L’avortement est un acte courant, concernant une femme sur trois dans sa vie sexuelle. Le maintien d’une clause de conscience spécifique facilite le refus de soins s’indignent quatre professionnelles de la santé dans une tribune au « Monde ».
LE MONDE | | Par Collectif
Tribune. Chacune et chacun peut penser ce qu’elle ou ce qu’il veut de l’IVG. Tous les points de vue moraux, philosophiques, religieux sont respectables tant qu’ils ne remettent pas en cause l’application de la loi. Et la loi prend ces divergences en considération, puisque tout médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité (article R. 4127-47 du Code de la santé publique).
La récente déclaration du docteur Bertrand de Rochambeau, qui considère que l’IVG est un homicide, est donc, en ce sens, entendable. Mais, ce qui n’est pas acceptable, c’est de tenir de tels propos quand on est président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, pouvant laisser penser que cette position serait celle de l’ensemble des membres dudit syndicat. C’est aussi inacceptable de ne pas préciser, concomitamment, que tout médecin invoquant la clause de conscience a l’obligation d’informer, sans délai, l’intéressée de son refus et de lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention.
Les nombreuses réactions politiques, professionnelles et associatives à cette déclaration ont heureusement donné à voir une tout autre réalité quant à la légalité de recourir à cet acte en France. Pour autant, comme le soulignait déjà le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2009 sur les conditions de prise en charge de l’IVG en France, des femmes qui se rendent dans un établissement public rencontrent des difficultés majeures quand la ou le responsable du service de gynécologie-obstétrique invoque la clause de conscience. La loi précise pourtant que ces responsables sont tenus d’organiser la prise en charge des IVG dans leur service.
L’avortement est, c’est un fait, un acte courant de la vie des femmes qui concernera une femme sur trois au cours de sa vie sexuelle et reproductive. On ne peut que s’interroger sur le fait qu’une chefferie de service en gynécologie obstétrique puisse être attribuée à une personne qui invoque la clause de conscience, alors que cela constitue un obstacle à l’effectivité du droit, comme le rappelait le commissaire aux droits de l’homme européen dans son rapport sur les droits sexuels et reproductifs en décembre 2017.
Et l’on peut aussi s’étonner, alors qu’il existe un texte général sur la clause de conscience, que le législateur ait trouvé nécessaire de maintenir deux clauses spécifiques permettant aux médecins de l’invoquer pour des actes médicaux qui concernent le droit des femmes à maîtriser leur fécondité, précisément le recours à l’IVG et à la stérilisation à visée contraceptive. Certes, pour l’IVG, il s’agissait, lors de l’adoption de la loi Veil, en 1975, de trouver un compromis avec le corps médical alors majoritairement hostile à la dépénalisation de l’avortement. Mais, aujourd’hui, cette clause est tout à fait inutile, comme le faisait remarquer le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport sur l’IVG en 2013. Cette clause spécifique fait de l’IVG un droit « à part ». Elle contribue à sa stigmatisation en postulant son caractère intrinsèquement problématique et ne peut que faciliter son invocation pour légitimer le refus de soins.
Il est temps d’y voir clair ! Ce qui est dit une fois suffit, sauf si l’on veut culpabiliser les femmes. Supprimons ces deux clauses superfétatoires dont les effets symboliques, normatifs et pratiques obèrent le droit des femmes à recourir à l’IVG et renforcent le contrôle social sur leur corps et leur sexualité. Réservons les chefferies de service aux médecins qui considèrent que la pratique de l’IVG fait partie intégrante de leur activité professionnelle. Formons les professionnels de santé aux enjeux sociaux de la santé sexuelle et reproductive. Donnons-nous les moyens de vérifier que la loi est bien appliquée sur tout le territoire et que l’accès à l’IVG est assuré pour toutes les femmes, quelle que soit leur situation sociale et économique.
Il est temps de tout mettre en œuvre pour que l’IVG devienne un droit effectif, ce qu’il n’est toujours pas, en attestent les difficultés d’accès et les propos culpabilisateurs auxquels sont toujours confrontées nombre de femmes aujourd’hui.
Les signataires : Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm ; Anne-Marie Leroyer, professeure de droit, Paris I ;Laurence Meyer, professeure de santé publique, Paris Sud ;Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial.
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