Depuis la naissance de Louise Brown, premier «bébé-éprouvette», six millions d’enfants sont nés de fécondations in vitro.Photo Brian Bould. Associate. Rex. Sipa
Louise Brown, le premier bébé né d’une fécondation in vitro, vient de fêter ses 40 ans. Depuis sa naissance, les techniques ont beaucoup évolué, les débats aussi.
Elle a commencé sa vie dans une éprouvette en verre où fut organisée la féconde rencontre d’un ovule de sa mère, Lesley Brown, et des spermatozoïdes de son père, John Brown, avant de se développer dans le ventre de sa mère. Elle a poussé son premier cri le 25 juillet 1978 à 23 h 30 au Oldham District and General Hospital, près de Manchester en Angleterre. Son nom, Louise Brown, ou plus précisément Louise Joy (comme joie) Brown, restera inscrit dans l’histoire de la médecine à la rubrique «pionnière». Elle est en effet le premier bébé-éprouvette à avoir vu le jour dans le monde ; une promesse (tenue) pour tous les couples souffrant d’infertilité dont on avait jusqu’alors fait peu de cas. Sa mère, dont les trompes étaient bouchées, avait été décrétée «stérile». Enfant de la science, cette Anglaise est née des travaux de Patrick Steptoe, chef du service gynécologique du Oldham Hospital et du biologiste Robert Edwards (prix Nobel en 2010) grands gagnants de la course aux recherches sur la fécondation in vitro (FIV) engagée dans le monde entier depuis 1959 et une tentative réussie aux Etats-Unis avec les gamètes d’un lapin et d’une lapine.
Cet été Louise Brown, devenue mère d’un petit Cameron en 2006, a fêté ses 40 ans. Depuis sa naissance, quelque six millions d’enfants ont vu le jour grâce à une fécondation in vitro, technique phare dans toute la gamme de la procréation médicalement assistée (PMA) au côté de l’insémination artificielle avec donneur (prosaïquement une injection d’un don de sperme dans l’appareil génital de la femme). La France, elle aussi entrée dans la danse de la FIV le 24 février 1982 avec la naissance d’une petite Amandine, n’est pas en reste. Depuis les années 80, la proportion d’enfants conçus grâce à cette technique ne cesse de progresser de manière constante de +0,5 % tous les sept ans. Et l’on connaît tous aujourd’hui un enfant né grâce à une PMA. En quarante ans, la technique a bien sûr grandement évolué, même si la grossesse n’est pas toujours au rendez-vous : selon les statistiques de l’Agence de biomédecine, une FIV a 20 à 24 % de succès par cycle. La vision de la stérilité aussi s’est élargie : oui, les hommes aussi peuvent rencontrer des difficultés, a-t-on fini par envisager, explorer et réparer…
Enfin, le contour des débats qui depuis le début ne manquent pas d’accompagner le développement de la procréation médicalement assistée a aussi changé. Le match entre les encenseurs de «bébés miracles» et les délateurs de «Frankenbaby»se concentre aujourd’hui en France sur : faut-il réserver les aides à la procréation aux seuls couples hétérosexuels comme l’a décidé la loi ? L’extension de ces techniques aux couples de lesbiennes et aux femmes seules a été débattue dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique, qui doivent aider le gouvernement à rédiger un projet de loi de bioéthique qui devrait être présenté en Conseil des ministres fin 2018. En attendant, retour sur cette technique qui, à 40 ans cet été, fête son statut de… tube.
La technique : du miracle à l’hibernation
«La fécondation in vitro 2018 n’a plus rien à voir avec celle de la naissance de Louise Brown en 1978, annonce d’emblée la gynécologue Joëlle Belaïsch-Allart (ex-membre du Comité consultatif national d’éthique). Nous sommes passés de la première grossesse miracle (un succès sur des centaines d’essais) à une véritable thérapeutique de l’infertilité avec en moyenne un accouchement pour cinq tentatives.» Une moyenne qui varie selon l’âge de la femme : les chances de succès étant de 10 % seulement après 40 ans, mais près de 50 % chez une femme jeune. A en croire cette spécialiste, tout a changé grâce à un procédé mis au point en 1992 : il s’agit de l’ICSI (Intracytoplasmic Sperm Injection, qui signifie injection intracytoplasmique de spermatozoïdes) : un seul spermatozoïde est choisi pour son aspect et sa mobilité avant d’être micro-injecté directement dans l’ovocyte. Une fois fécondé, l’ovule se transforme en pré-embryon et celui-ci est transféré dans l’utérus afin qu’il y poursuive son développement. Le premier bébé français né d’une ICSI a vu le jour en 1994 et s’appelle Audrey.
Autre amélioration, la culture prolongée jusqu’au cinquième jour de cet ovule fécondé (au lieu de deux à trois jours) qui permet de sélectionner des embryons ayant davantage de chances de s’implanter. Avantage : un meilleur taux de grossesse et surtout moins de transferts d’embryons. Si au début de la FIV, les médecins transféraient souvent quatre embryons ou plus à la fois (39 % des cas en France en 1988), ils ont ensuite opté pour trois (environ 40 % des cas en 1997) puis deux (environ 60 % des cas en 2009).
Autre révolution technique : la possibilité d’offrir aux embryons surnuméraires une «hibernation médicale». Soit une congélation dans l’azote liquide à - 196° C. Depuis la naissance de Zoe en 1984 en Australie, des centaines de milliers d’enfants issus d’embryons congelés sont nés à travers le monde.
Le développement : toujours plus
En 2018, un enfant sur trente devrait être conçu en France grâce à une assistance médicale à la procréation. Soit 3,4 % des naissances. Parmi ces nouveaux bébés, la grande majorité (70 %) est issue d’une fécondation in vitro, selon les dernières conclusions de l’Institut national d’étude démographie (Ined). Depuis la mise au monde historique d’Amandine, la technique de la FIV s’est largement imposée dans le paysage médical français, d’autant que les problèmes d’infertilité, eux, ont tendance à se multiplier.Entre 1982 et 2014, la FIV a permis la naissance de 300 000 nouveau-nés. Fin 2019, ils devraient être plus de 400 000 «bébés éprouvettes» en France. Oui, mais voilà : la fécondation in vitro, c’est bien, mais accessible à toutes et tous, c’est mieux. Aujourd’hui, seuls les couples hétéros y ont accès. Et encore… Certains couples peuvent attendre des années un don (inespéré) d’ovocytes qui n’arrive finalement jamais (il y a une grosse pénurie des donneurs dans le pays). Et puis, la législation française exclut les femmes hétéros ayant fêté leur 43e anniversaire : jugées trop âgées pour être mères, celles-ci ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale (on parle de milliers d’euros pour une seule tentative). Autres exclues : les femmes célibataires et les couples de femmes à la recherche d’un don de spermatozoïdes, toujours interdites d’accès à la procréation médicalement assistée.
La fertilité : aussi une histoire d’hommes
A l’origine, la fécondation in vitro a été conçue pour répondre aux infertilités féminines d’origine tubaire (trompes altérées ou bouchées). Qui pour s’en étonner ? Ce sont les femmes qui portent l’enfant, ce sont forcément elles qui ont un problème de stérilité… «Il a fallu plus de temps aux hommes pour admettre qu’ils peuvent être, eux aussi, en cause. Tout cela ne tient pas un instant d’un point de vue médical, c’est juste une construction sociale, virile et patriarcale, développe Laurence Tain, professeure émérite de sociologie, spécialiste des techniques de reproduction et du genre. La stérilité masculine est vécue comme une impuissance. Inacceptable, tabou ! Lorsque j’écrivais ma thèse en 1998, j’ai vu des hommes à l’hôpital qui refusaient de se faire examiner… J’ai également entendu des médecins reconnaître qu’ils examinaient d’abord la femme, imaginant que c’était forcément elle qui avait un problème.»
Il faut attendre dix ans après la première FIV made in France pour voir apparaître l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde, qui permet de sélectionner un spermatozoïde (le plus vaillant) et de l’introduire directement dans l’ovocyte à l’aide d’une aiguille microscopique. Et admettre que la FIV est aussi (un peu) une affaire d’hommes. Selon la démographe Elise de la Rochebrochard, directrice de recherche à l’Ined et spécialiste en biométrie de la reproduction humaine, deux fécondations in vitro sur trois sont désormais réalisées avec la méthode de l’ICSI. «Mais c’est toujours le corps des femmes qui subit une intervention chirurgicale même en cas de stérilité masculine. On peut rêver d’autres solutions, souligne Laurence Tain. Pourquoi ne pas mobiliser aussi le corps des hommes ? Pour le moment, ça paraît complètement fou, mais si on ne commence pas à s’intéresser à la question, c’est sûr qu’on ne trouvera jamais de nouvelles techniques.»
La France : retards et performances
«Je ne suis pas totalement d’accord avec ceux qui dénigrent les résultats français en matière de PMA,lance la Dr Joëlle Belaïsch-Allart. Stop à ces fausses informations : nous sommes dans la moyenne mondiale.»Soit. Mais pourquoi brandit-on souvent les meilleurs taux de réussite aux Etats-Unis ? «C’est vrai, les résultats sont meilleurs. Mais tout est payant ; le nombre d’embryons transférés est plus élevé ; et les labos sont mieux équipés alors que les moyens alloués à la PMA en France sont limités. Mais en France, dans le public, tout est gratuit pour quatre essais.» A chaque système ses avantages.
Mais nombre de médecins français s’accordent pour dire que la législation empêche d’avoir de meilleurs résultats : «Nous savons que près de 80 % des embryons issus de femmes de 40 ans et plus sont anormaux, ne vont pas s’implanter ou entraîner une fausse couche. Mais nous n’avons pas le droit de trier ces embryons. Nous pouvons seulement transférer trois embryons, si on a la chance de les avoir obtenus et espérer que l’un d’eux sera normal.» De fait, le diagnostic préimplantatoire (DPI) de l’embryon que l’on va transférer dans le ventre de la femme est réservé aux couples qui risquent de transmettre une maladie d’une particulière gravité. Or, comme l’a souvent dénoncé le «père» scientifique d’Amandine, le professeur René Frydman (1), «aujourd’hui, 60 à 70 % des embryons que l’on implante ne vont pas donner de bébés, soit à cause d’irrégularités génétiques graves, soit parce qu’ils sont non viables sur le plan métabolique».
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Pour René Frydman, un diagnostic préimplantatoire (autorisé dans de nombreux pays voisins) permettrait de limiter échecs et déceptions. Et qu’on se rassure, il ne s’agit pas de sélectionner un futur bébé aux yeux bleus (un caractère secondaire), mais de débusquer de vraies anomalies. Telle la trisomie 21, que la loi permet de dépister mais seulement une fois la grossesse en route : étonnant paradoxe. Autre barrière légale à une amélioration des résultats : l’impossibilité pour les Françaises de faire congeler leurs ovocytes lorsqu’elles sont au pic de leur fertilité (avant 35 ans) et n’ont pas encore rencontré leur prince charmant.
(1) Le Droit de choisir, manifeste des médecins et biologistes de la procréation médicale assistée (Seuil) et Libérationdu 24 janvier 2017.
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