Les CHU français accusent un retard dans la lutte contre l’omniprésence des industriels de la santé au sein même des établissements, révèle l’association pour une information médicale indépendante Formindep.
Les futurs médecins y sont formés, les médicaments les plus innovants y sont prescrits. C’est là aussi que sont hébergés les principaux centres de recherche. A plus d’un titre, les trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) français constituent des lieux stratégiques pour l’industrie de la santé, toujours en quête de « leaders d’opinion » et de gros prescripteurs pour assurer le succès de ses produits. Les relations étroites qui s’y nouent, propices aux conflits d’intérêts, ne sont pas sans conséquences sur la pratique médicale. Pourtant, les hôpitaux tardent à reconsidérer les vieilles habitudes et à se doter de pare-feu efficaces.
C’est ce que révèle l’étude réalisée par le Formindep, publiée mercredi 3 avril et dévoilée par Le Monde. Après avoir évalué à deux reprises les politiques de prévention des conflits d’intérêts des facultés de médecine, l’association pour une information médicale indépendante s’est intéressée, pour la première fois, aux hôpitaux universitaires. « C’est le principal endroit où les conflits d’intérêts se jouent, là où ils existent de façon la plus frontale, or aucune évaluation n’y a jamais été faite, ni par les pouvoirs publics ni par personne », explique Christian Guy-Coichard, coordinateur de l’étude et médecin à l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris).
Pour évaluer les politiques des établissements, le Formindep a établi, en 2017, une liste de vingt critères, notés chacun de 0 à 3, à partir des réponses fournies par les établissements ou, à défaut, sur la base de documents trouvés sur Internet (règlement intérieur, charte, etc.). Il a ensuite procédé au classement des trente-deux CHU.
Aucun hôpital n’a la moyenne
Les résultats sont mauvais. Sur un score maximal possible de 58 points, les notes s’échelonnent entre 0 et 24, aucun hôpital n’a donc la moyenne. Quinze CHU, soit pratiquement la moitié, ne marquent même pas un seul point. Soit par absence de politique, soit par absence de réponse malgré les relances de l’association. Parmi ces mauvais élèves, on trouve quelques poids lourds, comme les hôpitaux de Lyon ou Strasbourg. « On a pourtant été souples dans l’attribution des points », souligne-t-on au Formindep.
L’encadrement de la visite médicale, l’existence d’une charte de déontologie ou la transparence sur le financement de la recherche sont quelques-uns des critères retenus. Or, selon le Formindep, certains n’ont été satisfaits par aucun établissement. Aucun CHU n’a ainsi créé de base pour les déclarations des liens d’intérêts de ses salariés. Aucun ne finance la formation continue de ses médecins sans l’industrie. Aucun non plus n’oblige à la transparence quant à la publication des résultats des travaux de recherche menés par leurs équipes.
A la Conférence des directeurs généraux de CHU, on estime que « l’évaluation par le biais d’un simple questionnaire inspiré de méthodes anglo-saxonnes (…) ne suffit pas à avoir une vue complète de la situation ». On assure au contraire que « la prise de conscience est réelle ». Un groupe de travail doit d’ailleurs recenser les bonnes pratiques et faire des propositions d’ici à la fin de l’année pour une diffusion dans tous les établissements. « L’intention du Formindep est utile et louable, mais nous qui sommes à la tête de ces grandes structures, nous savons que c’est un domaine sensible et qu’il faut du temps pour que les choses bougent », complète Frédéric Boiron, directeur général du CHU de Lille (4 points au classement) et vice-président de la conférence.
« On a pas mal avancé »
Au regard de ces mauvais scores, quelques établissements font toutefois figure de bons élèves, comme Toulouse (24 points), l’AP-HP (20 points), l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM, 12 points) ou Montpellier (11 points). A Paris et Toulouse, l’implication des directeurs, Martin Hirsch, auteur, en 2011, de Pour en finir avec les conflits d’intérêts (Stock), et de Raymond Le Moign (avant qu’il ne devienne le directeur de cabinet de la ministre de la santé, Agnès Buzyn), explique en partie les bons scores.
A Toulouse, une trentaine de mesures ont été ou devaient être mises en œuvre, comme l’obligation pour tous les visiteurs médicaux de s’enregistrer, et de produire un rapport annuel de leurs visites. A l’AP-HP, qui concentre la moitié de la recherche médicale du pays, on s’est attaqué officiellement au problème en 2016. M. Hirsch dresse un premier bilan plutôt positif.
« Je ne prétends pas que le problème est résolu, mais on a pas mal avancé par rapport au néant d’avant. C’est plus long que ce que je souhaite, mais j’avance prudemment pour éviter que ça se retourne et qu’à la fin il y ait un retour en arrière. »
Très concrètement, l’AP-HP a mis en place une fondation qui assure l’interface entre les laboratoires pharmaceutiques et les équipes de recherche. Jusqu’alors, les financements étaient versés de façon plus ou moins opaque sur les comptes des « associations de service », des structures sur lesquelles personne n’avait de droit de regard. « La fondation coupe le lien direct entre l’industriel donateur et le service et permet plus de transparence », se félicite le patron de l’AP-HP. Les associations de service n’ont tout de même pas totalement disparu, nuance le Formindep.
A Paris, l’encadrement de la visite médicale, comme on nomme ces réunions d’information/promotion organisées par les commerciaux autour d’un petit-déjeuner ou d’un plateau-repas, a été renforcé. Mais pour M. Hirsch, difficile de faire davantage sans moyens supplémentaires. « Est-on capable de donner 5 000 euros à chaque service – nous en avons 750 – pour se passer de ce type de réunion ? Ce serait la solution. »
Si les CHU assurent se mobiliser désormais sur ce sujet, ils renvoient aussi les tutelles à leur responsabilité. « Tant que les praticiens (…) seront dépendants de l’industrie pour le financement de participation à des congrès ou à des manifestations scientifiques, la question des conflits d’intérêts restera posée », a répondu l’AP-HP au Formindep. L’association déplore par ailleurs le manque de contrôle et de sanctions pour faire appliquer les textes de loi déjà en place.
Un amendement débattu au Sénat en mai
La fréquence des contacts des étudiants de médecine avec l’industrie (petits déjeuners, déjeuners, séminaires de spécialité le week-end) est si problématique en matière d’indépendance que le gouvernement s’est saisi du sujet et a présenté un amendement en première lecture de la loi santé. Le texte qui modifie l’article 1453-7 du code de santé publique et vise à interdire « l’hospitalité » des industriels à l’égard des apprentis médecins doit être encore débattu au Sénat, en mai. Mais, au regard des nombreux témoignages recueillis par Le Monde, il en faudra davantage pour limiter l’influence des firmes à l’hôpital. Les approches sont multiples et les garde-fous manquent encore cruellement.
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