Coup de froid sur un gilet jaune
Neuf heures trente ce lundi matin, ils sont là tous les deux, lui tousse, crache, les yeux fiévreux, elle, inquiète, raconte un peu intimidée.
- Il a passé la nuit sur un rond-point à côté de chez nos enfants à Fréjus avec ses camarades gilets jaunes, il a pris froid, vous connaissez le bonhomme, maintenant il est malade comme un chien.
C’est vrai que je les connais bien tous les deux. Lui 70 ans, retraité du BTP. Elle, un an de moins, retraitée depuis trois ans, demi-solde, comme elle le revendique du fait de son parcours professionnel chaotique.
Sa voix a pris de l’assurance, elle voudrait se justifier, mon silence l’encourage.
- Vous comprenez docteur, les taxes, les impôts, tout augmente, nos retraites qui diminuent ; alors l’essence qui s’envole, ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Je l’écoute, mon esprit post soixante huitard enfoui depuis des lustres dans une vie de plus de 35 années de médecine générale refait doucement surface. Elle a raison.
En tant que femme et retraitée aujourd’hui -comme hier d’ailleurs- c’est la triple peine. Femme votre salaire de base est quasi toujours minoré, en tant que mère vous perdez promotion et trimestre pour élever vos enfants, bonne épouse, vous suivez votre conjoint et passez votre temps à la recherche d’un nouvel emploi. En bout de course, une retraite peau de chagrin.
Sentant mon approbation, son discours s’est durci, lui écoute et l’encourage.
- Les riches sont de plus en plus riches, ils ne payent pas d’impôts, plus d’ISF. Il faut se battre pour nos jeunes qui n’ont pas de boulots, je viens de la campagne, docteur, avant on avait une poste, une école, même un médecin dans mon village. Maintenant plus rien, alors on s’installe en ville si on peut.
- Même ma mutuelle a augmenté, je suis trop riche pour avoir la CMU ; et les aides sociales, c’est pour les autres. Vous savez bien docteur, il suffit d’être immigrés pour avoir tous les droits.
Je sentais que le monologue dérapait et que tous deux me renvoyaient vers un monde que je n’avais pas appréhendé. Un monde de déclassés, citoyens de souche comme ils le revendiquent mais de seconde zone, oubliés de la mondialisation, déçus par leurs hommes politiques. Ainsi après avoir raillé Trump et son électorat, ce dernier avait franchi l’Atlantique et s’exprimait bruyamment aujourd’hui chez nous.
Après leur départ, j’ai pris conscience que la lutte des classes confisquée par les partis politiques, les syndicats et leurs leaders nous revenait, avec les gilets jaunes, comme un boomerang, en pleine figure.
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