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samedi 22 décembre 2018

Loterie, liste de sans-abri « avérés » : les signes d’épuisement de l’hébergement d’urgence

Le 115, numéro national, ne répond quasiment plus, et de nombreuses familles sont contraintes de dormir dans la rue. Les préfectures créent de nouveaux critères pour choisir les SDF pris en charge.
Par Isabelle Rey-Lefebvre Publié le 22 décembre 2018

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Lecture 3 min.    Comme des milliers de personnes, un homme se prépare à passer la nuit dehors, à Paris, le 28 février.

Comme des milliers de personnes, un homme se prépare à passer la nuit dehors, à Paris, le 28 février. PHILIPPE LOPEZ / AFP
L’hiver 2018 ressemble aux précédents : malgré des efforts croissants pour ouvrir de nouvelles places – le gouvernement en a promis 7 000 et même 14 000 en cas de grand froid, s’ajoutant aux 138 000 pérennes –, le système d’hébergement d’urgence est à bout de souffle. Le ministre chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie, suit la situation, chaque semaine, par téléconférence avec les régions et assure que le gouvernement a fourni cette année « un effort sans précédent » de 2 milliards d’euros. Mais cela ne suffit pas.
A Paris, le Samusocial laisse, chaque soir, 500 personnes dites « en famille » et 57 personnes isolées sans solution. En Seine-Saint-Denis, ils sont 250 à rester dehors. Dans les Hauts-de-Seine, lorsqu’on est un enfant de 4 ans, on est déjà trop grand pour être d’office mis à l’abri. « Ici comme ailleurs, les travailleurs sociaux sont réduits à trier les hébergés, instaurer des priorités, des urgences dans l’urgence… C’est illégal », rappelle Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité.

A Toulouse, le 115 ne répond plus qu’à un appel sur dix et, quand il décroche, il oppose un refus à 95 % des demandes, laissant ainsi à la rue, chaque soir, de 50 à 70 personnes en famille et autant d’isolées : « Il n’y a aucune anticipation, les services de l’Etat ont lancé un appel aux associations fin octobre… pour une réponse mi-novembre ! Il faut arrêter de redécouvrir chaque année le problème », s’insurge Sylvie Fernandez, éducatrice au Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de Haute-Garonne, plate-forme départementale qui centralise les demandes.
« On finit par réclamer l’ouverture de gymnases, ce qui n’offre pas de solution digne car ce sont des salles où les surveillants sont obligés de laisser la lumière la nuit et où s’entassent, sur des lits picots, de 70 à 80 personnes, dans une grande promiscuité », explique Mme Fernandez. « Nous sommes impuissants à mettre les personnes en sécurité », renchérit sa collègue Valérie Gratias, dont l’équipe a fait grève début décembre non pour réclamer des avantages pour elle-même, mais pour trouver des solutions aux personnes dont elle a la charge.

« Un système qui tourne à vide »

A Lyon (Rhône), la situation devient dramatique : « Le nombre de places a, certes, été multiplié par quatre en dix ans, mais celui des demandeurs l’a été par vingt ! En 2008, nous avions de 100 à 130 appels sans réponse par semaine, aujourd’hui, nous en avons plus de 2 000 », alerte Maud Bigot, chef du Samusocial de Lyon.
Elle dénonce, en outre, le nouveau système mis en place par la préfecture : pendant le plan froid, du 1er novembre au 31 mars, les personnes sans-abri doivent désormais être labellisées « avérées à la rue » par un travailleur social, un élu ou un bénévole. Le SIAO du Rhône dresse alors la liste des « avérés » sans-abri, et commence pour eux une longue attente de quinze mois en moyenne pour être accueillis dans un centre d’hébergement.
« Nous perdons beaucoup d’énergie à signaler ces personnes plutôt qu’à les aider,constate Maud Bigot. Un homme nous a dit : C’est ce soir que j’ai froid, dans quinze mois je ne serai plus là. A quoi servez-vous ?, nous a lancés un autre, plus jeune… Nous assistons, impuissants, à la dégradation psychique et physique des personnes que nous sommes censés aider. »
Mme Bigot se souvient que, le 2 novembre, au cours d’une maraude, le camion s’est approché d’un couple et de ses deux enfants handicapés, réfugiés sous un Abribus et terrorisés car c’était leur toute première nuit à la rue : « Quand on leur a dit qu’ils ne seraient pas hébergés, la femme a fondu en larmes… Ce soir-là, je n’ai pas trouvé les mots. Je me suis dégoûtée… Le 115 devient la vitrine d’un système qui tourne à vide », résume-t-elle.

Tirage au sort

A Paris, l’accueil de jour pour les réfugiés est sous-dimensionné et un système « ahurissant », selon Louis Barda, de Médecins du monde, a été mis en place : les travailleurs sociaux tirent au sort ceux qui pourront en bénéficier : une boule verte piochée dans un sac, il entre ; une boule rouge, il reste dehors et attend la prochaine loterie, le lendemain.
« Nous reconnaissons les efforts du gouvernement, par exemple pour le renforcement des maraudes, et nous soutenons son plan “logement d’abord” qui commence à se concrétiser, mais n’est pas à l’échelle des besoins », estime Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, qui demande un moratoire des expulsions locatives, afin de ne pas alimenter le flux des sans-domicile, et une accélération de la production de logements sociaux pour reloger plus vite et mieux.

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