L’unité de dépistage précoce de l’autisme, ouverte en 2013 à l’hôpital Robert-Debré, reçoit 100 à 150 enfants par an de moins de trente mois.
Zaahid, 3 ans et 5 mois, une frimousse de chat, est allongé sur le tapis de la petite salle aveugle. Assis près de lui, son père. Aurore, l’orthophoniste, tend au petit garçon une souris mécanique. De la main, l’enfant la sollicite : c’est sa manière de lui demander de remonter le jouet. A travers une vitre sans tain, Audrey, l’infirmière puéricultrice, observe la scène. « Zaahid peut maintenant interagir avec autrui, il regarde parfois Aurore dans les yeux. Il y a un an, cela lui était impossible. Ses moyens de communication sociale se sont vraiment améliorés. Il est aussi en quête de réconfort dans les bras de son papa, c’est positif. » Audrey note « un petit maniérisme de la main » chez l’enfant. Une forme discrète de comportement stéréotypé, ces rituels qui sont une des signatures de l’autisme.
Nous sommes à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), à Paris. Plus précisément, dans l’unité de dépistage précoce du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent que dirige le professeur Richard Delorme. A l’entrée, on bute sur un fatras de jouets : un bambin vient d’y semer la pagaille. Le tout, sous les yeux attentifs d’une équipe de pointe. Le petit testeur de jeux, à son insu, a lui-même été testé. Pour son bien.
« Nous accueillons ici chaque semaine deux ou trois enfants de moins de 30 mois. Soit 100 à 150 enfants par an. Ils nous sont envoyés par des pédiatres, des médecins de PMI, des pédopsychiatres. Des parents très avertis s’adressent aussi à nous », indique la docteure Valérie Vantalon. La pédopsychiatre est chargée de cette unité de dépistage précoce, ouverte en 2013.
Une semaine durant, les jeunes enfants sont ici soumis à une batterie de tests. Tout y passe : leurs capacités d’interaction sociale, leur motricité fine et globale, leurs compétences cognitives et sensorielles, leurs éventuels symptômes d’autisme. Que ce soit pour un premier bilan diagnostique ou pour une réévaluation.
Zaahid, lui, est suivi ici depuis treize mois. Son bilan a révélé un trouble du spectre autistique (TSA) sévère. Il avait 2 ans et 2 mois, « mais 7 mois seulement d’âge développemental, dit son père. A 13 mois, il semblait pourtant normal. Il commençait même à dire “papa” et “maman”. Et puis il s’est mis à développer un étrange bruit de gorge. Quand je rentrais du travail, il ne me regardait pas, n’allait pas vers moi. Et il avait ce regard tourné vers le ciel, c’était terrible. »
La question de la guidance thérapeutique
Depuis son diagnostic, Zaahid a bénéficié d’une prise en charge auprès d’un orthophoniste, d’un psychologue et d’un psychomotricien, « en libéral, à nos frais. Si vous n’avez pas les moyens, comment faites-vous ? » L’enfant est aussi suivi par un pédopsychiatre de cet hôpital public. Aujourd’hui, le jeune garçon vous regarde parfois, de ses grands yeux noirs qui lui mangent le visage. Il ne parle toujours pas. « C’est sur cette dimension que nous devons le plus travailler », relève Aurore. L’enfant continue de produire ce bizarre son de gorge. « Mais le bruit est moins omniprésent », dit son père. Les écoles maternelles classiques ont refusé de l’accueillir : il ne parlait pas, n’était pas propre. Mais, grâce à l’obstination paternelle, il a pu faire sa rentrée de maternelle en septembre, aux frais de la famille, dans une unité spécialisée autisme (six enfants par classe) incluse dans un établissement privé parisien. « Depuis, nous avons vu d’autres progrès. Zaahid comprend ce qu’on lui dit. Il ne pleure plus face à autrui, arrive à s’intégrer dans le monde. Et n’a plus ces yeux perdus. »
Ses parents n’ont pas encore pu bénéficier d’une guidance thérapeutique. Ils vont se « tourner vers le libéral ». Mais, après la maternelle, où Zaahid ira-t-il ? L’inquiétude des parents pour l’avenir social de leurs enfants, ici, est une ombre permanente. Les Instituts médico-éducatifs (IME) sont saturés. « Pour avoir une place dans un IME de mon département, il y a quatre à cinq ans d’attente ! » Un mur contre lequel se cognent l’immense majorité des familles.
Léo (le prénom a été modifié), un blondinet de 26 mois, vient ici pour la première fois. « On s’inquiétait en raison d’un retard de langage à la crèche. » Mais le bout de chou, « très doux, très câlin », dit la mère, ne fait pas de crises ingérables : il ne correspond pas à l’image d’un enfant autiste. Alors ? « Léo fait des choses en décalage avec les enfants de son âge. Il ne sollicite ni les adultes ni les enfants de son âge. » L’enfant n’imite pas non plus les adultes, et manifeste des intérêts restreints. Sapins, voitures, machines à laver… : autant d’objets qui le fascinent. Doté d’une très bonne acuité visuelle, Léo est intolérant à certains bruits. Grâce à un pédopsychiatre à leur écoute, les parents ont assez vite obtenu un rendez-vous dans cet hôpital.
Sur l’autisme, ils sont incollables. « Le professeur Laurent Mottron, au Canada, souligne la nécessité de miser sur les forces de ces enfants atypiques, sur leurs compétences propres. Et non pas de vouloir à tout prix rendre l’enfant autiste semblable aux enfants neurotypiques ! », dit le père. Mais si les parents de Léo viennent ici, c’est bien pour faire un bilan susceptible de révéler les « faiblesses »de leur fils. Et pour mettre en place les accompagnements permettant de le « stimuler », si nécessaire. « Le plus dur, c’est de ne pas savoir si les signes de Léo vont régresser ou pas. Ni s’il va parvenir à verbaliser et intellectualiser. » C’est pourquoi, insistent ses parents, « nous avons voulu avoir un diagnostic rapide. Plus on intervient tôt, mieux c’est. »
Les données de la science confortent cette ténacité. « C’est une constante des études sur le sujet : dans l’autisme, la précocité des prises en charge est un facteur-clé de meilleur pronostic », confirme Richard Delorme.
Quid des frères et des sœurs d’un aîné qui présente un TSA ? Pour eux, le dépistage pourrait être ultraprécoce. « Si un aîné est porteur d’un TSA, son cadet a un risque démultiplié de développer un trouble du neurodéveloppement : TSA, trouble des apprentissages, trouble du déficit de l’attention… Il existe probablement des bases génétiques communes », explique la docteure Anita Beggiato. Cette neuropsychiatre est responsable du programme pilote qui propose ici à toutes les familles, depuis deux ans, un suivi de fratries jusqu’à l’âge de 3 ans. Si les symptômes propres à l’autisme ne se manifestent qu’à partir de la deuxième année de vie, certains signes moins spécifiques peuvent poindre dès la première année. « Les familles sont très demandeuses : elles sont inquiètes pour leurs cadets, même s’ils semblent aller bien. D’autant qu’elles n’ont pas de repères de développement typique. »
Quid de l’évolution ?
Voici Mimi (le prénom a été modifié), 2 ans tout juste, tranquille et résolue. Un de ses frères aînés est porteur d’un autisme. « Je vais faire de petits jeux avec Mimi pour voir comment elle réagit », explique Audrey à sa maman, qui s’inquiète d’un retard de langage. Audrey tend à la fillette un petit téléphone : la petite s’en saisit, le porte à son oreille, fait « Allô ». Bulles de savon, pile de cubes, petites voitures, toupie : un vrai festival. Mimi joue volontiers. Soudain, la petite repère, là-haut sur une étagère, un énorme ballon orange. Elle le réclame sans ambiguïté, avec un magnifique pointage du doigt – ce qu’un enfant autiste ne fait pas spontanément.
Première impression d’Audrey, qu’il faudra croiser avec les autres examens de la semaine : « Mimi a de bonnes imitations et beaucoup de compétences. Pour son âge, les interactions sociales pourraient être plus riches. Elle montre aussi une écholalie un peu accentuée. » Lors d’un précédent bilan, son hypersensibilité aux bruits et un maniérisme des mains avaient alerté l’équipe.
Arrive maintenant Ilan, 2 ans, accompagné de sa mère. Son frère aîné, Sami, 12 ans, polyhandicapé, est porteur d’un autisme avec un retard sévère. « On pense à une maladie génétique rare, mais on n’a rien trouvé », dit la maman. Pour elle, trouver un lieu d’accueil spécialisé pour Sami reste un parcours du combattant. Mais elle peut être rassurée par le suivi de ses deux autres garçons, Adam, 6 ans, et Ilan. « Ilan a une excellente évolution. Les différents domaines de son développement sont dans la moyenne, se réjouit la docteure Beggiato. Au niveau des compétences sociales, il n’y a pas de souci. Il est même un peu dans la provocation ! Il faudra surveiller une éventuelle hyperactivité. » Pour l’heure, le petit, levé aux aurores, bâille à n’en plus finir. « L’enjeu, pour vous, c’est de lui donner de l’attention, indépendamment de ses frères. »
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