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© Éditions de l’Atelier contemporain
Entre 1948 et 1962, le philosophe et écrivain Georges Bataille a eu la chance de visiter à plusieurs reprises la grotte de Lascaux (il n’est désormais plus possible de s’y rendre, et l’on doit se contenter de ses différentes répliques). Trois ans plus tard, en 1955 – soit quinze ans après la découverte fortuite par des adolescents de la grotte –, il décide alors de publier un ouvrage historique et philosophique consacré à ce qu’il considère comme le lieu de « la naissance de l’art ». Si les recherches archéologiques ont désormais révélé que Bataille n’était pas tout à fait correct dans ses intuitions (pré)historiques, il n’en reste pas moins que le philosophe a mis au jour un enjeu fondamental : art et humanité sont coextensifs. C’est en effet grâce au « miracle » de la représentation que l’homme peut pleinement devenir homme. Ce texte magnifique est republié aujourd’hui aux Éditions de l’Atelier contemporain.
- Le miracle de la grotte. Au « miracle grec », celui de Lascaux n’a rien à envier : dans l’obscurité apparaissent des fresques pleines d’allégresse et de grâce dont il est difficile de croire qu’elles datent de 18 000 ans tant elles ont « la fraîcheur de la jeunesse ». La grotte de Lascaux émerveille à deux titres. La découverte fortuite de cette grotte semble relever de l’impossible. Nous restons incrédules. Puis, nous comprenons que c’est au cœur de cette grotte que « l’humanité juvénile […] mesura l’étendue de sa richesse. De sa richesse, c’est-à-dire du pouvoir qu’elle avait d’atteindre l’inespéré, lemerveilleux ». C’est que, découvrant la représentation, l’homme de Lascaux en vient à comprendre qu’il n’est pas soumis à l’ordre naturel. Il devient au contraire l’homme des possibles, celui qui est capable de création.
- L’art comme parachèvement du jeu. Bataille reprend alors l’expression de l’historien Johan Huizinga (1872-1945), auteur d’Homo ludens (1938) pour désigner les artistes de Lascaux. En effet, au contraire de l’Homo faber – n’ayant que le travail pour unique horizon –, l’Homo ludensn’est pas un être « noué », enchaîné à la nature. La raison en est qu’il pratique une activité qui est sa propre finalité : le jeu. Pour Bataille, la forme la plus admirable du jeu est l’art. Or, l’homme de Lascaux est celui qui a précisément su « prêter au jeu la permanence et l’aspect merveilleux de l’œuvre d’art ». Mais cette découverte de l’art est aussi une manière pour l’homme de quitter le règne de « la nécessité » (celle qui lui impose de se préoccuper de sa survie) et de véritablement naître au monde, c’est à dire d’apporter de la nouveauté au monde.
- L’art libre. L’art de la grotte de Lascaux ne procède pas de la tradition mais part bien de la nature, que Bataille nomme le « dehors ». Au contraire de la tradition, qui viendrait « éliminer l’imprévu » et l’inattendu en imposant des règles préétablies à l’œuvre d’art, ce « dehors » assure « un nouveau parcours, ouvert et fulminant ». La nature ne cesse de solliciter l’homme de Lascaux, mais ce dernier lui oppose en retour un mouvement de spontanéité insoumise que Bataille nomme « le génie ».
- Le dépassement du naturalisme. Ainsi, en vertu de cette spontanéité, l’homme de Lascaux ne se contente pas d’imiter consciencieusement la nature. Bataille nous montre avec précision que l’immense et sauvage cavalcade animale ne relève pas de « l’imitation fidèle, naturaliste de l’apparence », mais bien du « schéma intelligible et naïf de la forme ». Le peu d’hommes représentés sont, quant à eux, encore plus schématiques que les animaux. En s’affranchissant du modèle de la nature, l’homme de Lascaux se fait homme libre.
Préfacé par Michel Surya, Lascaux ou la naissance de l’art, de Georges Bataille, vient de paraître aux Éditions de l’Atelier contemporain. 224 p. Disponible ici.
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