Les tests génétiques récréatifs permettent à des personnes conçues par don anonyme de trouver leur donneur ou des demi-frères et sœurs.
Lisa s’est toujours doutée qu’il y avait « un problème avec sa naissance ». Un « gros secret ». Les indices se sont accumulés comme des petits cailloux menant à la solution de l’énigme.
D’abord, elle ne ressemble pas aux autres membres de sa famille. « On me demande tout le temps quelle est mon origine : espagnole, italienne, voire iranienne », relate la jeune femme. Autre détail : sa mère n’a jamais utilisé de contraceptif.
Et puis un jour, au cours de ses études de droit, un examinateur l’interroge sur la procréation médicalement assistée avec don de gamètes : « Quelle est votre opinion sur l’anonymat du donneur ? » A 21 ans, elle n’en sait rien. Ça la vexe, elle se documente. « Je me suis dit : les pauvres [enfants nés par don], pour eux ce n’est pas drôle, poursuit-elle. Petit à petit, l’idée a fait son chemin dans ma tête. » Questionnée, sa mère finit par lui dire la vérité : Lisa a elle-même été conçue par don.
Tout de suite, la question de ses origines s’est posée. « J’ai besoin de savoir d’où je viens, à qui je ressemble, explique la jeune femme. Pour transmettre quelque chose à mes futurs enfants. Pas ce vide. » Le 14 juillet 2016, elle réchappe de l’attentat qui fait 86 morts sur la promenade des Anglais à Nice. L’événement lui fait sauter le pas.
Tests très populaires aux Etats-Unis
Elle prend contact avec l’association PMAnonyme, et se lance dans l’aventure des tests génétiques. Très populaires aux Etats-Unis, les tests ADN récréatifs y sont surtout utilisés pour connaître les origines géographiques d’ancêtres immigrés. Les chanceux retrouvent des parents plus ou moins éloignés, et peuvent entrer en contact avec eux. Aujourd’hui, quinze millions de personnes figurent dans les quatre bases de données existantes, celles de 23andme, AncestryDNA, MyHeritage et Family Tree DNA.
Pour les enfants nés par don de gamètes, ces tests sont beaucoup plus qu’un simple divertissement. Ils représentent une chance de retrouver le donneur. La marche à suivre est assez simple : le test commandé sur Internet permet d’effectuer un prélèvement de salive qui est envoyé aux Etats-Unis. Les résultats arrivent après quelques semaines sur l’espace personnel du client. Pour Lisa (tous les prénoms ont été modifiés), ils s’avèrent plutôt décevants. Elle a certes des « matches », c’est-à-dire des personnes qui ont avec elle un fragment d’ADN en commun. Il s’agit d’Américains dont des ancêtres étaient originaires de la baie de Naples, en Italie. Mais le cousinage est très lointain.
C’est finalement par un moyen beaucoup plus direct que Lisa va faire une grande découverte. En janvier 2018, Arthur Kermalvezen révèle comment il a retrouvé son donneur grâce aux tests génétiques. Son témoignage, rendu public à la veille des Etats généraux de la bioéthique, fait grand bruit. Comme beaucoup d’enfants nés par don, Cassandre, 36 ans, prend contact avec l’association PMAnonyme.
C’est Lisa qui répond aux courriels des nouveaux arrivants et leur propose de devenir amis sur Facebook. « Quand j’ai vu la photo de Cassandre, je me suis tout de suite dit qu’on se ressemblait énormément, raconte-t-elle. C’était presque moi, mais pas tout à fait moi. »
Travail d’enquête génétique et généalogique
Elles ont six ans d’écart, mais sont toutes les deux nées à Toulouse par don. Un test génétique confirmera l’intuition initiale : Lisa et Cassandre sont demi-sœurs biologiques. En anglais, on parle de « diblings », comme « donor siblings », frères ou sœurs nés du même donneur. A ce moment-là, « il se passe quelque chose de fusionnel, décrit Lisa. C’est comme si on retrouvait l’un des siens ». Les deux jeunes femmes cherchent aujourd’hui leur donneur ensemble.
Michel, 36 ans, a eu encore plus de succès. Il connaît son mode de conception depuis l’âge de 10 ans. « Je l’ai appris au moment du divorce de mes parents », précise-t-il. Fils unique, il a « tout de suite voulu chercher » : « A qui appartient ce sourire, quelle est mon origine, ai-je des demi-frères et sœurs biologiques » ? Coup de chance : les tests lui révèlent trois « matches » à plus de 1 % d’ADN en commun. Des cousins certes éloignés, mais une comparaison de leurs arbres généalogiques fait apparaître un couple d’arrière-arrière-grands-parents communs en Scandinavie. L’un de leurs fils a émigré en France.
Et comme c’est très souvent le cas désormais, l’arbre généalogique de ce dernier, contenant toute sa descendance, est accessible sur Internet. Dans cette branche, seuls quelques hommes sont en âge d’avoir donné leurs gamètes au moment où Michel est né. Il est alors relativement facile de remonter jusqu’à lui par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Pour en arriver là, en plus d’un sort favorable, il faut mener un travail d’enquête génétique et généalogique dont plusieurs membres de l’association PMAnonyme sont devenus spécialistes.« J’ai commencé à chercher pour mon mari, explique Magali Brès, l’épouse du président de l’organisation, Vincent Brès. Puis j’ai poursuivi les recherches pour d’autres personnes. Il faut étudier le degré de relation entre les personnes grâce à leur pourcentage d’ADN en commun, trouver leurs arbres généalogiques et les connecter. C’est comme cela qu’en partant de cousins assez éloignés on peut trouver le donneur. »
« Désobéissance civile »
Le fait de solliciter l’examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d’un tiers est pourtant puni en France d’une amende de 3 750 euros. « Nous sommes face à une injustice, celle de ne pas pouvoir accéder à nos origines, répond Vincent Brès. Face à cela, nous pratiquons une forme de désobéissance civile. »
Michel est encore bouleversé de la rencontre qu’il vient d’effectuer avec son géniteur et toute sa famille, dont ses demi-frères et sœurs biologiques. « Ce sont des gens adorables, qui m’avaient préparé un dossier complet sur mes ancêtres, relate le jeune homme. Cela donne une histoire, un contexte à mon existence. »
Il n’a pas parlé à son père de cette rencontre, « pour ne pas lui faire de peine ». « Le fait d’avoir rencontré mon père biologique a pourtant levé toute ambiguïté là-dessus, relève-t-il. Mon père, c’est celui qui m’a élevé. Face à la réalité, le fantasme disparaît. »
Parmi ceux qui se lancent dans cette quête, tous n’ont pas la chance de Lisa ou de Michel. Cédric, 25 ans, a pourtant eu un très bon « match » sur 23andme : 10 % d’ADN en commun, donc peut-être un cousin germain, habitant aux Etats-Unis. Mais, au bout de quelques échanges de messages par l’intermédiaire du site, son « match » n’a plus répondu. « Qu’ai-je mal fait ?, s’interroge-t-il. On s’imagine plein de choses. Peut-être que la personne s’est dit qu’il y avait eu un adultère dans sa famille. »
L’anonymat ne peut plus être garanti aux donneurs
Cédric s’apprête à envoyer un nouveau message expliquant qu’il est né d’un don de gamètes et qu’il ne cherche pas une famille de substitution, mais simplement à « être en paix avec [lui]-même ». Il ne veut pas chercher plus activement son donneur à partir du nom de son probable cousin. « Ce serait trop intrusif », estime Cédric.
Laetitia, 37 ans, a connu la même déception. Après un message, son « match », là encore certainement un cousin proche, a cessé de lui répondre. Mais le simple fait d’être dans l’association la satisfait. « Discuter avec des personnes qui me comprennent est un soulagement, explique-t-elle. Avec mes parents, le sujet est tabou. »
A ce jour, une vingtaine de membres de l’association ont fait les tests. Quatre ont retrouvé leur donneur, et trois, des demi-frères et sœurs. Une douzaine d’autres cherchent activement car ils ont de bonnes chances de trouver. Des chiffres qui prouvent que l’anonymat ne peut plus être garanti aux donneurs de gamètes, selon Vincent Brès.
Ce dernier fait partie de ceux qui n’ont pour l’heure aucune piste sérieuse. « Je n’ai que les yeux pour pleurer, soupire-t-il. Seulement des matchs à 0,2 %. Rien qui permette de démarrer des recherches. Mais, mathématiquement, mes chances augmentent chaque jour qui passe. » Quotidiennement, de nouvelles personnes effectuent les tests, et de nouveaux liens de parenté peuvent apparaître.
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