Editorial. Longs délais de prise en charge, soignants à bout, familles et patients abandonnés, la situation dans les services de psychiatrie est critique. Or, les pouvoirs publics ne semblent pas en mesurer la gravité.
LE MONDE |
Editorial du « Monde ». Le diagnostic est largement partagé : la psychiatrie publique française est en pleine dépression. Ces dernières années, de nombreux rapports en ont fait le constat unanime. Sur le terrain, tout contribue à cette crise : des délais sans fin de prise en charge, des soignants usés et désabusés, des familles et des patients qui se sentent abandonnés. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a elle-même reconnu, il y a quelques mois, qu’« il n’y a pas eu un vrai investissement depuis des années » en psychiatrie, et elle a déploré un état de « souffrance générale » des professionnels et des malades.
Personne, pourtant, ne semble véritablement mesurer la gravité de cette situation. Cette indifférence, voire cette cécité, est aussi alarmante qu’incompréhensible, alors que, au cours de sa vie, un Français sur cinq connaîtra un trouble psychique justifiant un suivi médical. En 2016, 2,1 millions de patients (dont un quart âgés de moins de 18 ans) ont été pris en charge, soit par les quelque 3 900 centres médico-psychologiques répartis sur le territoire, soit par les hôpitaux psychiatriques, qui ont accueilli 417 000 malades.
Ces derniers mois, les signaux d’alerte sont passés au rouge les uns après les autres. Dans les hôpitaux psychiatriques de Bourges, Allonnes, Rennes, Amiens ou Saint-Etienne, les personnels se sont mis en grève pour réclamer les moyens d’exercer dignement leur métier, lassés d’être devenus de simples gardes-malades. En juin, à l’hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, nombreux sont ceux qui ont mené une grève de la faim de près de deux semaines avant d’obtenir la création d’une trentaine de postes d’infirmiers et d’aides-soignants. En outre, ces tensions sont aggravées par la « banalisation » choquante du recours à la contention et à l’isolement, dénoncée en 2016 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Les CMP de plus en plus engorgés et débordés
La situation n’est pas moins critique dans les centres médico-psychologiques (CMP). Ces structures, développées depuis un demi-siècle dans le cadre de la sectorisation de la psychiatrie publique, constituent un maillon essentiel, entre la médecine générale et l’hôpital, de la prise en charge des problèmes de santé mentale – en particulier pour les enfants et les adolescents adressés par les psychologues scolaires. Or, elles sont souvent les premières victimes des restructurations des hôpitaux dont elles dépendant. Faute, là encore, de moyens, les CMP sont de plus en plus engorgés et débordés. Les délais de prise en charge s’allongent jusqu’à plusieurs mois, voire un an, en pédopsychiatrie, au risque de rendre caduque leur mission de dépistage et de prévention.
L’origine de cette crise est connue : des patients toujours plus nombreux et des moyens toujours plus contraints. Entre 2010 et 2016, près de 300 000 personnes supplémentaires ont ainsi été suivies en psychiatrie. Le Syndicat des psychiatres des hôpitaux estime qu’entre 900 et 1 000 postes de psychiatres sont aujourd’hui non pourvus. Même si cela a longtemps répondu à la volonté de sortir de la logique « asilaire », le nombre de lits à temps complet en hôpital a été réduit de 70 % durant les trois dernières décennies. Au point que la pénurie de lits est devenue, bien souvent, un critère de la durée des soins des patients.
Le président de la République doit annoncer, en septembre, une grande réforme du système de santé. Il ne faudrait pas que la psychiatrie en soit le parent pauvre. Il est urgent, au contraire, d’entendre le cri d’alarme des soignants.
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