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vendredi 17 août 2018

Jacques Testart «Le transhumanisme est une idéologie infantile»

Par Erwan Cario — 

Dessin de Simon Bailly
Dessin de Simon Bailly

Avec ses promesses de toute-puissance, ce courant futuriste commence à séduire au-delà des technophiles enthousiastes. Pour le biologiste Jacques Testart, père scientifique du premier bébé-éprouvette, il s’agit d’une croyance dangereuse et il faut questionner d’urgence la notion même de progrès scientifique.

En 2045, l’intelligence artificielle va brutalement dépasser l’intelligence humaine. Capables de s’auto-améliorer à l’infini, des programmes ultra-perfectionnés sauront résoudre tous les problèmes de l’humanité, à commencer par la mort. Alors, enfin, le post-humain, génétiquement amélioré et technologiquement augmenté, pourra se considérer accompli. C’est la promesse du transhumanisme, courant longtemps jugé comme gentiment illuminé mais dont le discours porte aujourd’hui de plus en plus. Dans son ouvrage Au péril de l’humain paru au Seuil, écrit avec la journaliste Agnès Rousseaux, le biologiste Jacques Testart, père scientifique du premier bébé-éprouvette, s’alarme des conséquences irréversibles sur le monde qu’une telle idéologie pourrait engendrer.

Pourquoi le transhumanisme gagne-t-il en influence ?
C’est une idéologie qui prospère sur les innovations extraordinaires de la technoscience, que ce soit autour de la génétique, du cerveau, de l’intelligence artificielle. Il y a des trucs assez fantastiques qui donnent une prise pour faire croire que tous les mythes anciens, qu’on traîne depuis le début des temps, l’immortalité, l’intelligence supérieure ou le héros imbattable, vont devenir réels. Ce ne sont rien d’autre que des rêves enfantins, une idéologie infantile.
Parmi ces mythes, il y a celui de vaincre la mort. Ce n’est pas un peu compliqué, de se positionner contre ?
On peut déjà se positionner rationnellement, en montrant que ce n’est pas possible. Et on peut aussi se positionner philosophiquement en montrant que ce n’est pas souhaitable. Qu’est-ce que ça veut dire, être immortel ? On doit s’emmerder tout le temps ! Je crois même qu’on doit rester au lit. C’est l’immobilité, c’est l’attente, c’est l’ennui, sûrement. Mais ça, d’autres l’ont dit mieux que moi. Pour ce qui est de la faisabilité, il y a plein d’éléments qui montrent que c’est impossible. On nous dit que c’est imminent, que les enfants qui vivront trois cents ans sont déjà nés. Ce qui voudrait dire que les technologies sont déjà là. Mais nos prédicateurs ont-ils déjà créé une souris immortelle ? Une mouche immortelle ?
Et puis il faut bien se rendre compte que la durée de vie en bonne santé est en train de diminuer, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. Et c’est à ce moment-là qu’on nous propose l’immortalité. C’est dire si ça ne tourne pas rond ! On a plein de nouvelles maladies, les perturbateurs endocriniens, de nouveaux virus, et toutes les maladies chroniques qui se développent. C’est donc quand notre civilisation connaît une régression directement due aux excès du capitalisme qu’on nous dit que grâce aux nouvelles technologies produites par ce même capitalisme, on va tout surmonter.
C’est un discours typique d’une religion…
C’est la vieille stratégie scientiste. Claude Allègre en était un éminent représentant. Le climat se dérègle ? Pas grave, on va inventer des machines qui vont corriger ça. On fait croire que le système qui a provoqué les problèmes est capable de les réparer. Ce n’est pas crédible. Effectivement, c’est un peu comme une religion. En France, ce n’est pas encore vraiment implanté, même si ça gagne de plus en plus les esprits. Il y a cinq ans, tout le monde rigolait à l’évocation du transhumanisme. Aujourd’hui, beaucoup commencent à y adhérer. Et il faut croire, parce qu’il n’y a aucune preuve de rien.
On vous connaît pour être à l’origine du premier bébé-éprouvette, n’est-ce pas contradictoire de s’opposer à ces «progrès» ?
Vous pensez bien que je suis habitué à cette question. La fécondation in vitro, c’est une intervention pour les gens qui ne peuvent pas faire d’enfants. Il s’agissait, en 1982, de restituer un état de normalité qui est la possibilité de fonder une famille. Ça ne dépassait pas ce cadre, on ne faisait pas de bébé sur-mesure. Quand je me suis aperçu, quatre ans plus tard, que cette technique pouvait permettre à terme de faire des bébés de «meilleure qualité», j’ai écrit l’Œuf transparent. J’expliquais qu’on allait pouvoir trier parmi les embryons pour choisir celui qui convient le mieux. Ça a finalement été inventé par des Anglais et ça s’appelle le diagnostic génétique préimplantatoire. Je me suis battu contre et je continue à me battre. Alors oui, on peut me dire qu’il fallait que les gens restent stériles parce que c’est la nature. Mais à ce titre, on n’aurait pas inventé la médecine, on n’aurait pas de médicaments, de vaccins… Ce n’est pas ma façon de voir. Moi, je veux que les gens puissent vivre une bonne vie, en bonne santé, et que ça vaille le coup, qu’ils puissent être créatifs.
Comment cette idéologie transhumaniste a-t-elle infusé pour inspirer autant les recherches actuelles qui tendent beaucoup vers le post-humain, que ce soit en informatique, en génétique, en robotique ou en biologie ?
Je prendrais le problème à l’envers. Je ne crois pas que le transhumanisme dirige quoi que ce soit. Ce sont les recherches qui, par la continuité et le progrès des sciences, nous mènent à cet état qu’on peut nommer transhumanisme. C’est-à-dire que la volonté de la science, c’est de maîtriser. De maîtriser la nature, bien sûr, mais aussi de maîtriser l’humain. Et maîtriser l’humain, c’est le but des transhumanistes. Il faut donc que ce progrès scientifique soit raisonné, mais surtout pas par les scientifiques eux-mêmes. On en vient donc forcément à la démocratisation de la science, qui est l’objet de l’association Sciences citoyennes à laquelle je participe.
Mais, du coup, dans le cadre de cette démocratisation de la science que vous appelez de vos vœux, qu’est-ce qu’on recherche ? Si ce sont les citoyens qui décident, ne peuvent-ils pas choisir d’aller vers le post-humain ?
Ce n’est pas impossible, mais je n’y crois pas. Je travaille sur les procédures démocratiques des conférences de citoyens depuis 2002. Toutes les études menées à travers le monde sur ce type de conférences aboutissent à des conclusions frappantes. Ce sont des gens tirés au sort, aux profils variés, de milieux, d’âges, de sexes, de professions différents, et ils finissent par se sentir investis d’une mission pourvu qu’ils aient la certitude que leur avis soit pris en compte politiquement. On observe que, d’une part, c’est très intelligent, on trouve plein d’idées nouvelles que les experts et les politiques n’avaient pas eues et que, d’autre part, ce sont des idées généreuses et altruistes, qui prennent en compte le tiers-monde, les générations futures, etc. Ils pensent plus loin. Il y a une sorte de mutation temporaire et positive de l’humain quand on le met dans ces conditions. Il se passe une sorte d’alchimie, un mélange d’intelligence collective et d’empathie.
C’est donc la démocratie qui augmente l’humain…
Exactement ! La vraie démocratie permet de faire du post-humain intéressant !
Malgré cette mince note d’espoir, votre livre est assez…
…pessimiste…
…Apocalyptique, même.
Oui. Ça ne veut pas dire que la Terre explose, hein ! Je parle du monde tel qu’on le conçoit aujourd’hui, avec la nature et ses relations à l’homme. Ce monde qu’on peut admirer tous les jours. Quand on regarde un chat, par exemple. Pour moi, le chat, c’est la perfection. C’est un animal fabuleux. Un animal qui a cette grâce, et en même temps cette distance, cette espèce de mépris… Si on regarde une abeille, c’est la même chose. Je suis émerveillé par la nature. La fin du monde, ça veut dire que tout ça disparaît. On le constate déjà. On voit que la moitié des insectes a disparu en vingt ans. On le voit aussi au niveau de l’humanité, avec des comportements induits par la technologie, comment les gens ont changé leurs relations aux autres. On est en train d’infantiliser la population, de la déresponsabiliser, de lui faire perdre son autonomie en la mettant sans arrêt à la merci de «spécialistes» qui dictent le bon comportement.
Ce que je remarque, c’est que les dates qu’on croise souvent, 2045-2050, sont avancées à la fois par les transhumanistes pour la singularité, ce moment où la machine devrait devenir plus intelligente que l’homme, et par d’autres, comme le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr],qui parlent de la même période pour des situations de catastrophe écologique, où la vie devient insupportable. Nos enfants vont vivre une période épouvantable.
En voulant «améliorer» la nature, le transhumanisme s’attaque de fait au mécanisme même de l’évolution qui dure depuis des millions d’années…
On travaille effectivement à la ruine de l’évolution et à celle de la civilisation qui est venue se greffer dessus. La nature a créé des êtres qui, pour la plupart, sont parfaitement à leur place, et on a besoin de la place de chacun. La diversité n’est pas un vain mot, et sa disparition est très grave. C’est dramatique de considérer que ce n’est qu’une crise, la crise du XXIe siècle. Et qu’il y en aura une autre au XXIIe. Mais ce n’est pas ça. Le XXIe siècle rompt avec tout ce qui le précède, et avec toute l’évolution. On ne maîtrise rien ! Si on prend la génétique, par exemple, on est capable de détruire des espèces, de mettre des gènes tueurs, mais on est incapable de maîtriser les espèces qu’on modifie génétiquement, c’est-à-dire d’empêcher les effets indésirables de nos manipulations.
Vous voulez remettre au goût du jour les expressions «jouer avec le feu» et «apprentis sorciers».
Je suis frappé de voir le nombre de transhumanistes non assumés, notamment en biologie, qui travaillent actuellement pour modifier le vivant. Pour rajouter une lettre à l’ADN, par exemple. Il y en a aujourd’hui quatre, ils veulent en rajouter une. Et pour quoi faire ? Pour voir ce que ça fait ! C’est vraiment un truc d’apprentis sorciers. On a déjà eu ça avec les nanotechnologies. Cette façon de faire, de modifier les choses «pour voir», c’est nouveau. C’était un truc de sorcier qui avait disparu avec la science moderne, où on devait suivre un protocole qui expliquait le but, la méthodologie, le déroulé de l’expérience. Et on observait le résultat en fonction de la prédiction. Aujourd’hui, c’est le contraire, on fait la manip, et on voit ce que ça fait. Ça, c’est suicidaire, parce qu’on s’expose à des résultats qui ne sont pas réfléchis.
Vous expliquez qu’on manque d’un récit alternatif pour un futur différent de celui proposé par le transhumanisme, très populaire dans les œuvres de science-fiction. Quel pourrait être ce nouveau récit ?
Je ne vais pas l’écrire. Mais il est indispensable parce que le récit transhumaniste est tout à fait recevable, surtout par les jeunes. Ils sont très réceptifs. Ça recoupe à la fois leurs relations sociales, leur imagination, leur jouissance, même… Ça me glace de voir ces gamins devant un écran d’ordinateur quinze heures par jour, mais on ne peut rien faire. On ne peut pas interdire ces choses-là. Je parle beaucoup du téléphone portable. Aujourd’hui, les gens ne pourraient plus s’en débarrasser. C’est une prothèse obligatoire et généralisée. C’est un exemple assez fort de quelque chose qui s’est imposé en quinze ou vingt ans et qui est devenu indispensable dans le monde entier, jour et nuit, pour toutes les activités. Et il y a aussi les montres connectées, les assistants domestiques, tous ces projets de médecine prédictive et personnalisée à partir du génome. On ne peut pas espérer arrêter ça de façon autoritaire. Il faut pouvoir montrer que ce n’est pas comme ça que nous avons envie de vivre. Il faut donner autre chose à rêver.

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