Entre économies de personnel et demande toujours croissante, ces structures se battent pour rester un maillon essentiel des soins de santé mentale.
LE MONDE | | Par Aurore Esclauze
Devant le centre médico-psychologique (CMP) de Bruyères, petite ville des Vosges de 3 362 habitants, pas une voiture. Comme tous les CMP, il assurait gratuitement des consultations pour toute personne du territoire en souffrance psychique, prenant en charge des dépressions passagères jusqu’à des troubles psychiatriques sévères, comme la schizophrénie. Il a fermé en juin.
Hélène Szczpanski, son ancienne psychologue, est très déçue : « Notre médecin psychiatre a été appelé en urgence pour un poste ailleurs. Il n’a pas été remplacé, donc le CMP a fermé. » Les patients ont été transférés dans d’autres CMP de campagne, aux listes d’attente déjà longues de 130 voire 150 patients. Certains collégiens, habitués à venir pendant leurs heures de permanence, ont abandonné. « Pour des personnes psychotiques, il ne va pas de soi de faire trente-cinq minutes de transports en commun », poursuit-elle.
Le CMP de Bruyères est loin d’être un cas isolé, la lecture de la presse régionale en témoigne. Si les derniers chiffres nationaux disponibles faisaient état d’une hausse du nombre de ces centres, passés de 3 758 en 2013 à 3 893 en 2016, selon les statistiques de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), certaines zones avaient déjà amorcé une baisse. Entre 2013 et 2016, Basse et Haute-Normandie avaient ainsi vu le nombre de ces structures baisser d’un tiers (passant de 346 à 224).
Ces maillons essentiels de la prise en charge des problèmes de santé mentale, intermédiaires entre les soins primaires comme la médecine générale et les services spécialisés en psychiatrie des hôpitaux, ont été mis en place par une circulaire du ministère de la santé du 15 mars 1960. Pour couvrir au mieux le territoire, le système a été sectorisé, avec des centres médico-psychologiques dans chaque département.
Grève de la faim de plusieurs soignants
A l’époque, la France était une des premières à prendre ce virage ambulatoire, pour déstigmatiser la psychiatrie. « A l’origine, c’était voué à rapprocher les professionnels de la population, même la plus rurale », souligne Jean-Pierre Salvarelli, psychiatre lyonnais et membre du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH).
Outre le soin, les CMP sont censés faire du dépistage, de la prévention et travailler avec leurs partenaires, comme les écoles et les associations locales. Mais ils peinent aujourd’hui à assurer leurs missions, et les temps d’attente, pour des premières consultations, chez l’enfant comme chez l’adulte, peuvent dépasser un an.
Si la crise de la psychiatrie s’illustre principalement ces derniers mois par les mouvements de grève dans les hôpitaux, l’inquiétude sur le sort des CMP est moins visible, mais tout aussi réelle. Depuis 2016, trois centres de la région dépendant de l’hôpital du Rouvray (Sotteville-lès-Rouen) ont ainsi fermé leurs portes. L’hôpital a fait parlé de lui au printemps, avec une grève de la faim de plusieurs soignants : ils dénonçaient les suppressions de postes dans leur établissement, mais aussi celles dans les CMP, et leur impact sur les patients.
« On nous parle d’économies d’échelle, témoigne une psychologue de la région, souhaitant conserver l’anonymat. Ils font des économies de personnel en regroupant les secteurs géographiques, en ne gardant qu’un seul chef d’établissement et en supprimant des locaux. »
« Un pas en arrière »
Sauf que les restrictions ne se limitent pas à cela. Des postes d’infirmiers et de secrétaires sont menacés, sans parler des postes de psychologues. « Ils embauchent de plus en plus de neuropsychologues qui font passer des tests aux patients, au détriment des psychologues classiques. Mais nous ne faisons pas le même métier », soupire la praticienne.
Les regroupements font polémique. « On mutualise mais la demande augmente de 2 % à 3 % par an. Il y a vingt ans, on avait un million de patients en psychiatrie, maintenant ça a doublé », affirme Jean-Pierre Salvarelli. Aujourd’hui, il a l’impression qu’on fait « un pas en arrière ».
Coraline Senet, psychiatre normande, a décidé de démissionner lorsque son CMP a été regroupé. « Je ne pouvais plus assurer la dignité que je devais aux patients », explique-t-elle. Elle insiste sur le rôle crucial de cette structure : éviter à tout prix une hospitalisation. Or les établissements sont plutôt occupés à prendre en charge les patients sortants des hôpitaux psychiatriques, pleins à craquer.
Ce qui « peut attendre » doit parfois patienter plusieurs mois – au risque de terminer par un séjour à l’hôpital. « Parfois, le numéro n’est même plus attribué quand on les rappelle. Alors que l’on connaît les dangers de décompensation et de complication pour des personnes psychotiques », se désole la psychiatre.
« Listes d’attente »
Pour parer à l’urgence, les infirmiers des CMP prennent les premiers rendez-vous pour définir les besoins du malade. « Cela revient à créer des listes d’attente officieuses, révèle un cadre de santé anonyme. Donc les listes d’attente réelles sont encore pires que ce que l’on imagine. Or, nous ne sommes pas censés être un service d’urgence. »
Les équipes des CMP sont alors obligées d’envoyer les patients vers le secteur libéral. Des infirmiers privés, qui ne connaissent pas les patients, vont à domicile prodiguer les soins. Certains malades refusent de payer pour ces soins non-remboursables par la Caisse d’assurance maladie et finissent par renoncer.
A Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le psychiatre Roger Teboul est formellement opposé à la transformation des CMP en médecine d’urgence. « Si on commence à renvoyer vers le privé, on va s’occuper uniquement des malades les plus précaires et les plus vulnérables. Cela va contribuer à les stigmatiser encore plus ». Dans son CMP de banlieue, spécialisé en pédopsychiatrie, tout est fait pour que les gens poussent la porte sans a priori
A l’intérieur de la petite maison de ville, des cris joyeux nous accueillent ; 420 enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques y sont pris en charge. « Ce sont surtout des enfants du quartier, qui n’ont pas eu peur de venir, parce qu’on n’a pas écrit noir sur blanc le mot “psychiatrie” sur la porte », dit celui qui tient à maintenir ce lien de proximité. Salle de jeux, couleurs festives ; seule la salle de soins est discrètement présente au fond du couloir.
Restrictions de postes
Ici, personne en blouse blanche, pas même l’infirmière, Vanessa Barrère. « Ça ne ressemble pas à un hôpital psychiatrique, parce que ça n’en est pas un », sourit-elle en réunissant des crayons de couleur pour son prochain rendez-vous.
D’ici à 2020, le CMP déménagera sur un autre terrain, regroupé avec trois autres structures. La deuxième psychiatre, Emmanuelle Granier, est consciente que le regroupement implique des restrictions de postes. « Les infirmiers seront rassurés d’être dans une plus grosse équipe. Cela divise la charge mentale, assure-t-elle. Je préfère m’organiser pour que ces changements soient bénéfiques. »
Faut-il y voir un signe ? Le ministère de la santé a annoncé le 28 juin lors de la présentation de sa feuille de route sur lapsychiatrie vouloir « repréciser, au besoin les missions et organisations » des CMP.
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