Paris, le jeudi 20 décembre 2018 - Après l’annonce, hier, de l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris et d’investigations internes au sein de l’AP-HP à la suite du décès inexpliqué d’une femme aux urgences de l’hôpital Lariboisière de Paris, douze heures après son arrivée, sans, semble-t-il, avoir été vue par un médecin, les réactions ont été véhémentes dans les médias. Consécutivement, l’AP-HP, l’organisation des urgences au niveau national et pour finir Agnès Buzyn ont été accusées de légèreté coupable dans cette affaire, dont de nombreux éléments doivent encore être précisés.
Patrick Pelloux de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) a néanmoins pu apporter quelques informations complémentaires dans les colonnes du Parisien : « il reste beaucoup de choses à déterminer pour comprendre ce qui s’est passé. Au bout de cinq heures, il semble qu’elle ait été appelée, et il n’y a pas eu de réponse. A-t-elle été cherchée alors ? On ne le sait pas. Était-elle dans le coma ? Il est sûr en tout cas qu’elle n’a pas vu de médecin. Son décès a ensuite été constaté à 6h20 mardi matin par le personnel des urgences au moment du changement d’équipes. Elle était décédée sur son brancard ».
Il ajoute que « sans préjuger de ce que dira l’enquête, et sans exonérer personne de ses responsabilités », ce drame « montre que le système des urgences est en train de craquer. A l’hôpital Lariboisière ils ont 300 passages par jour, avec des urgences médicales et médico-sociales ». Un point sur lequel il a été rejoint par de nombreux observateurs.
On a dit qu’il y aurait des morts !
Ce drame intervient en effet dans un contexte de fortes tensions sociales. Ainsi, en août dernier, les infirmières et les aides-soignantes de l'hôpital avaient manifesté pour dénoncer le manque d'effectif provoquant des temps d'attente trop longs aux urgences. Rassemblées devant l’entrée des urgences de l’hôpital Lariboisière, elles dénonçaient notamment des réductions de personnel qu’elles mettaient en rapport avec une hausse de 10 % des passages aux urgences en trois ans.
La direction de l'hôpital de Lariboisière avait alors assuré au journal Le Monde qu’elle « remplaçait systématiquement et sans délai l’ensemble des départs des agents des urgences » et que « tous les postes sont aujourd’hui pourvus ».
Revenant sur ces événements, Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France (AMUF) tonne sur France Info « les collègues de Lariboisière, cet été, ont tiré la sonnette d'alarme. Ils n'ont pas eu de réponse. Nous avons dit à l'époque qu'il y aurait des morts, c'est ce qui arrive aujourd'hui. Il y a des responsabilités, et les gens qui continuent de nous expliquer qu'on ne peut pas mettre de moyens supplémentaires à l'hôpital pour répondre aux besoins de la population : c'est scandaleux ! ».
« On sait que ce service de Lariboisière est un des plus gros services d'urgences, qui a été construit en 1997 pour 120 malades par jour, et ils sont à plus de 300 malades par jour, donc les équipes font ce qu'elles peuvent, avec ce qu'elles ont en terme de moyens, c'est-à-dire pas grand-chose (…) On ne peut pas débiter du malade comme on fait sur une chaîne de production, et c'est ce qu'on nous demande de faire en ce moment » a abondé le Pr Gérald Kierzek, urgentiste et chroniqueur santé sur Europe 1.
Noircissant davantage le tableau, un anesthésiste anonyme de l’AP-HP assène au quotidien Libération : « A Larib', quand les patients arrivent, ils sont certes bien vus par une infirmière. Ils sont ensuite conduits dans une salle de soins. Et là, rien. Il n’y a aucune surveillance. On peut y rester des heures, sans être vu. Je l’ai expérimenté ».
Le naufrage des hôpitaux de Paris…
Certains ont vu aussi dans cet événement un nouveau signe du « naufrage » des hôpitaux de Paris, alors que « le directeur de l'AP-HP Martin Hirsch nous a annoncé un nouveau plan de réduction d'effectifs de 800 à 1000 personnes par an pendant cinq ans » a rappelé Christophe Prudhomme.
Hasard du calendrier, ce « naufrage » a été évoqué juste avant cette affaire ne soit révélée. Ainsi, le neurologue et membre du Comité consultatif national d’éthique, Sophie Crozier, responsable de l'unité des urgences cérébro-vasculaires à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, prenait la parole dans Libération pour alerter : « chaque jour, nous sommes contraints de valider des situations inacceptables: ne pas pouvoir prendre des malades qui arrivent par les pompiers, par le Samu, des patients qui présentent un risque vital…».
…ou de toutes les urgences françaises ?
Allant crescendo, les accusations ont fini par viser l’ensemble de l’organisation des urgences de notre pays. « C’est encore un témoignage de cette surcharge qui est devenue insupportable dans les services d’urgence. Insupportable pour les patients, cette surcharge est également insupportable pour les personnels qui ne peuvent plus travailler dans ces conditions » a ainsi expliqué le président du Samu-Urgences de France, François Braun. Selon lui, les services d'urgence « ont craqué pour beaucoup. Ils tiennent à un fil pour la majorité ».
Dans son interview au Parisien, Patrick Pelloux a aussi signalé la responsabilité du ministre de la santé, pas assez à l’écoute de la base des soignants selon lui : « Agnès Buzyn réagit de façon trop lente face à ces nombreux dysfonctionnements du système des urgences. Elle ne semble faire confiance qu’au discours des grands chefs de service, mais c’est tout le système qui craque. Elle doit rapidement nous donner plus de moyens, car sinon d’autres drames, hélas, risquent de se reproduire ».
Peut-être doit-on redouter qu’il y ait « quelque chose de pourri » au royaume du « meilleur système de santé du monde ».
F.H.
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