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dimanche 2 décembre 2018

Exposition : Sigmund Freud sur le divan

Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, éclaire le parcours de l’inventeur de la psychanalyse à travers 200 œuvres et objets.
Par Harry Bellet Publié le 30 novembre 2018

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Lecture 5 min.
   « Une leçon clinique à la Salpêtrière » (1887), d’André Brouillet.


« Une leçon clinique à la Salpêtrière » (1887), d’André Brouillet. PARIS, UNIVERSITÉ RENÉ-DESCARTES, MUSÉE D’HISTOIRE DE LA MÉDECINE

Sigmund Freud sur le ­divan de Jean Clair, c’est ce que propose en 200 œuvres et objets divers le Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Pari osé, pari encombré, mais pari gagné : avec Philippe Comar, professeur de dessin à l’Ecole nationale ­supérieure des beaux-arts, et Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, Jean Clair a réuni un ensemble qui, pour être profus, n’en est pas moins une passionnante plongée dans une des révolutions intellectuelles du XXe siècle.

Le lieu n’est pas neutre, qui expose un agnostique, « juif tout à fait sans Dieu », ainsi qu’il se définissait, précisant toutefois : « Qu’est-ce qui est encore juif chez toi (…) ? Encore beaucoup de choses, et probablement l’essentiel. » Les nazis ne s’y trompèrent pas, qui le contraignirent à l’exil. Le plus important est ailleurs, selon les commissaires de l’exposition : dans une capacité à interroger le monde et analyser sans fin les textes, les ­paroles, le Verbe qui, croit-on, le fondent.
Le Verbe, plus que les images. Freud a peu écrit sur les arts plastiques, mais les deux principaux textes qu’il leur a consacrés sont importants : celui où il traite du Moïse de Michel-Ange (Editions Points, 2016) est un exemple de précision descriptive, que devrait avoir lu tout étudiant en histoire de l’art, et celui intitulé Un souvenir d’enfance de ­Léonard de Vinci (PUF, 2012) est une autre leçon, en ce qu’elle apprend à se méfier des traductions : l’oiseau sur lequel il fonde son interprétation de l’homosexualité (par ailleurs attestée) du maître italien n’était pas celui qu’il croyait.

Plus de 3 000 « antiques »

Mais s’il a peu disserté sur les images, il en était entouré : plus de 3 000 antiques, des pièces d’archéologie d’à peu près toutes les périodes, encombraient son appartement viennois. Son rapport aux images et aux idoles est tout à fait singulier, même s’il a eu une prédilection pour celles qui pouvaient inspirer ses propres travaux, à en juger par les phallus fort nombreux, venus de Rome comme du Japon, ce qui tend à démontrer l’universalité du thème, ou cette délicieuse lampe à huile où une jeune femme, juchée sur un monsieur, s’applique à raviver sa flamme. Les figures montrant Œdipe et le Sphinx sont aussi, on l’aura deviné, bien représentées.
Les commissaires de l’exposition rappellent que les premiers travaux du jeune médecin étaient consacrés à l’anatomie comparée, et plus précisément à l’étude des organes sexuels des anguilles… De l’anguille à Blanche Wittmann, il n’y a qu’un pas, mais il est large : la dame était une des patientes du docteur Charcot, et sans doute la plus célèbre, « véritable pièce de laboratoire vivante », disaient les détracteurs du médecin, qui la soupçonnaient d’être comédienne plus qu’hystérique. Blanche Wittmann, c’est cette femme voluptueuse qui s’abandonne dans les bras d’un assistant durant Une leçon clinique à la Salpêtrière, célèbre tableau d’André Brouillet dont Freud possédait une reproduction. Pose théâtrale, qui convenait bien à ces leçons qui attiraient le Tout-Paris, du temps où l’analyse des maladies nerveuses était un rendez-vous mondain.
A Londres, il était de bon ton d’aller en société voir, après une visite au zoo, les fous encagés à Bedlam
On ne sait si les choses ont changé, mais elles viennent de loin. A Londres, il était de bon ton d’aller en société voir, après une visite au zoo, les fous encagés à Bedlam, peut-être le plus ancien asile d’aliénés puisqu’il ouvrit au XIVe siècle. Dans l’Europe des Lumières, on se passionna aussi pour le mesmérisme, qui postulait l’existence d’un fluide naturel magnétique capable de créer et de guérir les maladies : un baquet conçu par le bon docteur Franz Anton Mesmer, trône à l’entrée de l’exposition. L’époque était également à la physiognomonie du suisse Gaspard ­Lavater (1741-1801) : ce dernier pensait (après bien d’autres, l’idée remonte à l’Antiquité) que les ­visages reflètent l’expression des passions et s’employa à en dresser la nomenclature. On en retrouve des traces dans l’exposition, avec les surprenants bustes de Franz Xaver ­Messerschmidt (1736-1783), un ­artiste que des méchants esprits faisaient souffrir, notamment dans la région du bas-ventre, ­selon le témoignage d’un de ses amis. Freud a pu les connaître, ces têtes avaient été publiées en ­totalité dans la presse viennoise dès 1839.
Charlataneries ? Peut-être, mais tentatives de soins, en tout cas, plus humaines que les cages de Bedlam. En vedette donc, le docteur Charcot. Freud vient suivre ses leçons à Paris. Paul Richer (1849-1933) représente toutes les phases corporelles de l’hystérie. Daniel Vierge, en 1887, illustre l’Examen d’une malade à la table d’électrothérapie, ce qui rappelle que les électrochocs ne datent pas d’hier. Freud écoute, apprend, regarde, et se distrait de sa journée en allant au théâtre le soir voir jouer Sarah ­Bernhardt, qui interprète Théodora

Désintérêt apparent pour l’art de son temps

La suite est connue. Ce qui l’est moins, c’est le désintérêt apparent de Freud pour l’art de son temps. Les obsessions d’un Félicien Rops, les représentations crues de Rodin, de Klimt, de Schiele ou du jeune ­Picasso, il semble qu’il les ait ignorées, ce qui ne les empêche pas de pouvoir être lues à l’aune de ses travaux, comme le montre l’exposition. André Breton lui rend visite à Vienne en novembre 1921 : incompréhension réciproque. Même si le surréalisme lui fut totalement étranger, le mouvement lui doit beaucoup, et les tableaux le prouvent abondamment. Dans un autre registre, le Musée d’Orsay a prêté L’Origine du monde, le tableau de Gustave Courbet, lequel retrouve pour l’occasion le panneau peint par André Masson pour le cacher. La commande venait de son dernier propriétaire privé, le psychanalyste Jacques ­Lacan, dont les freudiens orthodoxes apprécieront diversement l’évocation ici.
L’exposition se clôt, ou presque, par l’évocation – c’est un moulage en plâtre du XIXe siècle – du Moïse de Michel-Ange. A cause de Lacan ? La ­colère du patriarche, s’apprêtant à passer un sérieux savon aux ­Hébreux qui n’ont pas respecté ses règles, est rapprochée de celle qu’a pu éprouver Freud en constatant que la science qu’il avait élaborée partait dans des directions qu’il désapprouvait, à commencer par celles impulsées par son disciple préféré, Carl Gustav Jung. Le « meurtre du père » suit des voies bien étranges.
On a écrit « ou presque », parce que le dernier tableau est un Mark Rothko. Pourquoi Rothko, totalement anachronique ? Peut-être parce qu’elle est un mystère, et que l’une des choses qui fascinent les psychanalystes, c’est bien celui de la création. Freud le prend à bras-le-corps dans Malaise dans la civilisation (1930), pour aussitôt admettre son impuissance à le décortiquer : « Malheureusement, c’est sur la beauté que la psychanalyse a le moins à nous dire… » Le Rothko est la seule œuvre reproduite au catalogue qui ne bénéficie pas d’une notice ou d’un texte explicatif, et c’est sur ce silence éloquent qu’on termine la visite : voilà qui ravira les lacaniens !

Les surréalistes ? Des fous intégraux !
En 1938, André Breton écrit, dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme : « Le surréalisme a été amené à attacher une importance particulière à la psychologie des processus du rêve chez Freud, et, d’une manière générale, chez cet auteur, à tout ce qui est l’élucidation, fondée sur l’exploration clinique, de la vie inconsciente. Nous n’en rejetons pas moins la plus grande partie de la philosophie de Freud comme métaphysique. »
Le 20 juillet de la même année 1938, Freud écrit à Stefan Zweig, qui lui avait demandé de recevoir Salvador Dali : « Jusqu’alors, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à 95 %, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses yeux candides de fanatique, et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à revoir mon opinion. »


« Sigmund Freud. Du regard à l’écoute ». Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 3e. Tél. : 01-53-01-86-53. Du mardi au vendredi de 11 heures à 18 heures, samedi et dimanche de 10 heures à 18 heures, jusqu’au 10 février 2019.

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