le neurologue. C’est l’une des raisons pour lesquelles le syndrome de Gilles de la Tourette n’est pas toujours diagnostiqué. »
Les patients ont en effet une sensation prémonitoire (chaleur, tension…) de leurs tics, une prise de conscience qui intervient en moyenne trois ans après le début des troubles. Mathieu Anheim souligne aussi la variabilité du répertoire des tics dans le temps, un tic donné pouvant durer quelques mois avant de disparaître, remplacé par un autre. Leur déclenchement est aussi lié aux émotions (négatives comme positives) et à l’anxiété.
Pour ne pas passer à côté d’un diagnostic, ce spécialiste des maladies du mouvement – dont fait partie le SGT – demande à ses nouveaux patients d’amener des vidéos d’eux, filmés dans leur quotidien. Et il prête une oreille attentive à la salle d’attente, où les « tiqueurs » cherchent moins à se contenir.
Surtout des garçons
Méconnu du public mais aussi de beaucoup de médecins, ce trouble neurologique pas si rare (sa prévalence est estimée à 0,5 % chez les moins de 18 ans), et qui touche quatre fois plus les garçons, souffre surtout d’une sale réputation. « Beaucoup de personnes se font de mauvaises idées sur le Tourette, regrette ainsi la maman de Khalil. Quand je parle de mes enfants, la première réaction que je me prends en pleine figure, c’est : “Ah, ce sont les gens qui disent des gros mots”. Mais non pas toujours. »
Quand le diagnostic avait enfin été posé chez son premier fils, elle en avait pleuré de soulagement. « Après des années à courir les médecins, on a pu enfin avancer pour l’aider », se rappelle-t-elle. Un parcours loin d’être exceptionnel. « Les mères sont souvent culpabilisées », pointe Agnès Gras-Vincendon.
Les spécialistes déplorent l’image caricaturale du SGT, qui participe à la stigmatisation – voire au harcèlement – des tiqueurs et au sous-diagnostic, privant ainsi nombre de patients de traitements potentiellement efficaces. « Beaucoup de personnes et même de médecins croient que les propos et gestes obscènes, nommés respectivement coprolalie et copropraxie, sont des caractéristiques du syndrome de Gilles de la Tourette, mais ils ne sont présents que dans une minorité de cas. Parmi les 120 patients suivis dans le service, c’est moins de 5 % », insiste le professeur Anheim.
Anomalies dans les circuits cérébraux
Qu’ils soient classés comme simples – clignements d’yeux par exemple – ou complexes – mouvements coordonnés tels des sauts, répétitions de mots, voire de phrases –, les tics sont en tout cas rarement isolés. TDAH, troubles obsessionnels compulsifs (TOC) avec lesquels les tics sont d’ailleurs parfois confondus, troubles du spectre autistique, troubles des apprentissages, anxiété, ou encore automutilations… le syndrome de Gilles de la Tourette est très souvent associé à des troubles du neurodéveloppement ou des pathologies psychiatriques, plus ou moins sévères. Des anomalies dans les circuits cérébraux impliqués dans les mouvements sont en cause, possiblement liées à un défaut de maturation. Il existe une susceptibilité génétique, avec des variations identifiées sur des centaines de gènes.
Pour les petits patients, le handicap induit par les tics est très variable, mais dans trois quarts des cas, il s’améliore significativement à l’âge adulte. Ainsi d’Axel, 20 ans, suivi et traité par l’équipe strasbourgeoise depuis dix ans pour un SGT pénalisant socialement. « Maintenant, je n’ai quasiment plus de tics au travail. Chez moi, j’en ai un peu, mais ça me dérange de moins en moins », assure le jeune homme, cuisinier de profession. Pendant la consultation, sa maladie ne saute pas aux yeux, mais il en décrit parfaitement les accès : « Je sens que ça vient, je peux me retenir, mais, quand je fais mon tic, je suis soulagé. »
S’il en a probablement souffert dans l’enfance, Axel est persuadé que son Tourette ne lui a pas fermé de portes, et lui a même donné « une force en plus ». Pour autant, il préfère ne pas réduire la dose d’aripiprazole, ainsi que le lui propose le professeur Anheim. Il supporte bien ce médicament – classé dans les antipsychotiques – et, à chaque fois, les tentatives de diminution de posologie ont fait redoubler ses symptômes.
Quoique sans autorisation de mise sur le marché pour les tics, l’aripiprazole est l’un des traitements les plus prescrits, à petite dose. C’est devenu la « molécule de premier choix »,selon le protocole national de diagnostic et de soins du SGT de la Haute Autorité de santé, daté de 2016.
La prise en charge peut aussi faire appel à des psychothérapies de type thérapie comportementale et cognitive (TCC). Jusqu’ici, principalement deux techniques ont été validées, explique la psychologue Ileana Sima, du CHU de Strasbourg. « La thérapie par inversion d’habitude [Habit Reversal Training, ou HRP] consiste à trouver un comportement moteur socialement acceptable pour remplacer un tic donné, détaille-t-elle. L’autre technique, nommée exposition avec prévention de la réponse [Exposure Response Prevention, ou ERP], vise à améliorer le contrôle par la respiration profonde abdominale, elle a l’avantage de pouvoir agir sur tous les tics en même temps. »
Ces TCC peuvent être également réalisées en téléconsultation, ce qui est de plus en plus le cas depuis l’épidémie de Covid-19. « Les protocoles durent environ 12 séances et je demande d’emblée aux familles d’être cothérapeutes, pour poursuivre la thérapie à la maison », précise Ileana Sima.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire