Un succès ? Il est bien trop tôt pour le dire. Mais c’est au moins une mode, assurément. De tous côtés, les projets fleurissent autour de la téléconsultation. Depuis que l’assurance maladie, en accord avec les syndicats de médecins, a décidé le 15 septembre de prendre en charge la téléconsultation, les initiatives se multiplient. Les autorités tablent ainsi sur 500 000 actes en 2019 et jusqu’à 1,3 million à l’horizon 2021.
Un exemple de cet engouement ? Les start-up de la santé se sont toutes mises dans les starting-blocks. Une quarantaine d’entre elles se sont ainsi déclarées. Une acquisition a déjà eu lieu avec MesDocteurs rachetée par une mutuelle (Harmonie Mutuelle). Des plateformes de rendez-vous comme Doctolib se lancent aussi sur ce marché, manifestement prometteur.
Mais reprenons les règles du jeu. De quoi parle-t-on, précisément ? La téléconsultation est une consultation réalisée à distance par un médecin, le patient pouvant être assisté ou non par un autre professionnel de santé (infirmier, pharmacien…). Tout médecin, quels que soient sa spécialité et son lieu d’exercice, peut la pratiquer. Formellement, selon l’accord signé, le téléconsultant est censé connaître le patient, «ce qui implique de l’avoir vu au moins une fois lors d’une consultation physique». Mais voilà, les textes adoptés contiennent un grand nombre d’exceptions. Ainsi, le recours aux spécialistes (gynécologie, ophtalmologie, stomatologie, chirurgie orale ou en chirurgie maxillo-faciale, psychiatrie ou neuropsychiatrie et pédiatrie) en accès direct, sans passer par le médecin traitant, est possible dans les téléconsultations. Idem pour les patients âgés de moins de 16 ans dans les situations d’urgence, voire ceux ne disposant pas de médecin traitant ou dont le médecin traitant est indisponible : dans tous ces cas, il pourra «être fait exception au parcours de soins et à l’obligation de connaissance préalable du patient par le médecin pratiquant la téléconsultation». Voilà pour le cadre qui est, comme on le voit, modulable. Et de fait, les expériences sont sur le terrain très variées.
La lutte contre les déserts médicaux
Le maire de Saint-Georges-de-Rouelley, vieux paysan, le dit aussitôt, avec un accent roublard : «Vous connaissez un médecin ? Vous ne voulez pas nous sponsoriser ?» Son tout petit bourg du sud de la Manche, 560 habitants, n’a plus de docteur depuis plusieurs années. La population vieillit, les praticiens aussi, et ils ne sont pas remplacés quand ils partent à la retraite. Bilan, près d’un patient sur cinq n’a plus de médecin traitant. Les quelques infirmiers libéraux n’ont pas le choix : faute d’avis médical, les voilà contraints de faire appel à un médecin du Samu. S’y résigner ? C’est là que le Dr Grégory Szwarc prend le dossier en main. Travaillant au Samu mais aussi à SOS Médecins, ancien syndicaliste et passionné de télémédecine, il a de l’entregent, sait prendre son temps et monter des dossiers. En plus, il s’entend bien avec le vieux maire. Avec l’agence régionale de santé (ARS), les unions de médecins libéraux du département mais aussi les mairies et le CHU de Caen, un projet se concocte.
Certes, cela prend du temps, deux ans en tout, mais le 4 décembre, ça y est, dans la maison médicale où exercent déjà des infirmiers et des kinés, une pièce a été équipée, connectée avec les outils médicaux habituels. Sept médecins et une quinzaine d’infirmières sont de l’aventure. Chacun avec des temps de partage. Une cellule de coordination régionale de télémédecine fait le secrétariat et s’occupe de prévoir l’accompagnement avant, pendant et après la consultation. «Le rôle de l’infirmier est essentiel, insiste le Dr Szwarc. Notre premier patient était en obésité morbide, l’infirmier l’a accompagné dans la salle, l’a aidé à se déshabiller puis à s’installer. Beaucoup des patients ont des difficultés d’autonomie, et puis l’infirmier a commencé à remplir le dossier, et il a pris l’ordonnance.» «C’est top», lâche le maire, tout content de cette présence médicale, même virtuelle. Le Dr Swzarc ajoute : «Au début, le patient est un peu désorienté, mais après il n’arrête pas. Il en profite pour poser plein de questions. Je suis sûr, cela va aussi être un très bon outil de santé publique.» Bilan dans un an, pour l’ARS.
Des pharmacies s’y mettent
Autres lieux, autres images. Cette fois, la téléconsultation est utilisée… comme produit d’appel. Carine Monaco est ainsi responsable du groupement Positive Pharma qui coordonne une petite vingtaine d’officines à Lyon. Elle l’avoue aussitôt : «Ici, il y a une telle concurrence avec des grandes chaînes de pharmacie comme Lafayette ou Boticinal qu’il nous faut trouver des services qui nous différencient. Depuis un an, on y travaille, et la téléconsultation en pharmacie nous a paru très pertinente.» Et c’est parti. Lyon n’est certes pas un désert médical, mais comme dans la plupart des grandes agglomérations, le temps d’attente pour un rendez-vous avec un spécialiste peut être long.
Carine Monaco l’affirme :«Là, avec notre organisation, il faudra compter quinze à vingt minutes d’attente au maximum pour obtenir une téléconsultation avec un généraliste, et autour de trois jours pour un rendez-vous avec un spécialiste.» Selon elle, la clé est dans le réseau de 70 médecins inscrits sur une plateforme. Installés un peu partout en France, ces praticiens vont se relayer en fonction de leur disponibilité pour ausculter, par caméras et écrans interposés, les malades venus dans les pharmacies, au nombre de quatre à proposer ce service depuis la mi-décembre. Les cabines de téléconsultation ont été installées dans les lieux de confidentialité que chaque officine se doit d’avoir. Un système informatique a été mis en place. Et on attend le chaland. Carine Monaco se montre confiante. D’autant que l’assurance maladie a signé le 6 décembre un accord avec les principaux syndicats de pharmaciens, leur proposant plusieurs niveaux d’aides pour équiper les officines des objets médicaux connectés mais aussi pour «indemniser le pharmacien pour son temps passé dans l’accompagnement des soins».
En prison, pour éviter les extractions
C’est presque un vétéran. «Des téléconsultations ? Nous en faisons maintenant depuis quelques années», raconte le Dr Jacques Cogitore, médecin généraliste et référent de l’unité sanitaire à la maison centrale d’Ensisheim. L’initiative du dispositif dans cette prison du Haut-Rhin lui revient et marche bien, même s’il manque encore quelques médecins à l’appel. «Les téléconsultations en prison ont des avantages énormes, dit-il. Elles évitent notamment les extractions qui sont extrêmement lourdes et chères. Il faut une escorte et un fourgon, et à l’hôpital, si le détenu est à surveiller particulièrement, c’est toute la structure qui se retrouve en état de siège. En plus, l’escorte ne permet guère de confidentialité.»Pendant des années, il a travaillé sur un projet qui a traîné, faute de crédits. Des budgets spéciaux ont finalement été dégagés par l’ARS. En 2015, tout se passait dans une salle spéciale de l’infirmerie. Depuis, des sociétés commerciales ont conçu des chariots avec des écrans et du matériel qui permettent de se déplacer. «C’est très utile pour des consultations de spécialistes, comme la dermatologie, l’orthopédie, voire des consultations de pré-anesthésie. On aimerait pouvoir en faire en cardiologie, en pneumo, mais encore faut-il trouver des médecins.» Et le Dr Cogitore de noter que ces téléconsultations sont plutôt assurées par des médecins à diplôme étranger. «Les détenus ? Ils aiment bien, c’est rapide. Avant, certains refusaient d’aller à l’hôpital, car ils étaient tout le temps menottés. Là, cela se passe bien, il y a tout le temps quelqu’un de présent, un infirmier ou moi-même.»Une contrainte néanmoins : «C’est assez chronophage.»
Désormais, ce sont près d’une soixantaine de consultations qui sont ainsi réalisées chaque année dans cette prison. Une goutte d’eau, diront certains. Mais en France, la pratique se répand. Comme à Valenciennes ou à Moulins-Yzeure (Allier). Et plus d’une dizaine de projets sont à deux doigts d’aboutir.
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