Human Rights Watch dénonce l’absence d’accompagnement des élèves présentant un handicap dans les prestigieuses écoles prévues pour accueillir les enfants du personnel de l’Union européenne.
Lecture 4 min.
LETTRE DE BRUXELLES
Elle s’appelle « Louise » - un prénom d’emprunt. Elle est dyslexique et a dû quitter l’établissement scolaire où on lui refusait les quelques aménagements qui auraient pu l’aider, comme le droit de prendre des photos du tableau.
Il s’appelle « Xavier », il a un handicap intellectuel mais sa mère dit de lui qu’il a une mémoire géographique étonnante, connaît toutes les marques de voiture ainsi que deux opéras de Mozart par cœur. Son école n’a toutefois pas voulu tenter de valoriser ses dons, qu’elle juge « inutiles ». « Si vous ne faites pas partie des 95 % d’enfants qui se développent normalement en lecture, en écriture, en calcul, vous avez un gros problème, dit sa maman. Ceux qui sont un peu “défectueux”, ils font tout pour les rejeter ».
Claire est la mère d’un garçon de 16 ans qui a un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Elle explique qu’« il y a deux situations : soit les enfants sont jetés dehors, souvent parce qu’ils sont en échec. Soit ils sont isolés, pas soutenus, jusqu’à ce qu’ils décident de s’en aller d’eux-mêmes. » Elle a fini par retirer son fils et dit que tous les enfants qui recevaient un soutien scolaire dans la classe de son fils, à une exception près, sont partis, eux aussi. Découragés sans doute, honteux peut-être, blessés souvent.
Sanctuaires présumés de l’excellence
Des cas pas si rares ? Bien sûr, et aussi tristes les uns que les autres. Ils seraient banals, sans doute, si « Louise », « Xavier » et les autres ne fréquentaient pas des établissements un peu particuliers : les écoles européennes, sanctuaires présumés de l’excellence, boîtes à bac réputées, d’où sortiront sans doute quelques membres des élites de demain.
A Bruxelles – qui compte à elle seule quatre établissements –, à Luxembourg, aux Pays-Bas, les écoles font partie d’un réseau intergouvernemental qui accueille en grande majorité des membres du personnel de l’Union européenne. Et quelques enfants de privilégiés, non « eurocrates », qui jouent des coudes - et du portefeuille - pour inscrire leurs rejetons dans ces lieux du multilinguisme, de la cohabitation des nationalités et de la qualité du savoir transmis.
Des lieux aussi où, pensait-on, se transmettent les valeurs d’ouverture, d’égalité des chances et d’attention que la plupart des établissements scolaires habituels n’ont pas le temps, ou les moyens, d’appliquer, mais que l’Europe, elle, forte de son histoire, de sa morale et de son discours ne peut négliger.
Erreur, visiblement : un tout récent rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) vient briser le mythe. Très explicitement intitulé « Marche ou crève » cette étude montre que les treize établissements du réseau européen font beaucoup trop peu, voire rien, pour répondre aux besoins d’enfants handicapés.
Un constat ennuyeux pour ces institutions, alors qu’au chapitre de l’inclusion et des affaires sociales, la Commission de Bruxelles – qui fournit la moitié des budgets des écoles – « entend promouvoir une politique d’intégration active des personnes handicapées et encourage leur pleine participation à la société ». Une stratégie européenne 2010-2020 affirme, elle, huit objectifs dont « une éducation accessible à tous et l’apprentissage tout au long de la vie pour les élèves et les étudiants handicapés, grâce à l’égalité d’accès à des services de qualité et de formation ».
Paroles, paroles ? Le message n’a apparemment pas percolé si l’on en croit HRW. Les écoles européennes évoquent, certes, l’inclusion mais, selon l’ONG qui a interrogé de nombreux intervenants, « les enfants handicapés continuent d’y être rejetés, de subir des pressions pour changer d’école, ou de ne pas bénéficier des aménagements et du soutien qui leur permettraient d’apprendre et de s’épanouir dans un environnement inclusif ».
Harcèlement, convocations et plaintes
« Comment les institutions européennes peuvent-elles prétendre promouvoir cette inclusion et la diversité si les besoins des enfants de leurs propres employés ne sont pas satisfaits ? », interroge Lea Labaki, qui s’occupe du sort des personnes handicapées pour HRW. Yannis Vardakastanis, président du Forum européen des personnes handicapées, évoque, lui, « l’exemple irréprochable » que le système européen devrait offrir. Or, les écoles peuvent actuellement se déclarer « incapables » d’aider un enfant en difficulté.
Les parents d’un garçon souffrant de troubles d’apprentissage se sont entendus dire par un directeur que leur fils pourrait passer en secondaire, mais qu’il ne pourrait jamais atteindre le niveau nécessaire pour obtenir le Bac européen octroyé par le réseau et que, pour lui, l’école ne serait donc qu’une « sorte de garderie ».
D’autres témoins affirment qu’ils se sont, en fait, sentis poussés par les responsables à retirer leur enfant d’un établissement. Certains évoquent du harcèlement, à coups de convocations répétées et de plaintes sur les résultats ou le comportement de leur enfant. Des personnes interrogées tiennent cependant à souligner l’engagement personnel de quelques professeurs qui aident volontairement des élèves différents.
Les autres ? Ils sont souvent orientés vers des écoles privées – où les frais de scolarité, qui peuvent atteindre 50 000 euros par an, sont cofinancés par les institutions. La Commission paie ainsi, à l’heure actuelle, la scolarité de 70 enfants, pour un budget total de 1,5 million d’euros.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire