Au musée pop-up Sugar Republic de Melbourne, le 24 juillet. Photo William West. AFP
Aux Etats-Unis, les professionnels de la chirurgie esthétique constatent qu’un nombre croissant de patients cherchent à se rapprocher d'une version lissée et idéalisée d'eux-mêmes. Souvent problématiques, les filtres du réseau social ne sont pas seuls responsables pour autant.
«En une seconde, effacez vos rides, vos boutons et toutes vos petites imperfections.» Ça pourrait être le slogan d’une marque de cosmétiques du futur mais pour l’instant, c’est surtout la philosophie tacite de Snapchat. Depuis 2016, le réseau social d’échanges de photos et de vidéos éphémères permet en effet à ses utilisateurs d’appliquer des «filtres» sur leur visage, de sorte que celui-ci apparaisse à l’écran plus clair, plus mince ou plus souriant qu’au naturel.
Ce qui n’était qu’une lubie virtuelle est peut-être en train de devenir un fantasme bien réel. Aux Etats-Unis, les chirurgiens esthétiques constatent ainsi qu’un nombre croissant de leurs patients souhaitent ressembler à leur représentation «filtrée». Dans un article publié dans le journal JAMA Facial Plastic Surgery, un groupe de chercheurs à la faculté de médecine de Boston attribue même un nom au phénomène : la «dysmorphobie Snapchat». «Ces filtres et ces retouches sont devenus la norme, altérant la perception des gens de la beauté partout dans le monde», affirment-ils.
Des «attentes irréalistes»
En France, le Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique évoque un simple «phénomène de mode» dont il n’a «jamais entendu parler ici». Outre-Atlantique, pourtant, les chercheurs ont pu constater l’ampleur de la chose. 55% des chirurgiens reçoivent aujourd’hui des patients souhaitant «améliorer leur apparence sur leurs selfies», notent-ils. «Il y a quelques années, les gens apportaient des photos de célébrités. Aujourd’hui, ce sont des photos d’eux-mêmes filtrées et modifiées. Les patients ont souvent des attentes irréalistes sur ce qu’on est capable de faire grâce à la chirurgie plastique et cosmétique», explique Neelam A. Vashi, coautrice de l’étude, dans un podcast sur le sujet. Sur le plan psychologique, l’article note également que l’omniprésence et la popularité de ces filtres pourraient nuire à l’estime de soi en déclenchant, chez les plus jeunes notamment, des peurs de dysmorphie corporelle, une maladie mentale entraînant isolation sociale et comportements compulsifs.
Des filtres souvent problématiques
Snapchat est-il directement responsable ? Contactée par Libération, l’entreprise botte en touche et réaffirme sa volonté d’aider sa communauté à «être à l’aise pour s’exprimer librement» à travers des outils conçus pour «réduire les obstacles à l’expression personnelle». De fait, pourtant, une bonne partie de ses filtres entretiennent, au-delà de leur côté divertissant, une vision très normative de la beauté : agrandissement des yeux, diminution du nez, rosissement des pommettes… Ces modifications n’échappent même pas aux filtres animaliers du service : pour des oreilles de chien, d’ourson ou de biche plantées sur la tête, l’utilisateur obtient en prime une bonne dose de retouche et de maquillage, qui le font parfois davantage ressembler à une peluche inanimée qu’à un animal sauvage.
A l’image de certaines photos de mode retouchées, les filtres Snapchat sont aussi régulièrement dénoncés pour leur racisme, leur ethnocentrisme ou leur grossophobie, dans la mesure où ils blanchissent, occidentalisent et amaigrissent largement les traits de leurs utilisateurs. Pour la journée internationale du droit des femmes de 2017, par exemple, Snapchat avait mis en place un filtre spécial pour «rendre hommage» à l’artiste mexicaine Frida Kahlo… tout en prenant bien soin de rendre sa peau plus blanche et ses sourcils moins épais. De même, en 2016, l’entreprise avait proposé un filtre censé représenter un personnage «asiatique» totalement caricatural.
Des responsabilités partagées
Mais ce serait faire beaucoup d’honneur à Snapchat que de lui imputer l’ensemble de la responsabilité des standards de beauté véhiculés par ce type de technologie. Certains smartphones, ainsi que des applications comme Line Camera ou Facetune permettent depuis des années de retoucher rapidement son visage en selfie, et Instagram s’est à son tour doté de toute une palette de filtres depuis l’année dernière. De plus, Snapchat a récemment annoncé qu’il avait, pour la première fois de son histoire, perdu 3 millions d’utilisateurs en un trimestre. La mainmise du réseau social sur les filtres pourrait donc ne pas durer…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire