Le Musée international des arts modestes (MIAM) présente les œuvres de prisonniers, réfugiés, internés… jusqu’au 23 septembre.
LE MONDE | | Par Philippe Dagen (Sète (Hérault), envoyé spécial)
Obstinément, le Musée international des arts modestes (MIAM) de Sète (Hérault) s’en tient à son programme : regarder là où l’on ne regarde pas d’habitude, dans des directions ignorées, parce qu’elles sont lointaines ou inquiétantes. Cette année, c’est vers l’inquiétude et bien au-delà : l’angoisse, la souffrance, l’horreur. L’exposition se nomme « Evasions », sous-titrée « L’art sans liberté ». Le point commun entre les travaux rassemblés est que leurs auteurs, quand ils les ont accomplis, étaient, d’une manière ou d’une autre, captifs.
Le premier cas auquel on songe est évidemment celui des prisonniers, et il est en effet traité à travers les paños – dessins sur mouchoirs des détenus du sud des Etats-Unis – et les toiles réalisés par des détenus de la Maison centrale de Saint-Maur à partir de l’œuvre d’Hervé Di Rosa, par ailleurs fondateur du MIAM. Toutefois ce n’est pas avec lui que commence le parcours, mais avec ces captifs d’aujourd’hui que sont réfugiés et exilés. Ils l’ont été, souvent, dans les pays qu’ils ont fuis ; dans ceux qu’ils ont traversés ensuite ; et dans ceux où ils sont contraints de s’arrêter.
HAFIZ ADEM, CONDAMNÉ À MORT AU SOUDAN, ARRIVÉ EN FRANCE EN 2017, DONNE À VOIR CE QU’IL A ENDURÉ
Le premier mur est consacré à des dessins nés dans les ateliers de la « jungle » de Calais et ceux d’organisations caritatives. Sur celui qui lui fait face, ce sont les Dessins sans papiers, du nom du collectif qui organise des ateliers dans les centres d’hébergement. On y voit des bateaux et des camions à destination de la Grande-Bretagne. « Good Luck Eritrean », souhaite l’un d’eux, porte-bonheur ou exorcisme. Il y en a de tragiques : les corps entravés ou pendus crayonnés par Abdelhafez Seddig, exilé soudanais, et la chronique tenue par un de ses compatriotes, Hafiz Adem, condamné à mort dans son pays, arrivé en France en 2017. Une carte aux crayons de couleur dit son itinéraire, de la prison d’où il s’échappe en 2014 à la Libye – autres prisons –, la traversée jusqu’en Sicile, le trajet par l’Italie jusqu’à Paris, boulevard de la Chapelle.
D’autres dessins montrent les arrestations, les tortures et les gibets au Soudan ; puis les embarcations surchargées et les navires de secours. On ne voit pas quelles raisons juridiques ou politiques pourraient tenir face à ces images et à leur simplicité : Hafiz Adem donne à voir ce qu’il a enduré et, une fois encore, on se dit que rien n’a plus de puissance d’expression qu’un dessin sur un bout de papier, quand s’y concentre par nécessité tant de douleur.
500 dessins à la mine de plomb
Cette réflexion, que l’on jugera sans doute trop simple, se vérifie jusqu’au terme du parcours. La violence d’un deuil, Charles Boussion l’inscrit dans les centaines de feuilles qui couvrent les parois de la cellule qui a été construite pour les recevoir. Autodidacte, ayant commencé à dessiner à la suite d’un accident, il s’enferme chez lui à la mort de sa femme, en 2013, et accumule plus de 1 300 œuvres, entrelacs de courbes serpentines et de cercles concentriques, en noir et blanc ou enluminés inlassablement. Tous sont signés de la même façon : « Charles Cako Boussion à Montpellier le x [mois et année] né à Biarritz le 19 janvier 1925. » On ne s’explique pas bien le besoin de répéter ainsi systématiquement sa date de naissance. Peut-être est-ce parce que le passage du temps et la mort sont le sujet central de son œuvre – car c’est d’une œuvre qu’il s’agit, obsessionnelle et thérapeutique.
Comparable, car relevant d’une réclusion sans prison, est le cas d’Edmund Monsiel, qui se cache dans un grenier en Pologne en 1942 et refuse de le quitter jusqu’à sa mort, vingt ans plus tard. Durant ces vingt ans, il exécute plus de 500 dessins à la mine de plomb, arrangements complexes de visages vus de face, d’échelle variable, dont les dizaines d’yeux vous fixent. Comparable encore, l’histoire de Léon Schwarz-Abrys, qui se fait interner à Sainte-Anne en mars 1943 et jusqu’à la Libération, et, autodidacte lui aussi, peint au couteau des portraits de désespérés. Qu’eux et d’autres artistes extérieurs à ce que l’on appelle le monde de l’art y soient montrés, est exactement dans la ligne du MIAM.
Sur des débris d’emballages
La deuxième partie de l’exposition est plus historique. Le but n’est pas de présenter un inventaire complet de la création en état d’enfermement, ce qui supposerait des espaces et des moyens plus considérables que ceux dont dispose le lieu, mais d’établir des correspondances entre les époques et les situations. Une section est consacrée aux condamnés de Cayenne, noix de coco découpées et ciselées par des bagnards merveilleusement adroits, croquis moins adroits d’hommes à pistolets et poignards légendés « souvenire des apache » et aquarelles plus élaborées qui dépeignent exécution capitale, évasion ratée par la mer et rêve d’évasion par aéroplane – rêve en ce temps-là.
Mais la section la plus remarquable est celle qui clôt le parcours. Appelée « Festins imaginaires », elle réunit des documents d’un genre très spécifique : les menus de repas formidables et les recettes de plats exquis qu’inscrivaient en lettres minuscules et avec une encre diluée, sur des débris d’emballages ou d’affichettes, des femmes et des hommes prisonniers dans les camps de concentration et d’extermination du IIIe Reich, mais aussi dans ceux de l’URSS de Staline et de la Chine de Mao. Surpris, ils auraient été vraisemblablement exécutés. Ces documents ont été sauvés de Ravensbrück, du siège de la Gestapo à Nice ou de goulags sibériens. A peine lisibles pour certains, illustrés parfois de dessins de saucisses et de pâtés, ils disent la famine et la certitude d’en mourir. Parmi eux, ceux de Violette Lecoq, résistante, dont les croquis du quotidien à Ravensbrück furent des pièces à conviction lorsque les responsables du camp furent jugés à Hambourg après la guerre.
« Evasions, l’art sans liberté », Musée international des arts modestes (MIAM), 23, quai Maréchal-de-Lattre- de-Tassigny, à Sète (Hérault). De 9 h 30 à 19 heures. De 2,60 € à 5,60 €. Jusqu’au 23 septembre. www.miam.org
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