Refus de la pilule ou du stérilet hormonal, dénonciation de propos déplacés… Face à des patientes très informées et dont la parole s’est libérée, la profession est déboussolée.
LE MONDE | | Par Zineb Dryef
Cette dernière année, le docteur J. l’a passée à attendre une seule chose : qu’elle s’arrête. Il a compté les semaines jusqu’à ce jour de printemps, où, enfin, il a quitté son cabinet. Il l’a aimé, pourtant, son métier, mais ces derniers mois, c’était devenu « épouvantable ».
Des patientes qui contestent tout, les prescriptions, les examens et les diagnostics, ou qui l’accablent publiquement sur Internet, il en avait déjà rencontré, mais en recevoir tous les jours l’a complètement découragé.
« Je suis très content d’avoir pris ma retraite », résume-t-il. Ce qu’il lit de sa profession dans les médias et sur les réseaux sociaux le navre. Il ne s’y reconnaît pas. Les patientes maltraitées dans les cabinets et les maternités ? Il balaie ces accusations. Ce ne peut être le fait que de « tordus ».
Un vaste mouvement de contestation
Si tous les gynécologues ne partagent pas l’amertume du docteur J., un vaste mouvement de contestation féministe est ces derniers temps venu bousculer la profession en dénonçant des pratiques jugées paternalistes, infantilisantes et sexistes : examens brutaux, injonction à la procréation, paroles déplacées, actes réalisés sans consentement, épisiotomies inutiles, humiliations pendant des IVG, etc. C’est ce que l’on appelle des « violences » ou « maltraitances » gynécologiques et obstétricales.
Ou quand on s’entend dire : « Mais pourquoi vous ne voulez pas le garder ? » ; « Un stérilet à 28 ans ? Il serait plutôt temps de penser à un enfant » ; après un accouchement difficile : « Vous avez mal ? C’est dans la tête tout ça ! » ; pendant un accouchement : « Arrêtez de crier, Madame, ça sert à rien et ça nous fait perdre du temps ! »…
Des actes sexistes dénoncés par un rapport gouvernemental
Un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), publié l’été dernier, établit que ces actes « sexistes » ne peuvent être considérés comme des « faits isolés » et, sans les chiffrer, conclut qu’ils sont « relativement répandus ».
Quand, le 29 juin, Israël Nisand accepte de se rendre, à l’invitation de la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, dans le grand amphithéâtre de l’université Paris-Descartes pour assister à la remise du rapport, il n’ignore pas que le moment ne sera pas des plus agréables.
Quand il parvient enfin, au bout de deux heures, à s’emparer du micro, le visage de Marlène Schiappa se ferme. Elle et le gynécologue-obstétricien, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), ne s’apprécient guère.
Leur brouille remonte à l’été 2017, lorsque Marlène Schiappa avait commandé cette enquête pour « objectiver le phénomène » et déclaré que le taux d’épisiotomie en France s’élevait à 75 % (à tort : en 2016, il était estimé à 20 %, mais il varie énormément d’une maternité à l’autre, pouvant atteindre 45 %). Jugeant sa profession victime d’un « gynéco bashing » intolérable, il avait refusé de participer au rapport.
Mais ce 29 juin, son émotion est contenue – il salue le travail du HCE et explique que « la vraie maltraitance est de ne pas avoir suffisamment de personnel pour assurer la sécurité des femmes quand elles accouchent ». Il ajoute tout de même, et cela provoque des huées, qu’il faut cesser, à cause des errements de certains, d’insulter la profession dans son ensemble.
Des douleurs trop longtemps ignorées
« Les gynécologues ne sont ni des bourreaux ni des pervers », dit aussi Dominique Thiers-Bautrant. Gynécologue installée à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) depuis 1993, elle a choisi son métier précisément pour lutter contre la maltraitance dont les femmes sont victimes. « Une maltraitance sociétale qui commence par l’inégalité des salaires à fonction équivalente, par des éducations sexistes qui ne sont ni reconnues ni sanctionnées, enfin par une “maltraitance” génétique qui rend les femmes chargées de la procréation. »
Aujourd’hui, elle contient difficilement sa colère. Contre les « délinquants » coupables de violences sur leurs patientes, mais aussi contre les « vociférations imbéciles » qui, à force d’être répétées, compliquent les soins et les relations avec les patientes.
Tenez, ces dernières années, elle reçoit tous les jours des femmes qui se plaignent de ressentir des douleurs. Une conséquence de la libération de la parole qu’elle juge encourageante. « Ce qui signifie que les femmes ont compris qu’avoir mal n’est pas normal. Leur douleur a trop longtemps été banalisée et ignorée. »
Mais, et cela la contrarie beaucoup, la plupart du temps, ces patientes attribuent leurs douleurs à l’épisiotomie (une incision du périnée parfois pratiquée pour faciliter la sortie du bébé) ou à l’endométriose (une maladie chronique longtemps ignorée qui se manifeste par de violentes douleurs pelviennes), dont on parle beaucoup dans les médias. C’est parfois vrai mais pas toujours.
« La douleur est un sujet complexe qu’on ne peut pas traiter par une réponse simpliste, explique-t-elle. Or, quel que soit leur niveau socioculturel, les Français méconnaissent leur corps et sont très réceptifs aux campagnes médiatiques et aux prises de parole imagées et bruyantes. Ils ont besoin d’une information médicale fiable. »
Des épisiotomies inutiles
Danielle Hassoun, elle, se souvient qu’à ses débuts l’ensemble de la profession pensait de bonne foi que l’épisiotomie évitait aux femmes des incontinences après leur accouchement. « On s’est trompés, comme souvent en médecine. Est-ce que c’est une violence ? Oui et non. On ne l’a pas pratiquée pour faire mal mais parce qu’on pensait que c’était bien pour les femmes, qu’elles auraient moins de troubles du périnée plus tard. Le problème, c’est qu’ensuite des médecins ont eu du mal à changer leurs habitudes alors qu’ils avaient reçu des recommandations indiquant que c’était inutile. En ce sens, c’est de la violence. »
A la retraite depuis un an, cette gynécologue parisienne de 71 ans, comme beaucoup de médecins de sa génération, a choisi son métier pour poursuivre un engagement féministe. La libre disposition du corps des femmes était à conquérir – l’accès à la contraception et le droit à l’avortement pour toutes : « C’est ce qui m’a motivée à faire ce métier que j’ai adoré. » Elle admet que ces débats sont à la fois très libérateurs et très durs à encaisser.
Autour d’elle, elle a vu certains confrères et consœurs « très blessés, très à vif » après la lecture du rapport du HCE, parfois stupéfaits par l’ampleur du phénomène. Ce qui lui a rappelé #metoo, un mouvement si fort qu’il vous pousse à revenir en arrière, à rembobiner votre vie. Et ce n’est pas toujours agréable. « Humainement, les médecins ne sont pas plus mauvais que les autres, mais ils ne sont pas toujours meilleurs. »
Des touchers vaginaux sans consentement
En février 2015, un scandale entame sérieusement l’image de la profession. La publication sur les réseaux sociaux d’un document interne à l’université de Lyon-Sud suggère qu’à des fins pédagogiques les étudiants pratiquent des examens cliniques de l’utérus par le toucher vaginal sur des patientes sous anesthésie générale, sans leur consentement.
« J’ÉTAIS MAL À L’AISE, MAIS ON AVAIT ÉTÉ FORMÉS COMME ÇA. IL FAUT DU TEMPS POUR COMPRENDRE QUE CE QUI NOUS A ÉTÉ ENSEIGNÉ N’EST PAS JUSTE. » DANIELLE HASSOUN, GYNÉCOLOGUE À LA RETRAITE
Le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français de l’époque, Bernard Hédon, avait reconnu la réalité de la pratique dans des cas de « chirurgie gynécologique(…) sous la responsabilité de médecins », mais estimait que c’était « aller trop loin dans la pudibonderie » que recueillir le consentement signé de la patiente.
Quelques mois plus tard, un rapport de la Conférence des doyens des facultés de médecine, diligenté par le ministère de la santé, reconnaît la réalité de cette pratique en même temps qu’il la condamne.
« J’ai procédé comme cela autrefois, regrette Danielle Hassoun qui a exercé un temps comme obstétricienne à l’hôpital, puis à la maternité des Lilas. J’étais mal à l’aise, mais on avait été formés comme ça. Il faut du temps pour comprendre que ce qui nous a été enseigné n’est pas juste. » Elle se souvient qu’elles s’interrogent avec des consœurs, dès la fin des années 1960 : est-ce que la patiente le sent ? Est-ce qu’on a vraiment le droit de le faire ? « A un moment, je me suis dit que ce n’était plus possible. Et j’ai arrêté. »
Des initiatives féministes
C’est durant ses études qu’elle découvre que la médecine ne respecte pas toujours le corps des femmes. « Le plus souvent, les maltraitances sont verbales. » C’était dans les années 1960, la grande époque de la médecine paternaliste.
Plus de cinquante ans plus tard, ce sont ces mêmes petites phrases assassines qu’on assène encore aux patientes : « La meilleure contraception, c’est de fermer les cuisses », « Si je vous fais mal, c’est parce que vous êtes trop grosse», « Faut arrêter avec les endométrioses ! C’est normal d’avoir mal pendant ses règles », etc.
Pour s’épargner ce genre d’expériences, un collectif féministe, reprenant une initiative LGBT qui recensait les médecins gay friendly, a lancé en 2015 le site Gyn&co qui recommande des soignants pratiquant des actes gynécologiques avec une approche féministe. Marguerite Anderson est recensée dans cette liste. A 34 ans, elle est installée comme médecin généraliste à Paris depuis un an et demi et 80 % de sa patientèle la consulte pour de la gynécologie.
Une spécialité choisie « pour lutter à ma petite échelle contre les violences faites aux femmes ». C’est au Planning familial, où elle donne des consultations toutes les semaines, qu’elle a mesuré l’ampleur du phénomène. A chacune des séances de groupe sur la contraception, quasiment toutes les filles présentes font le récit d’une mauvaise expérience chez le gynécologue. « J’ai parfois envie de partir tant c’est désagréable. On se sent visé en tant que médecin, on se dit : “Mais non, on n’est pas tous comme ça !” Malheureusement, je suis forcée de constater qu’il y a encore beaucoup de médecins maltraitants. »
Un récit l’a marquée : celui d’une jeune fille à laquelle on n’avait pas remis de médicaments antidouleur après une IVG, pour lui faire la leçon : comme ça, elle n’oublierait jamais. « J’apprends des patientes. Ensuite, je fais doublement attention en consultation. Ma génération est plus vigilante, je crois, plus attentive à leur parole. »
Un engagement auprès des femmes
Malgré la féminisation du métier – la moitié des gynécologues obstétriciens (47 %) et la majorité des gynécologues médicaux (qui ne pratiquent pas d’accouchements ni d’actes chirurgicaux) sont des femmes –, « il n’y a pas moins de sexisme dans ce métier que dans la société », observe Perrine Millet.
Gynécologue obstétricienne à Montélimar (Drôme) depuis trente-cinq ans, elle garde de ses débuts un souvenir mitigé. A la fac de médecine, on lui répétait que la chirurgie obstétricale n’était pas une spécialité pour les femmes, mais elle s’est accrochée.
Ce qui ne l’a pas empêchée une fois installée de reproduire ce qu’elle avait appris : déconsidérer les douleurs des femmes, longtemps jugées normales. « J’ai été maltraitante parce que je répétais bêtement ce qui me paraissait être du vécu féminin. Aux femmes qui disaient “j’ai mal” quand je leur faisais un frottis, je répondais “je ne comprends pas, moi, ça ne me fait pas mal”. C’était idiot de ma part et culpabilisant pour elles. Cela laissait la femme toute seule dans son vécu et son corps sans explication. »
Des années de pratique ont renforcé son engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment pendant les soins, mais elle regrette que le débat soit pollué pas les caricatures. Il y a quelques mois, lors d’une conférence à laquelle elle participait, lorsqu’une intervenante a suggéré que les gynécologues étaient formés comme des militaires, elle a vu rouge. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on est formés à tuer ? On doit discuter, reconnaître nos erreurs et changer nos pratiques, mais on ne peut pas tolérer qu’on nous parle comme ça. Nous avons d’abord choisi ce métier pour soigner et accompagner les femmes. »
« Le rapport m’a agacée et rendue triste, reconnaît Catherine Dequatre. Mais on doit en tenir compte. » La gynécologue parisienne a notamment été troublée par les témoignages de femmes blessées par des remarques sur leur âge. « On peut paraître agressif alors qu’on ne l’a pas été. Nos questions font écho à leur vécu : par exemple, une femme en pleine séparation peut être blessée par une question sur un projet éventuel de grossesse. » Ce qui l’a fait réfléchir. Spécialiste de la stérilité, elle se retrouve régulièrement dans cette situation affreusement inconfortable qui consiste à conseiller de ne plus attendre trop longtemps si on veut avoir un enfant.
Une défiance envers les contraceptions hormonales
« En trente ans de gynécologie, peut-être que j’ai blessé des patientes. Elles ont pu être secouées par une remarque, mais il n’y a jamais eu de volonté de nuire de ma part ; j’ai choisi ce métier pour aider les femmes. On ne peut pas le pratiquer sans empathie ni écoute. » Attachée à sa profession, elle a conscience de devoir s’adapter, notamment aux patientes les plus jeunes qui parfois la désarçonnent.
Comme il y a deux ans, lorsqu’une jeune fille a mis sous ses yeux une photo de sa vulve en gros plan. Catherine Dequatre a d’abord été un peu interloquée. « Depuis, il arrive que pour une irritation ancienne une patiente me tende son téléphone. Je me dis que ce n’est pas idiot. Comme on ne peut pas avoir un rendez-vous tout de suite, pourquoi pas ? » Une sorte de préfiguration de ce que sera la médecine à distance.
Depuis le scandale des pilules de troisième génération, la profession s’adapte surtout à la défiance grandissante envers les contraceptions hormonales, avec plus ou moins d’indulgence pour le phénomène. La parution du pamphlet J’arrête la pilule de la journaliste Sabrina Debusquat (Les Liens qui libèrent, 2017), qui assimilait ce moyen de contraception à un « scandale sanitaire »avait profondément choqué la profession.
Un « retour à la nature »
Ce « retour à la nature » déconcerte notamment les médecins les plus âgés qui jugent que la gynécologie et l’obstétrique ont contribué à libérer les femmes de la douleur et des contingences de leur physiologie.
« On se tourne de plus en plus vers le naturel, mais le naturel n’est pas toujours bon et les hormones ne sont pas toujours mauvaises, déplore Catherine Dequatre, que la mode du stérilet inquiète. Je ne fais pas barrage, mais chez les jeunes filles, la balance bénéfices/risques est défavorable au stérilet. Quand on est médecin, on s’investit. On doit discuter de tout. Mais ce n’est pas parce que la patiente désire quelque chose qu’on doit forcément le prescrire. »
« LES JEUNES COMPRENNENT QUE LA PILULE, POUR MA GÉNÉRATION, ÇA A ÉTÉ FORMIDABLE. SEULEMENT, ELLES VEULENT AUTRE CHOSE. » DANIELLE HASSOUN, GYNÉCOLOGUE À LA RETRAITE
Dominique Thiers-Bautrant, la gynécologue aixoise, n’entend pas non plus se faire dicter ses ordonnances : « La satisfaction du patient ne peut pas être le seul indicateur de traitement. »Danielle Hassoun, qui a milité pour la légalisation de la pilule, ne s’en froisse pas. « Je ne pense pas que ça remette en cause l’avancée que ça a représenté. Les jeunes comprennent que, pour ma génération, ça a été formidable. Seulement, elles veulent autre chose. »
Alors que les « consultations pilule » prenaient autrefois quelques minutes, elles sont devenues plus complexes aujourd’hui. « Une pose de stérilet, c’est presque plus simple, constate Marguerite Anderson. Au Planning familial, quand on en parle en groupe, les rares qui prennent la pilule disent “je la prends, mais ça va”, comme si elles avaient honte de leur contraception. »
L’importance du choix
A chaque patiente, elle explique les avantages – cycles réguliers, règles courtes et peu abondantes, rempart contre l’acné et certains cancers – et les effets secondaires. Mais sauf contre-indication, elle ne cherche pas à convaincre. « Se faire imposer une contraception qu’on n’a pas choisie est une violence. Mes consultations sont des débats, j’explique mes connaissances, elles parlent de leurs expériences. La patiente connaît son corps, elle sait ce qui est bon pour elle. »
Très informées, quelques-unes refusent désormais certains actes ou instruments. Comme la pince de Pozzi, un instrument long aux extrémités crochues utilisé pour les poses de stérilets, aujourd’hui décriée par beaucoup de femmes à cause de la douleur vive qu’elle peut provoquer. Marguerite Anderson évite son usage, mais tente de rassurer celles pour lesquelles il s’impose en utilisant de petites pinces en plastique plutôt que d’imposants instruments en métal.
Danielle Hassoun rappelle que ce n’est pas l’acte en soi qui est violent, mais la façon dont on le réalise : « Un spéculum ou une pose de stérilet n’est pas agréable, mais si vous demandez à la patiente de respirer, si vous lui expliquez ce que vous allez faire, cela peut être moins inconfortable, moins pénible. »
Alors que les femmes ont tendance à considérer la douleur au cours d’un examen comme inévitable, elle n’est pas systématique, soulignent tous les gynécologues interrogés. Catherine Dequatre propose aux patientes qui le souhaitent d’insérer elles-mêmes le spéculum. « Si elles savent que vous êtes à l’écoute, la douleur ne disparaît pas, mais elles vivent mieux l’examen. »
« L’anesthésie verbale »
Une panoplie de techniques que Diane Winaver nomme l’« anesthésie verbale ». Cette gynécologue psychosomaticienne à la retraite, dont l’approche consiste d’abord à écouter sa patiente, se réjouit de ce vaste mouvement de dénonciation des maltraitances des soins. Les femmes, enfin, parlent. « J’en ai moi-même voulu à mon obstétricien. Il a fait un geste médical qui m’a fait mal. J’ai crié de surprise et de douleur. Et eu honte de m’être laissée aller parce que je n’avais pas été informée. C’est pour cela que je lui en ai voulu. »
« ON NE PEUT PAS OBLIGER UNE FEMME À SE FAIRE EXAMINER SI ELLE NE VEUT PAS, COMME ON NE PEUT PAS PORTER DE JUGEMENT SUR CE QU’ELLE DÉSIRE. ON PEUT SEULEMENT DISCUTER. » DIANE WINAVER, ANCIENNE GYNÉCOLOGUE
Féministe engagée, elle s’est battue à l’hôpital contre les médecins qui exigeaient des femmes qu’elles se dévêtissent entièrement pour les consultations – elle se dit stupéfaite de découvrir que la pratique perdure – et a signé des prescriptions illégales de pilules jusqu’à la loi de 1974 qui a libéralisé totalement l’accès à la contraception, obtenu en 1967 par la loi Neuwirth : « Pour la première fois, nous étions confrontés à des demandes qui n’étaient pas médicales. Les femmes se portaient comme un charme, elles souhaitaient seulement espacer les naissances. Elles nous ont appris à écouter la vie et pas seulement la maladie. »
Si leurs petites-filles refusent cette pilule pour laquelle elle a milité, si certaines tiennent des discours outranciers sur les hormones, tant pis ; les temps changent et d’autres solutions existent : « Les violences gynécologiques sont verbales, elles peuvent être gestuelles, mais elles peuvent aussi être une omission d’explication. On ne peut pas obliger une femme à se faire examiner si elle ne veut pas, comme on ne peut pas porter de jugement sur ce qu’elle désire. On peut seulement discuter. »
La bienveillance, une « obligation professionnelle »
Ecouter, proposer, ne pas imposer : c’est aussi la méthode défendue par Martin Winckler. Médecin, écrivain et militant féministe, auteur notamment de Les Brutes en blanc (Flammarion, 2016), il dénonce depuis plusieurs années les maltraitances gynécologiques. Très critique envers les soignants, il récuse le discours de Nisand et de ses pairs qui expliquent d’abord les maltraitances par la surcharge de travail dans les hôpitaux, les maternités et les cabinets.
« La bienveillance, ce n’est pas conjoncturel ou optionnel. C’est une obligation professionnelle. Ou alors, on peut admettre qu’un instituteur frappe les enfants quand la classe est surchargée... Quand un, ou une, gynécologue parle à une femme de manière insultante, méprisante ou paternaliste, lui impose de se déshabiller pour lui prescrire la pilule, ou pratique une épisiotomie sans son consentement, ce n’est pas parce que ses conditions de travail sont mauvaises, mais parce qu’il, ou elle, trouve normal de se comporter ainsi. »
Marguerite Anderson se dit, elle aussi, étonnée par cette explication : « Certes, on est surchargés, mais demander à une femme si elle est d’accord pour un toucher vaginal ou une pose de spéculum ne prend pas plus de temps. L’examen n’en est que plus facile. »
De fortes résistances
La jeune femme considère qu’il est encore fait peu de cas de la question du consentement pendant les années de formation des étudiants. « Faire des jeux de rôles, avec des paroles qui leur semblent banales, mais qui sont en fait violentes pour les patientes, peut les aider à s’apercevoir qu’ils sont en train de dire une énorme bêtise », suggère Danielle Hassoun.
« LA MÉDECINE EST CORPORATISTE ET FONDÉE SUR LE RESPECT DES “ANCIENS”. PENSER : CE QUE NOS AÎNÉS NOUS ONT APPRIS À FAIRE EST BRUTAL OU VIOLENT EST UNE TRAHISON. LE DIRE, UN BLASPHÈME. » MARTIN WINCKLER, MÉDECIN ET ÉCRIVAIN
Perrine Millet a monté un diplôme interuniversitaire destiné aux médecins sur la prise en charge des violences faites aux femmes dans lequel un module spécifique est consacré aux soins. « Le rapport du HCE n’insiste pas sur l’évidence qui m’a fait créer ce diplôme : on ne peut pas parler des violences des soins sans évoquer les violences faites aux femmes. Comment soigner une femme qui a été violée, tabassée ? Comment la soigner si on ne le sait pas ? On peut être extrêmement violents à notre insu. »
Au cours de ces formations, elle est toujours surprise par la difficulté qu’ont les soignants, pourtant volontaires pour les suivre, à s’entendre dire qu’ils sont maltraitants. Leurs résistances sont fortes. « La médecine est corporatiste et fondée sur le respect des “anciens”. Penser : ce que nos aînés nous ont appris à faire est brutal ou violent est une trahison. Le dire, un blasphème, analyse Martin Winckler. Mais les médecins qui ne veulent pas entendre une critique systémique n’ont pas réfléchi à leurs obligations éthiques. A qui doivent-ils rendre des comptes ? A leurs collègues ou au public ? »
Du côté du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, on semble avoir choisi son camp. Deux intitulés de conférences au programme de leurs prochaines journées nationales le laissent penser. La première : « Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques. » La seconde : « Comment se prémunir des plaintes pour attouchements sexuels ? » Loin, très loin, des préoccupations des patientes.
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