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lundi 13 août 2018

Les histoires d'étoiles finissent mal, en général

Par Camille Gévaudan — 
Photo composite de l'étoile double Eta de la Carène et de sa nébuleuse à deux lobes, restes d'une explosion observée en 1843.
Photo composite de l'étoile double Eta de la Carène et de sa nébuleuse à deux lobes, restes d'une explosion observée en 1843. Photo Hubble. Nasa. Nathan Smith (University of California, Berkeley)

L'étoile géante Êta de la Carène fut au centre d'une explosion observée en 1843, comme une supernova... sauf qu'elle a survécu. Des astronomes américains pensent avoir percé le mystère, dans un scénario impliquant une danse à trois astres et une violente fusion.

Eta de la Carène est l’une des plus chouettes étoiles de notre galaxie. De ce qu’on en sait aujourd’hui, elle est cinq millions de fois plus brillante que le Soleil, mais suffisamment loin de nous (entre 7 000 et 10 000 années-lumière de la Terre) pour qu’on ne la voie pas à l’œil nu. A l’article de la mort, Eta est gonflée comme une baudruche et pourrait exploser en supernova d’un jour à l’autre, nous offrant le spectacle d’un point aussi brillant dans le ciel que Vénus. D’ailleurs, ça ne serait pas la première fois : Eta de la Carène a déjà explosé… en 1843. Mais elle a survécu. Une fois dissipé le flash de l’éruption, on voyait encore une étoile ! Elle s’est faite très discrète durant quelque temps dans le ciel de l’hémisphère sud, puis s’est rallumée progressivement depuis 1940. Mais qu’est-ce qu’il se passe, à la fin ?

Enfin, on commence à comprendre. Des astronomes américains ont publié début août deux études qui lèvent le voile sur la vie agitée d’Eta de la Carène. Il est question de danse amoureuse entre trois étoiles, l’une suçant la matière de l’autre pendant que la troisième se rapproche jalousement jusqu’à faire voler le couple en éclats…
Une vidéo en 3D (Nasa, ESA, and G. Bacon/STScI) résume les interactions complexes qui ont bouleversé l’équilibre de système stellaire triple.

A l’écoute d’un écho

Il est malheureusement trop tard pour observer la lumière directe de l’éruption de 1843 avec nos télescopes modernes. On aurait sans doute compris beaucoup plus vite les tenants du drame qui venait de se dérouler dans le ciel, si on avait disposé des observatoires qui peuplent aujourd’hui les montagnes chiliennes. Heureusement, on peut toujours se le jouer en replay : les ondes émises par l’éruption ne cessent de rebondir sur la poussière interstellaire et d’arriver sur Terre des dizaines d’années plus tard, par vagues successives après des trajets très indirects, pleins de détours. C’est ainsi qu’on a enregistré, à partir de 2003, des «échos lumineux» de l’explosion du XIXe siècle.
«Un écho lumineux est la meilleure alternative que l’on ait au voyage dans le tempsrésume Nathan Smith, astrophyisicien à l’université d’Arizona, qui dirige l’équipe planchant sur Eta de la Carène. Il nous donne la chance d’observer une éruption observée il y a cent soixante-dix ans avec nos instruments modernes et de comparer ces informations sur l’événement lui-même à la nébuleuse qui a été éjectée.» Car l’explosion a laissé des restes, sous la forme d’un nuage de gaz gros comme notre système solaire : la nébuleuse de l’Homoncule.
La nébuleuse de l'homoncule photographiée en 1996 par le télescope spatial Hubble.
La nébuleuse de l’Homoncule photographiée en 1996 par le télescope spatial Hubble. (Photo Nasa)


Ceci n’est pas une supernova

D’après l’analyse de l’écho lumineux, ces gaz ont dû être éjectés à la vitesse faramineuse de 10 000 à 20 000 kilomètres par seconde. On est loin des vents stellaires qui soufflent pépère, typiquement vingt fois moins fort, sur des étoiles de ce type. A ce niveau de violence, on pense à un autre phénomène : «On observe ces hautes vélocités tout le temps dans les explosions de supernovas au cours desquelles l’étoile est anéantie», note Nathan Smith.
Une supernova se produit quand une étoile très massive arrive en fin de vie : elle commence à épuiser ses réserves d’hydrogène, la pression augmente et l’étoile gonfle. Elle devient «géante», voire «supergéante» ou même «hypergéante» comme Eta de la Carène. Enfin, un jour, elle implose. Son cœur s’effondre brusquement et les couches externes de gaz sont violemment expulsées. L’éclat lumineux est tellement fort que l’étoile devient momentanément visible à de très longues distances – c’est pourquoi on les appelle (super)novae, du latin pour «nouvelles», car elles semblent apparaître dans le ciel alors qu’elles étaient jusque-là indétectables depuis la Terre. Après l’explosion, le gaz refroidit et l’éclat diminue. Il reste un grand nuage de gaz, qu’on appelle nébuleuse, et un résidu d’étoile incapable de briller.
La nébuleuse du Crabe, restes de gaz éjectés par l'explosion d'une étoile en supernova. Il reste en son centre une étoile à neutrons.
La nébuleuse du Crabe, restes de gaz éjectés par l’explosion d’une étoile en supernova. (Photo NASA, ESA, J. Hester and A. Loll)

Sauf qu’après l’expulsion de gaz, Eta de la Carène est restée bien présente. En réalité, elle est même double. Deux astres tournent l’un autour de l’autre en cinq ans et demi. Le plus gros est une hypergéante bleue, entre 150 et 250 fois la masse du Soleil. Son compagnon pèse seulement 30 à 80 soleils. D’où provient l’explosion, si ce n’était pas de la mort de l’hypergéante ?

La valse à trois

Manifestement, pour Smith et son équipe, «quelque chose doit avoir fourni énormément d’énergie à l’étoile dans un délai très court». Quelque chose comme une collision. Alors les astronomes ont échafaudé un scénario, modélisé par ordinateur pour voir si le résultat colle aux vitesses d’éjection mesurées et aux caractéristiques de la nébuleuse de l’Homoncule. Un scénario alambiqué, avec plein de rebondissements, mais très plausible.
C’est l’histoire d’un couple d’étoiles, qu’on nommera affectueusement A et B. Elles se tournent autour dans une danse très serrée. Leur petit manège amoureux est observé de loin par une troisième étoile, la jalouse C, qui les encercle lentement. Mais voilà : l’étoile A est plus vieille que sa compagne. Arrivée dans le troisième âge, elle se met à gonfler et gonfler encore, exposant ses couches externes de gaz à la gravité de l’étoile B, qui l’aspire progressivement.
Première étape du scénario
Surveillées de loin par l’étoile C, A et B s’aiment tellement fort qu’elles se font un gros suçon (Smith et al, 2018. Images NASA, ESA, and A. Feild/STScI).

Après avoir sucé tout l’hydrogène de sa concubine, B est obèse. Elle pèse 100 soleils et brille intensément. La vieille A fait pâle figure à côté, toute chétive, découvrant à l’air libre (façon de parler) son cœur d’hélium. Les deux étoiles ont changé de masse et rééquilibrent leur orbite, s’éloignant l’une de l’autre. C’est alors que la petite A croise le chemin de C, qui passait pas loin, et l’attire involontairement dans la mêlée. Dans sa lancée, C en profite : elle fonce vers la grosse B, resserre son orbite en spirale et la force à former autour d’elle un disque de poussière, comme pour se protéger (oui, on brode un peu).
A l’os, la vieille A s’éloigne. Le poids de son chagrin attire C, qui plonge au cœur de l’action et se rapproche dangereusement de B.

C finit par percuter la grosse étoile et envoyer valser son disque dans une gigantesque explosion. B et C ont fusionné… Mais la vieille A rôde toujours dans les parages, ceinture à distance l’étoile accouplée et continue de traverser tous les cinq ans et demi le nuage de l’homoncule, en produisant des ondes de choc que l’on détecte aux rayons X.
B s’est enveloppée de poussière quand C la percute enfin. Le disque explose et A continue de tourner autour du couple uni.

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