Des curés du Puy-en-Velay témoignent de la façon dont ils vivent le renoncement à la vie conjugale et à la sexualité.
Le père Jean-Claude Petiot a parfois l’impression que les prêtres passent pour des « bêtes curieuses. Surtout par les temps qui courent ». Dans une société marquée par la libération des mœurs, leur célibat est de plus en plus perçu comme une étrangeté.
Avec la multiplication des scandales de pédophilie qui secouent l’Eglise catholique, en France comme à l’étranger, l’incompréhension s’est transformée en suspicion. « Dans l’esprit des gens, prêtres = frustrés sexuels = pédophiles en puissance », se désole Monseigneur Luc Crepy, l’évêque du père Petiot au diocèse du Puy-en-Velay.
Le prélat, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, reçoit dans son bureau à l’évêché, dont les hautes fenêtres dominent les rues pavées de la vieille ville médiévale. S’il juge absurde de lier le célibat des prêtres à la pédophilie, il conçoit que le renoncement à toute relation sexuelle – la continence – interroge. « Dans une société de plus en plus érotisée, cela paraît impossible ou hypocrite. Mais la sexualité, ce n’est pas que la génitalité, nuance-t-il. Il y a aussi toute une composante relationnelle, vécue dans la chasteté. »
Des prêtres issus de ce petit diocèse rural ont accepté de raconter au Monde la façon dont ils vivent cette règle du célibat et de la continence, et les tiraillements qu’elle implique. Une parole rare, et un exercice délicat auquel ils se sont prêtés avec une étonnante sincérité. « Ce n’est pas parce que je suis prêtre que je n’ai pas de sexualité, résume l’un d’eux. Je reste un homme, avec des désirs et des pulsions. »
« La bonne distance »
Il est arrivé plus d’une fois au père Jean-Claude Petiot d’être troublé par une rencontre. Cet homme de 70 ans dirige une petite paroisse perchée sur un plateau à 1 000 mètres d’altitude, au milieu des volcans d’Auvergne. Le célibat, il le vit au quotidien depuis cinquante ans. « Je ne l’ai jamais vécu comme une obligation arbitraire, brutale, plutôt comme un horizon de vie, confie-t-il. Même si, c’est vrai, cela sollicite parfois un véritable effort. »
Le discours est réfléchi, pudique, mais sans embarras. « Il y a une incertitude permanente : comment rester dans la ligne de conduite qu’on attend de moi ? »
Pour ne pas succomber, cet homme au visage lumineux s’est efforcé de tenir « la bonne distance ». Avec parfois quelques pincements : « Je me disais : elle doit me trouver sans cœur. »
D’autres reconnaissent prendre plaisir à entretenir l’ambiguïté et la séduction, à l’image du père Bernard Planche, recteur de la cathédrale du Puy-en-Velay : « J’ai ainsi l’impression d’être du même bois que le reste de l’humanité. Ne plus avoir d’émotions, ce n’est pas la solution. »
Le quinquagénaire, regard perçant derrière de fines lunettes, fait de ces tiraillements une source de questionnements : « Est-ce que tu essaies de te prouver que tu es toujours séduisant ? Que tu n’es pas émasculé ? Puis je me dis : tu as choisi le Seigneur, ne fais pas l’idiot, évite de trop la draguer. » Ses yeux frisent quand il raconte avoir été courtisé par des femmes. « Hélas, c’est moins le cas avec l’âge », sourit-il en désignant son embonpoint, sous l’œil fixe du Christ accroché au mur.
« Etre disponible à tous »
Avoir une aventure est un péché, pas si rare à les entendre, que l’on avoue dans le secret du confessionnal. C’est aussi là que les prêtres confient s’être livrés à la masturbation, tout aussi défendue. « Quand cela m’arrive, j’éprouve des regrets, car j’ai failli à un idéal qui est de tout donner au Seigneur, explique l’un d’eux. Mais je ne culpabilise pas non plus. » Le regard est plus sévère sur la pornographie. « Soyons honnête, il m’est déjà arrivé de tomber sur une vidéo porno, concède le même. Mais je suis souvent un peu écœuré. »
Quelle que soit la tentation, il s’agit donc de résister. Certains optent pour la rationalisation. « Quand j’ai conscience que ma sensibilité m’a joué un petit tour, je me rappelle à la raison », explique le vicaire général du Puy-en-Velay, le père Emmanuel Dursapt.
A 45 ans, cet adepte des périphrases qui ne quitte jamais son bréviaire fait encore figure de jeune prêtre – la moitié a plus de 75 ans en France. « C’est en me raccrochant au réel, à travers les lieux et les objets qui m’entourent, que je peux reprendre la mesure de mon engagement. » Il mime en empoignant la chaise, puis la table. D’autres se tournent vers la prière, tantôt « apaisante », tantôt « tempétueuse », pour implorer l’aide de Dieu.
Le combat est parfois quotidien, mais jamais au point d’avoir songé à renoncer à la prêtrise. D’autant, rappellent-ils, que la continence ne relève pas d’un interdit à leurs yeux, mais d’un « choix conscient » découlant de leur vocation, et dont le sens consiste à « vivre à la manière du Christ, pour être disponible à tous ». Si aucun n’envisage de remettre en cause cette règle, leur expérience témoigne en revanche du poids de l’interdit autour de la sexualité dans l’Eglise, et du manque criant d’accompagnement.
« Un rapport au corps aride »
Les six années du séminaire pendant lesquelles sont formés les prêtres sont une période de « discernement » où chacun peut éprouver son choix. La sexualité y est longtemps restée taboue, ou présentée de façon « extrêmement négative, avec un rapport au corps très aride », concède Luc Crepy, qui a lui-même dirigé le séminaire d’Orléans.
Cette conception a puissamment imprégné l’Eglise. A ce vieux prêtre, on a ainsi appris à se reculotter sans se toucher les fesses ; à cet autre, à se doucher en caleçon ; à ce troisième, à faire demi-tour lorsqu’il voyait des filles pendant sa promenade.
Aujourd’hui encore, des discours « très moralisateurs et nocifs » persistent, regrette l’évêque. Mgr Crepy dénonce une mauvaise interprétation des Ecritures : « La Bible présente la sexualité comme quelque chose de bon et de beau, puisque créée par Dieu. Mais elle a aussi un regard critique sur les perversités et les violences qu’elle peut entraîner. »
Le sujet a fait une timide apparition dans quelques séminaires à partir des années 1970. Trois ou quatre jours sont consacrés, depuis, à des cours de sciences humaines pour mieux comprendre les mécanismes du corps, les pulsions et l’inconscient. Mais rien de plus.
Maintenir un équilibre affectif
En cas de difficulté, chacun se retrouve souvent seul. De ces choses-là, entre prêtres, on ne parle pas. Il y a bien les accompagnants spirituels, ces interlocuteurs que les prélats choisissent librement au sein de l’Eglise, et qui les guident pour mieux pratiquer leur foi. Mais les échanges avec eux trouvent vite leurs limites. Un prêtre se souvient ainsi de l’immense gêne qu’il avait déclenchée chez ce vieux curé à qui il voulait parler de ses tourments de jeune et fringant séminariste. « Il était tout rouge et bredouillait des généralités, raconte-t-il. J’ai compris que je ne pourrais pas m’appuyer sur lui. »
Maintenir un équilibre affectif général permet de limiter les atermoiements, et de prévenir les dérives. L’évêque du Puy-en-Velay y veille en regroupant les jeunes prêtres au sein d’une même paroisse, quitte à en délaisser une. Tout est fait pour éviter un isolement trop fort, terreau sur lequel prospèrent les fragilités.
« Sans doute faudrait-il que l’on soit mieux préparé au célibat », observe le père Planche. La multiplication des scandales pédophiles semble favoriser un sursaut sur la place octroyée à la sexualité dans l’Eglise. « On a peut-être enfin compris que c’est un sujet difficile et qu’il faut en parler ouvertement, avance Luc Crepy. Il y a des progrès à faire. »
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