Les personnes suivies en psychiatrie sont privées d’une prise en charge efficace des pathologies dites somatiques. Une négligence inacceptable, selon le pédopsychiatre Olivier Bonnot.
LE MONDE |
La psychiatrie est une discipline médicale transversale aux champs d’intérêt larges oscillant entre sciences humaines et neurosciences. Cette diversité des approches en fait toute la richesse, mais cache des luttes idéologiques, en particulier sur la question des liens entre maladies organiques et troubles psychiatriques.
Aujourd’hui encore, on apprend aux étudiants qu’un patient est psychiatrique s’il n’a pas de pathologie organique. En médecine, on appelle cela un diagnostic d’exclusion ou d’élimination. Cette dichotomie psychique versus organique est à la fois en contradiction totale avec les avancées scientifiques de ces vingt dernières années, mais surtout hautement préjudiciable pour les patients qui risquent de ne pas bénéficier de soins appropriés.
Les maladies liées à des anomalies génétiques connues fournissent un exemple éclairant des risques et aberrations de cette dichotomie. Il y a maintenant vingt ans, des chercheurs ont démontré que 2 % des patients schizophrènes ont une anomalie génétique bien identifiée, une microdélétion 22q11 (anomalie sur le bras court du chromosome 22), ce qui est au moins deux fois plus que dans la population générale. Cette découverte surprenante n’a malheureusement pas eu un retentissement considérable dans la pratique quotidienne, alors qu’elle doit impliquer des changements dans la stratégie thérapeutique.
« Cette négligence mène à des retards diagnostiques et de traitements. Elle est à l’image de la façon dont notre société traite les patients psychiatriques et handicapés mentaux »
Cette anomalie génétique n’est pas un cas isolé, ce sont plusieurs centaines de maladies organiques qui peuvent être associées aux pathologies psychiatriques ou à la déficience intellectuelle. Certaines d’entre elles, à l’instar des maladies enzymatiques ou neurométaboliques, peuvent parfois bénéficier d’un traitement médicamenteux et être associées à l’autisme, aux schizophrénies ou à la déficience intellectuelle. Cela signifie qu’il serait possible d’améliorer considérablement l’évolution et les conditions de vie de patients psychiatriques ou déficients si on se donnait la peine de chercher plus systématiquement ces maladies. Il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’il existe, dans les structures s’occupant de handicaps mentaux comme dans les hôpitaux psychiatriques, des patients présentant des maladies somatiques qui n’ont pas été diagnostiquées. C’est d’autant plus préjudiciable que nombre d’entre elles seraient potentiellement traitables.
C’est une forme de négligence inacceptable que de ne pas proposer de bilans cliniques et paracliniques de qualité à des patients qui sont déjà marginalisés ou stigmatisés par notre société.
L’accès aux soins somatiques est la première priorité, tant en milieu psychiatrique que médico-social, car il est inférieur à ce que l’on observe dans la population générale. Cela paraît incroyable et c’est pourtant une réalité en France, comme dans de nombreux pays occidentaux. En premier lieu, ouvrir davantage de postes de médecins généralistes et d’internes en médecine générale dans ces structures serait déjà une réponse simple et peu coûteuse. Réinstaller dans les hôpitaux psychiatriques des laboratoires d’analyses serait utile. Et dans tous les cas, organiser un « parcours patient » en psychiatrie et dans le champ du handicap autour de la question des explorations somatiques devrait être une priorité des agences régionales de santé.
Prise en charge globale du patient
Deuxième priorité, une transversalité accrue de la formation. La médecine personnalisée que la société et les usagers des soins appellent de leurs vœux doit envisager une prise en charge globale du patient et donc une compréhension globale permise par un enseignement associant diverses spécialités médicales. Les psychiatres doivent s’intéresser au bien-être, à la souffrance psychique, mais aussi physique. Ils devront être mieux formés à la détection des maladies associées aux troubles psychiatriques. C’est sans doute un état d’esprit qu’il faut changer dans toute la communauté médicale pour que les patients psychiatriques et les handicapés mentaux puissent bénéficier des examens les plus adaptés. La formation du personnel paramédical qui travaille au plus près de ces patients, dont le rôle est essentiel, devra également être revue.
Troisième priorité, promouvoir des études médico-économiques. Examens et traitements peuvent avoir un coût jugé trop important. Les analyses médico-économiques, principalement à l’étranger, évaluent le coût de la vie entière de patients avec des troubles psychiatriques chroniques et des déficiences intellectuelles à plusieurs millions d’euros par individu. Ces troubles touchant 1 % de la population générale (et même 2 % pour la déficience intellectuelle), le coût pour un pays comme la France peut se monter à plusieurs milliards d’euros. Pouvoir en soigner davantage serait une source d’économies. L’évidence n’étant pas la preuve, des études médico-économiques françaises prenant en compte les spécificités de notre système de santé sont nécessaires.
Cette négligence collective, qui mène à des retards diagnostiques et de traitements, est aussi à l’image de la façon dont notre société traite les patients psychiatriques et handicapés mentaux. Une médecine moderne ne doit oublier personne, n’oublions pas nos patients psychiatriques et déficients.
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