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lundi 21 juin 2021

En Inde, la double tragédie des orphelins du Covid-19, en proie aux trafiquants

Par   Publié le 21 juin 2021

Depuis le début de la pandémie, près de 30 000 enfants ont perdu au moins un parent dans le sous-continent. Les ONG tirent la sonnette d’alarme sur les dangers qu’ils encourent.

Du personnel de santé prend la température d’un enfant, à Ahmedabad (Inde), le 9 juin 2021.

Priyanka et Sonia (les prénoms ont été changés) sont encore sous le choc. Début mai, il n’a fallu que quelques jours au Covid-19 pour emporter la mère des deux jeunes filles et faire basculer leur vie. La santé de leur maman, une ouvrière agricole, s’est détériorée brutalement le 5 mai. « Sa température grimpait, elle avait le souffle court », se souvient la cadette, Priyanka. La mère de famille est morte le jour même, dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital, situé à trente kilomètres de leur village de l’Etat du Telangana, dans le sud du pays. Déjà orphelines de père, Priyanka, 16 ans, et Sonia, 19 ans, se sont retrouvées livrées à elles-mêmes.

Depuis le début de la pandémie, de nombreux enfants indiens ont perdu au moins un parent. Selon les données collectées par la Commission nationale de protection des droits de l’enfant, 3 621 sont devenus orphelins de leurs deux parents dans le pays depuis le 1er avril 2020, et 26 176 autres ont perdu un de leurs deux parents.

La pandémie n’est pas uniquement une crise sanitaire mais aussi une « crise des droits de l’enfant », selon l’Unicef. « Ces enfants ne vivent pas seulement une tragédie émotionnelle, ils courent aussi un risque élevé de négligence, d’abus et d’exploitation », met en garde Yasmin Ali Haque, la représentante de l’organisation en Inde.

Dans le cas de Priyanka et de Sonia, c’est un habitant de la localité qui a tiré la sonnette d’alarme. L’informateur, anonyme, a averti Bachpan Bachao Andolan (« Sauver le mouvement de la jeunesse »), l’ONG du militant des droits de l’enfant Kailash Satyarthi, prix Nobel de la paix 2014« Nous avons immédiatement prévenu les autorités, puis nous avons apporté aux deux filles des provisions, avant d’évaluer leur situation en matière de sécurité et de protection », indique Venkateshwarlu Ande, qui coordonne les activités de l’organisation dans la région.

Offres illégales dissimulant des pièges

Lorsque des offres d’adoption illégales ont commencé à apparaître sur les réseaux sociaux au début de mai 2021, l’Inde a soudain pris conscience de la grande vulnérabilité des enfants devenus orphelins à cause du Covid-19.

Certaines annonces sont glaçantes. « Petite fille de 2 ans, bébé garçon de 2 mois… Père et mère morts du Covid. Si quelqu’un est intéressé par une adoption (…) Enfants brahmanes », peut-on lire sur un message WhatsApp ayant largement circulé, faisant référence à la caste hindoue des brahmanes, considérée comme supérieure à toutes les autres. Adopter ou faire adopter des enfants en dehors des circuits officiels est illégal, et la ministre des femmes et du développement de l’enfant, Smriti Irani, a mis en garde le 4 mai contre ces offres qui dissimulent « des pièges ».

A Delhi, la Commission de la protection des droits de l’enfant a traqué ces posts sur les réseaux sociaux et sur les messageries instantanées. « Beaucoup partaient d’une bonne intention et leurs auteurs n’avaient pas réalisé qu’ils se mettaient dans l’illégalité, ni qu’ils mettaient les enfants en danger en divulguant de précieuses informations aux trafiquants », indique Anurag Kundu, à la tête de cette commission. Une dizaine de cas suspects ont été signalés à la police.

A deux reprises, les équipes de la protection de l’enfance – qui ont répondu aux annonces en se faisant passer pour des familles souhaitant adopter – se sont même vu demander de l’argent pour adopter un enfant (9 000 euros pour un garçon, 5 500 pour une fille). Selon la loi indienne, le statut d’orphelin doit être constaté par un agent assermenté, avant que l’enfant ne soit placé dans une institution, si aucun membre de sa famille ne peut l’accueillir.

Le fléau du travail infantile

Les orphelins représentent des cibles de choix pour les trafiquants. En Inde, 6 616 personnes ont été victimes de trafic en 2019, avant l’arrivée du Covid-19, parmi lesquelles 2 914 avaient moins de 18 ans, selon le National Crime Records Bureau, un service statistique du ministère de l’intérieur. Et le nombre de mineurs victimes de trafic aurait augmenté sous les effets de la pandémie, estime Bachpan Bachao Andolan. Entre avril 2020 et avril 2021, l’ONG affirme avoir sauvé plus de 7 500 enfants forcés à travailler ou réduits en esclavage.

Le travail infantile demeure un fléau : plus de 10 millions d’enfants de moins 14 ans sont contraints à travailler. Le gouvernement Modi avait rendu la loi plus stricte en 2016, en interdisant l’emploi chez les moins de 14 ans, ainsi que le recrutement des adolescents âgés de 14 à 18 ans dans les métiers dits « à risque ». Mais la réforme a maintenu une exception à la règle, dénoncée à maintes reprises par l’ONU et les ONG, autorisant les plus jeunes à travailler de façon légale dans les entreprises familiales « pendant les vacances scolaires et en dehors des heures de cours ».

Priyanka et Sonia ont été recueillies par leur oncle maternel, jugé apte à s’occuper de ses deux nièces. « Je peux leur offrir un toit et de la nourriture mais je n’ai pas assez d’argent pour leurs études », regrette cet agriculteur.

L’Etat du Telangana, à l’instar de nombreux autres, a mis en place une aide financière spéciale pour ces orphelins. Chaque mois, l’oncle doit recevoir 2 000 roupies par enfant à charge, soit un peu plus de 22 euros. Le premier ministre, Narendra Modi, a également annoncé, le 29 mai, la mise à disposition d’un million de roupies (11 321 euros) par orphelin, accessible à sa majorité sous forme d’une bourse mensuelle.

« Un enfant qui a perdu ses deux parents a tout perdu : ses rêves sont souvent brisés, car son éducation est mise en danger », souligne Dhananjay Tingal, directeur de Bachpan Bachao Andolan. Grâce aux fonds mobilisés par cette ONG, Sonia pourra finalement obtenir son diplôme dans le tourisme et Priyanka peut espérer devenir médecin un jour. Mais nombreux sont les enfants qui échappent aux mécanismes de protection de l’Etat et du milieu associatif.


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