| 20.09.2018
Crédit Photo : S. Toubon
De la bonne volonté sur le papier mais des mesures incertaines et un manque de moyens. Voilà qui résume le ressenti du monde hospitalier (praticiens, fédérations) après l'annonce du plan santé 2022. S’ils partagent une bonne partie du diagnostic et de la stratégie (notamment une gradation plus lisible et des mesures pour les carrières médicales), beaucoup pointent déjà l'insuffisance de moyens pour organiser la recomposition hospitalière.
Traiter le mal par la racine
« Qui trop embrasse mal étreint », résume joliment le Dr Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). La psychiatre nantaise se félicite de « l'ambition importante » portée par le président de la République mais craint qu'en ouvrant trop de portes, l'exécutif ne traite jamais le mal à la racine. « Pour une transformation de cette ampleur, il faut des moyens et 400 millions [pour 2019] ce n'est même pas le budget de mon hôpital », déplore la chef du service de psychiatrie du CHU ligérien. Elle salue les avancées en matière d'attractivité des carrières hospitalières, notamment la création d'un statut unique de praticien hospitalier (PH) afin de faciliter l'exercice mixte ville/hôpital. Néanmoins, la psychiatre aurait apprécié l'annonce de mesures claires de revalorisation statutaire. « Les parcours diversifiés, c'est très bien, mais comment on les rémunère ? »
La situation de la psychiatrie inquiète particulièrement Rachel Bocher car « c'est là où il y a le plus de tensions et de demandes », et ce malgré la création d'un fonds d'innovation de dix millions d'euros et le déploiement des infirmières en pratique avancée (IPA) dans cette spécialité.
« Une musique plaisante, des paroles inaudibles »
Jacques Trévidic, président d'Action praticiens hôpital (APH) se montre plus optimiste que son homologue de l'INPH quant aux annonces de l'exécutif. Le pharmacien qualifie la réforme de « moment refondateur » et salue la fin du « gâchis humain » avec la suppression du numerus clausus, le désengorgement des services hospitaliers grâce au développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou la restructuration des petits plateaux techniques avec la création du label « hôpital de proximité ». Côté exercice, outre les mesures d'attractivité pour les PH, le patron d'APH applaudit la réhabilitation des services dans l'organisation hospitalière et la création de commissions médicale d'établissement (CME) à l'échelle des groupements hospitaliers de territoire (GHT), revendication ancienne de son syndicat. « Il est important d'impliquer le médecin dans les processus décisionnels, sinon il passe pour un prestataire. »
Mais lui aussi déplore le manque de moyens en comparaison des efforts réclamés aux hôpitaux (1,2 milliard d'euros sur la masse salariale d'ici à 2022). Tout reste à faire pour le pharmacien. « Les principes, c'est une chose, maintenant il va falloir travailler la mise en musique. »
Pour le Dr François Braun, patron de SAMU-Urgences de France (SUDF), les mots du président de la République ont été « rassurants ». Ébranlés par « l'affaire Naomi », les SAMU et services d'urgences sont en première ligne des difficultés à l'hôpital. Le Dr Braun se réjouit en particulier de la « réorganisation du temps médical » et de la coopération ville/hôpital souhaitée par le président. « C'est ce dont nous avons le plus besoin aujourd'hui. »
Le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) est carrément enthousiaste. « C'est un discours politique révolutionnaire. Macron a souligné le vrai problème sur l'accès aux soins, la répartition des tâches, les maisons médicales de garde, les soins non programmés. Dont acte ! Il relance la permanence des soins, c'est inespéré concernant les urgences. »
Les managers déchantent, les cliniques jubilent
Jérémie Sécher, président du Syndicat des managers publics de santé (SMPS) a entendu une « musique plaisante mais des paroles inaudibles ». Le chef de file des managers, qui reconnaît des « bonnes intentions » (la proximité, l'équipe de soins, le numérique, etc.) redoute une bureaucratisation accrue du système avec le déploiement des CPTS qualifiées de « bidule créé par Marisol Touraine » ou le renforcement des ARS. Pour le patron des cadres hospitaliers, le big bang de la confiance et de la décentralisation n'est pas au rendez-vous. En creux, la critique porte sur le manque de reconnaissance des manageurs. « On ne réforme pas en se méfiant de ceux et celles qui ont en charge le management du système hospitalier », analyse Jérémie Sécher.
Du côté des fédérations hospitalières, le plan a été plutôt bien accueilli, avec des nuances. À chaud, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) Frédéric Valletoux saluait « un bon diagnostic » (volonté de faire tomber les murs, approche territoriale et populationnelle, création d'urgences de ville, ) mais déplorait « un manque d'ambition pour l'hôpital » dans les moyens mobilisés (réaction complète ici).
Son homologue du privé, lui, ne cache pas sa joie. « Voilà une réforme à la hauteur des enjeux et qui témoigne d’un engagement fort », s'enthousiasme Lamine Gharbi, patron de la FHP. Il voit dans la création des « hôpitaux de proximité » publics et privés un acte « malin politiquement » dans le sens où cette nouvelle labellisation (intégrant biologie et imagerie) fait d'une pierre deux coups : inclure les cliniques privées tout en relançant les hôpitaux locaux. La nécessité pour les groupements hospitaliers de territoire (GHT) de coopérer avec le secteur privé témoigne de cette démarche favorable. Seul bémol à ses yeux, le « coup » porté à la T2A avec l'expérimentation de nouveaux modèles de tarification mixte. À ce jour, 98 % du budget des établissements privés repose sur la T2A.
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