Par Isabelle Rey-Lefebvre Publié le 22 juin 2021
Une plate-forme inter-Etats d’observation, d’échange des bonnes pratiques et d’initiatives en vue d’éradiquer ce fléau d’ici à 2030 a été lancée lundi 21 juin.
« Chaque nuit, dans toute l’Europe, 700 000 personnes dorment dans la rue – c’est 70 % de plus qu’il y a dix ans. Il est temps d’agir »,exhortait Nicolas Schmit, commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, sur Twitter, le 17 juin, à la veille de la réunion, lundi 21 juin, à Lisbonne, des chefs d’Etat européens. Lundi, les ministres du logement réunis par visioconférence, les institutions européennes, les représentants d’ONG et de collectivités locales ont officiellement lancé une plate-forme inter-Etats d’observation du sans-abrisme, d’échange des bonnes pratiques et d’initiatives en vue d’éradiquer ce fléau d’ici à 2030, une volonté déjà exprimée par le Parlement européen.
Les partenaires s’engagent sur les objectifs de proposer un logement d’urgence aux personnes sans-abri, ne pas laisser sortir d’une institution (prison, hôpital…) une personne sans offre de logement appropriée, et d’éviter les expulsions dans la mesure du possible.
La Fédération européenne des associations travaillant avec les sans-abri se réjouit de cette initiative et la Fondation Abbé Pierre dit, elle, attendre du gouvernement français « un engagement actif dans l’animation et la coordination de cette plate-forme » à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, qui débutera le 1er janvier 2022.
« La France soutient fortement l’objectif de tendre vers l’éradication du sans-abrisme en Europe et compte bien y prendre toute sa part, assure Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au logement. Nous sommes déjà très engagés avec le logement d’abord, avons bien évidemment signé la déclaration de Lisbonne et jouerons un rôle actif pour nourrir la plate-forme lancée aujourd’hui. » C’est, avec quelques années de retard et en termes plus prudents, ce qu’avait promis Emmanuel Macron, en juillet 2017, à peine élu : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus. C’est une question de dignité. »
« C’est un pas concret dans la mise en œuvre du principe 19 du socle européen des droits sociaux, l’accès à un logement abordable avec un accompagnement psychologique et social, rappelle Laurent Ghekiere, président de l’Observatoire européen du logement social d’Housing Europe. Sur cette plate-forme, l’Union européenne va aussi détailler de façon lisible les soutiens financiers sur lesquels les Etats membres pourront compter pour investir dans des infrastructures sociales », que sont le Fonds social européen pour la période 2021-2027, sur lequel la France peut émarger jusqu’à 6,6 milliards d’euros, le Fonds européen de développement régional, à hauteur de 9,1 milliards d’euros répartis entre régions françaises, et une fraction du plan de relance de 750 milliards d’euros, financé, lui, par l’emprunt, soit 4 milliards d’euros pour la France. « Ce dernier peut être mobilisé pour la rénovation thermique du parc HLM ou pour la construction neuve », précise M. Ghekiere.
« Un bien essentiel »
Il est loin le temps où la Commission européenne pourfendait la Suède et les Pays-Bas dotés, à ses yeux, de trop de logements sociaux, qui, selon la commission chargée de la concurrence, faussaient le marché immobilier et bridaient la libre concurrence… « On sent une évolution du regard européen sur le logement, désormais considéré comme un bien essentiel, plus seulement comme un bien de consommation, se félicite Sarah Coupechoux, chargée d’études à la Fondation Abbé Pierre. C’est sans doute parce que dans tous les pays, la déconnexion entre revenus et coût du logement est tangible : 10 % des ménages européens consacrent plus de 40 % de leurs revenus en dépenses de logement, un taux d’effort excessif. » Les jeunes sont les premières victimes : à Londres, Lisbonne, Paris ou Amsterdam, le loyer moyen d’un deux-pièces, à plus de 1 600 euros, dépasse souvent l’entièreté de leurs ressources.
Le sans-abrisme n’est que la partie visible de la crise du logement. Même l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’alarme, dans son rapport « Bâtir de meilleures politiques du logement » publié le 14 juin, de son coût, qui devient insupportable pour les classes moyennes. Elle invite les Etats à « réinvestir dans le logement abordable », terme international pour désigner le logement social, précisant : « Au cours de la décennie 2005-2015, le prix des logements et des loyers absorbe une part croissante des revenus des ménages, faisant passer de 26 % à 31 %, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, le taux d’effort pour les ménages à revenu intermédiaire », soit ceux qui gagnent entre 75 % et 200 % du revenu médian.
L’organisme international constate une déconnexion entre l’évolution fulgurante des prix de l’immobilier et celle, bien plus lente, des revenus, entre 2000 et 2020 : ainsi, en France, il fallait, selon l’OCDE, consacrer 7,8 années de revenus à l’achat d’un appartement de 100 mètres carrés en 2000, contre 13 années en 2020.
Dans la même période, les pays ont plutôt réduit leurs investissements publics dans le logement abordable, qui recule dans la zone OCDE, pour s’établir, aujourd’hui, à en moyenne 6 % du parc, avec de fortes disparités entre pays : les Pays-Bas sont champions du monde, à 38 %, suivis par l’Autriche (24 %), le Danemark (21 %), la Grande-Bretagne (17,4 %) puis la France (14 %).
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