De plus en plus de femmes et d'hommes déclarent avoir déjà été infidèles, selon plusieurs études. Des sites de rencontre comme Gleeden trouvent là un marché foisonnant.
Cette enquête a été réalisée par Christelle Murhula, dans le cadre du projet Lies (Leurres, illusions, énigmes, simulacres), le magazine école de la 40e promotion de l’Institut pratique de journalisme de Paris-Dauphine.
«37 ans en moyenne, cadre supérieure, citadine, mariée depuis plus de cinq ans et mère de deux enfants.» Ceci n’est pas une offre d’emploi ni un profil LinkedIn, mais le portrait-robot de la femme infidèle contemporaine, publié le 13 mars dernier par le site de rencontres extraconjugales Gleeden. L’enquête, menée à partir d’un brassage des données du million de femmes françaises inscrites sur la plateforme, apporte quelques éléments cocasses et inattendus à ce portrait : «De signe Sagittaire, 1,65 mètre avec petites rondeurs, personnalité ambitieuse, active, généreuse, indépendante, brune.» Maris vigilants, vous voilà prévenus !
Gleeden a interrogé de manière plus approfondie 52 clientes sur leurs motivations. Classiques au fond : réveiller une libido en berne, prouver qu’elles peuvent encore séduire ou plaire, ou bien encore avoir le besoin de se sentir exister en tant que femme. La plupart pratiquent une infidélité «invisible», afin de préserver leur union. «Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, elles aiment toujours leur conjoint et ne souhaitent pas s’en séparer, assure Solène Paillet, directrice de la communication et du marketing de la plate-forme. Elles ont juste besoin d’un peu d’extra dans une vie devenue trop ordinaire.»
Des motivations assez proches in fine de celles de leurs homologues masculins. Et un goût pour l’aventure très hexagonal. «L’amour à la française, s’il fallait le définir, ce ne serait pas la galanterie, mais plutôt l’infidélité»,rebondit Maïa Mazaurette, célèbre chroniqueuse de la vie amoureuse dans M, le magazine du Monde. Et d’ajouter: «La tolérance relative à l’infidélité est sans doute la seule spécificité française.»
De plus en plus de femmes libres
Chez les femmes, en tout cas, le goût pour l’infidélité progresse. En 2001 déjà, d’après une enquête de l’Ifop, un quart d’entre elles, en couple, déclaraient «avoir eu un rapport sexuel avec une autre personne que [leur] conjoint», contre 39% pour les hommes. En 2016, elles étaient 33%. Et 16% d’entre elles vivaient une relation extraconjugale au moment même de la réalisation de l’étude. D’année en année, l’Ifop a pris l’habitude de nous livrer une photographie complète de l’infidélité en France.
Parmi ses statistiques, des chiffres surprenants. On y découvre, par exemple, que 41% des femmes protestantes déclarent avoir été infidèles au moins une fois dans leur vie. À titre de comparaison, «seulement» 29% des catholiques pratiquantes ayant répondu à cette étude ont été infidèles au moins une fois. Y a-t-il plus de femmes infidèles à droite qu’à gauche ? Grâce à l’Ifop, nous pouvons apprendre qu’une majeure partie d’entre elles votent aux extrêmes : Front de gauche, Front national (aujourd’hui Rassemblement national) ou encore Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Alors que seulement 30% des femmes écologistes s’adonnent à la tromperie. L’un des chiffres les plus bas. Autre statistique marquante : près d’une femme sur deux résidant dans l’ex-région Languedoc-Roussillon a déjà eu un rapport sexuel avec une autre personne que son partenaire au cours de sa vie.
Ces différentes études, menées en 2014 et 2016, montrent également un certain nombre de tendances et d’évolutions. Durant cette période, le nombre de personnes, hommes et femmes confondus, déclarant avoir été infidèles a augmenté. Alors que les femmes étaient 31% à avoir trompé en 2014, elles sont 33% en 2016. Mais elles restent moins hardies que leurs homologues masculins, qui étaient 45% à se déclarer infidèles en 2014, contre 49% en 2016. L’écart entre les hommes et les femmes semble se creuser d’année en année. Toujours d’après l’Ifop, les candidates à l’adultère vivent en majorité dans l’agglomération parisienne, ou dans des villes de plus de 100 000 habitants. À l’image du portrait-robot produit par Gleeden : ses clientes habitent plutôt dans une ville de plus de 500 000 habitants.
Serait-on plus volage dans les grandes villes que dans les villages ? Voire plus à Paris que dans les autres grandes villes ? Cette fracture entre grandes villes et zones rurales pourrait avoir plusieurs explications. «Le nombre de possibilités de rencontres plus élevé dans les grandes villes, ou encore la grande liberté d’action qu’offre l’anonymat d’une métropole, analyse dans l’étude François Kraus, directeur du pôle politique de l’institut Ifop. Les spécificités des couples, comme la cohabitation sous le même toit moins fréquente, le mariage moins répandu, ou encore la mise en couple plus récente, les rendent moins stables et plus friables que dans le reste du pays.» Une analyse que partage Claudine Biland, docteure en psychologie sociale et spécialiste du mensonge. «Peut-être qu’à Paris, les gens sont plus libres par rapport aux mensonges et à l’infidélité, c’est sans doute plus assumé, alors que ça ne l’est pas en région», suppose-t-elle. Ce qui n’empêche pas Gleeden de «vouloir s’implanter dans les villes moyennes en France».
Plus le statut social est construit, explique l’étude Ifop, moins on est sensible aux effets de réputation ou au regard porté sur un éventuel écart. «Les individus ayant acquis une certaine respectabilité sociale par leur réussite professionnelle sont moins sensibles aux effets de réputation que pourrait avoir ce genre d’écart de conduite,précise François Klaus. Les milieux professionnels impliquant une forte mobilité ou des rencontres fréquentes favorisent un renouvellement des partenaires plus élevés que lorsque le milieu professionnel présente peu de possibilités de rencontres, comme par exemple les ouvriers à la chaîne.» Cela pourrait donc expliquer le nombre majoritaire de citadins provenant de catégories socioprofessionnelles supérieures inscrits sur le site de rencontre extraconjugal.
Au fond, les Français semblent beaucoup plus compréhensifs à l’égard de l’infidélité que les Anglo-Saxons. «Le mensonge, c’est un américanisme qui arrive chez nous : on voit ça dans toutes les séries télé où le vrai "crime" n’est pas l’infidélité mais le mensonge, note Maïa Mazaurette. Je ne sais pas si on entrera dans ce paradigme en France. J’ai quand même l’impression que l’idée d’avoir un jardin secret perdure. Et avoir un jardin secret, c’est quasiment un geste-santé.» Toujours selon l’Ifop, 63% des Français mariés ou en couple pensent qu’on peut aimer son conjoint tout en étant infidèle.
«Les valeurs de la fidélité sont moins importantes qu’avant, insiste Maïa Mazaurette. Les hommes ont toujours joui d’une chouette liberté sexuelle, mais maintenant on prend des permissions et on peut établir des contrats de couple différents.» À condition d’être discret : un Français sur trois déclare qu’il pourrait avoir une relation extraconjugale s’il est certain que personne ne soit un jour au courant. Et ils sont presque aussi nombreux à faire croire qu’ils sont célibataires sur les sites de rencontres.
L’adultère pour se soigner
C’est d’ailleurs pour exploiter ce marché prometteur que les frères Teddy et Ravy Truchot, aujourd’hui installés à Miami – comme toute l’équipe de la start-up qui se diversifie désormais dans les sextoys –, ont créé Gleeden en 2009. «Ils se sont rendu compte qu’il y avait un marché propice pour ça, confie Solène Paillet. On a jeté un pavé dans la mare, c’était novateur, provocateur. Mais ça a pris.» Dix ans plus tard, l’entreprise dit avoir plus de cinq millions de membres dans le monde, dont la moitié en France. Aujourd’hui, elle affiche un ratio élevé d’utilisatrices, avec 40% de femmes contre 60% d’hommes. «C’est comme dans la vie réelle. Il y a plus d’hommes, car ces derniers sont vraiment en recherche de séduction», décrit Solène Paillet.
De là à ce que l’infidélité soit socialement acceptée, il y a encore un pas qu’il ne faudrait pas allègrement franchir. «Les êtres humains ont pour règle implicite la confiance»,analyse Claudine Biland. Si l’adultère a toujours existé, l’afficher et l’assumer est une chose plus nouvelle, et par conséquent, plus difficilement acceptée. «La civilisation n’a pas changé, assure la spécialiste. Le mensonge n’est pas plus accepté qu’avant, ni l’infidélité d’ailleurs. C’est toujours connoté négativement.» Depuis 2015, les Associations familiales catholiques de France (AFC) traquent Gleeden pour incitation à l’infidélité. Selon cette confédération, le site violerait l’article 212 du Code civil, qui précise que les époux se doivent mutuellement «respect, fidélité, secours, assistance».
Après une grosse campagne de publicité nationale orchestrée par l’entreprise, la ville de Versailles a, de son côté, reçu plus de 500 plaintes. Les réseaux de transports franciliens ont fini par retirer les publicités de Gleeden dans le métro et sur les réseaux de bus dans les Yvelines, même si la plainte a été finalement jugée irrecevable par le tribunal de grande instance de Paris. «Cette attaque n’était pas justifiée, souligne Solène Pillet. En plus de vouloir censurer la publicité, ils ont voulu faire fermer le site. Or, si demain le site ferme, cela ne rendra pas nos membres fidèles pour autant. De plus, nous n’avons jamais enregistré autant d’inscriptions que lors du scandale.»
La pression de la monogamie
Le mot d’ordre de Gleeden pour se défendre face à ces attaques est la «souffrance». La souffrance de mentir à son conjoint, la souffrance d’être infidèle. «Nos clients s’inscrivent pour trouver une solution à leur mal-être. Ce n’est pas forcément joyeux, comme démarche, de franchir le pas de l’infidélité», confie la responsable marketing du site. D’ailleurs, un tiers des hommes et femmes mariés déclarent avoir eu au moins une relation extraconjugale durant leur mariage.
«Beaucoup de personnes inscrites sur Gleeden le sont car leur vie sexuelle et intime n’est pas satisfaisante, déclare la sexologue et thérapeute de couple Claire Alquier.L’infidélité peut très souvent toucher les deux parties dans un couple. La personne trompée et la personne qui trompe.» Le site met d’ailleurs en avant des experts, des psychologues ou des coachs pour les aider à gérer un certain sentiment de culpabilité, les relations exclusives étant encore considérées comme une certaine norme sociale.
«Les gens se mettent beaucoup la pression avec la monogamie, éclaire la chroniqueuse sexe Maïa Mazaurette.Alors que l’idée qu’il faille posséder la sexualité de son conjoint est quand même un peu bizarre à l’ère des tests de paternité et des préservatifs.» La monogamie serait donc dépassée de nos jours ? En tout cas, les différentes études sur l’infidélité montrent qu’au fil des décennies, une proportion croissante de personnes en couple ne limitent plus leur sexualité à leur sphère conjugale. À condition d’en avoir les moyens. «Avec tous les éléments attachés au couple comme l’argent, le foyer, ou encore le cercle d’amis, le risque de perdre son conjoint ou de vouloir s’éloigner fait peser des craintes bien concrètes sur la personne trahie, explique Maïa Mazaurette. À l’heure des "gilets jaunes", tout le monde n’a pas la liberté de se séparer ou de payer son loyer sans aide.»
Son conseil ? «Bien choisir sa formule de couple et faire savoir tout de suite qu’une formule, ça évolue. Il y a des gens qui préfèrent l’échangisme, le candaulisme [l’excitation à l’idée de partager son conjoint, ndlr], la monogamie radicale. La masse d’entre nous, je pense, préfère une infidélité invisible – "trompe-moi tant que je ne l’apprends jamais" – pour conserver leur couple en tant que partenariat. Je ne dis pas ça cruellement, au contraire : un bon partenariat, une bonne équipe, une bonne union est trop rare pour être flinguée pour des petites questions d’ego.»
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