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vendredi 11 mai 2018

Les Ehpad face au casse-tête du recrutement d’aides-soignants

De nombreux directeurs d’établissement expliquent avoir du mal à pourvoir ces postes réputés pénibles, peu payés et peu considérés.

LE MONDE  | Par 

Il aura fallu près d’un mois à l’Ehpad du Bois-Hercé, à Nantes, pour parvenir à recruter une aide-soignante à temps partiel, à 1 300 euros net par mois pour trente et une heures de travail par semaine. « Il y a deux ans, nous avions pas mal de réponses quand nous passions des annonces, aujourd’hui, c’est au compte-gouttes », explique Xavier Relandeau, le directeur de l’établissement, qui a finalement trouvé une aide-soignante en CDD jusqu’à l’été, et non en CDI comme il le souhaitait. Il a également dû se plier à la demande de la nouvelle recrue de travailler moins de trente et une heures. « On va jusqu’à transformer notre planning pour essayer de la garder », soupire-t-il.
Le phénomène n’est pas documenté au niveau national, mais de nombreux directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes disent aujourd’hui avoir du mal à pourvoir ces postes réputés pénibles, peu payés et peu considérés. Tous secteurs confondus (Ehpad, hôpitaux…), près de la moitié (48 %) des employeurs prêts à recruter des aides-soignantes anticipent des difficultés à le faire, selon l’étude « besoin en main-d’œuvre 2018 » de Pôle emploi, parue début avril.

Alors que les personnels des Ehpad se sont mis deux fois en grève, au niveau national, depuis le début de l’année pour réclamer davantage de moyens – principalement en effectifs – afin de s’occuper « dignement » des personnes âgées, ce manque d’attractivité pourrait rapidement se révéler problématique. Ce sera un enjeu central du plan grand âge promis par le gouvernement, dont la feuille de route doit être présentée d’ici à fin mai.

« Même si on avait des crédits supplémentaires, on serait bien embêtés pour pouvoir embaucher », assure Philippe Caillon, le directeur de la maison de retraite Saint-Joseph, un établissement appartenant au même groupe que le Bois-Hercé, dans la région nantaise. L’année dernière, dans cet Ehpad, un poste en CDI est resté non pourvu pendant plusieurs mois alors même que plusieurs salariés se trouvaient en CDD. Pour trouver des candidats à des contrats de longue durée, M. Caillon s’apprête à augmenter le montant de la prime de 100 euros promise à tout salarié qui dénicherait une perle rare à embaucher.

Trouver des remplaçants pendant les congés des titulaires en été ou à Noël est particulièrement ardu. « Les salariées en CDD deviennent les reines de la fête : elles choisissent quand elles veulent travailler ou pas, explique M. Caillon. Elles nous disent par exemple qu’à partir du 20 décembre, ce n’est pas la peine de les appeler. » A cette période de l’année, les agences d’intérim, assaillies de sollicitations, ne parviennent pas toujours à honorer toutes les demandes.

Manque d’attractivité


Comme 350 autres responsables d’Ehpad de Pays de la Loire membres de la Fnadepa, un syndicat de directeurs, Xavier Relandeau et Philippe Caillon ont adressé en décembre 2017 un courrier aux parlementaires de la région, ainsi qu’à la ministre de la santé, Agnès Buzyn, pour alerter sur ces « graves difficultés de recrutement »« Trouver une infirmière ou une aide-soignante relève de la haute voltige en période de vacances », ont-ils mis en garde. « Les difficultés de recrutement, on les a tout au long de l’année, avec des pics pendant les vacances scolaires, où même les agences d’intérim n’y arrivent pas », abonde Véronique Boriello, qui dirige un Ehpad à La Garnache, en Vendée.

En l’absence de chiffres officiels, difficile de mesurer l’ampleur du problème, qui toucherait davantage les établissements situés en zones rurales. « Toutes les régions sont concernées et c’est un phénomène qui s’aggrave », assure au Monde la députée (LRM) Monique Ibora, co-auteure avec Caroline Fiat (LFI) d’un rapport sur la situation des Ehpad. Elle souligne que le taux d’absentéisme moyen chez les aides-soignantes est de 10 %, et le taux d’accident du travail deux fois supérieur à la moyenne nationale, plus important que dans le secteur du BTP. « Il y a une situation de tension, c’est assez régulier qu’on ait du mal à recruter des aides-soignants en Ehpad », confirme Jean-Pierre Riso, le président de la Fnadepa.

A l’origine de ce manque d’attractivité, on trouve pêle-mêle des salaires jugés trop faibles, des temps partiels et contraints, la pénibilité liée au manque de moyens, mais également une question d’image, jugent les représentants des directeurs de maison de retraite. « C’est une conséquence de “l’âgisme” dont est atteinte la société fraançaise », estime Pascal Champvert, le président de l’AD-PA, l’Association des directeurs au service des personnes âgées. « Le jeune diplômé est convaincu que seuls les mauvais viennent travailler pour les vieux, c’est pareil pour les directeurs et les infirmières », regrette-t-il, appelant l’Etat à « tenir un discours fort sur ce sujet ». « Si on augmente le nombre de professionnels, il y aura moins de problèmes. Car s’il y a plus de professionnels, il y aura moins de réticences à entrer. »

Au Bois-Hercé, à Nantes, Vanessa, une aide-soignante de 27 ans, multiplie délibérément les CDD depuis trois ans sur plusieurs établissements. Elle n’a pas postulé au poste en CDI proposé ici. « Je suis épuisée quand je rentre chez moi, je ne veux pas finir ma carrière comme ça, je vais changer de métier », explique-t-elle. En attendant, son CDD lui permet d’avoir les week-ends qu’elle souhaite. Les jeunes aides-soignantes « n’ont plus envie de travailler un week-end sur deux ou de travailler alternativement le matin ou le soir, elles font le choix d’être en intérim pour avoir les week-ends, les vacances… », confirme sa collègue Annick Rouillé, 54 ans, présente au Bois-Hercé depuis l’ouverture il y a vingt-huit ans.

Prise en charge des résidents « dégradée »


Dans certains établissements, cette différence de situations peut être source de tensions, car les titulaires n’ont pas le droit de poser leurs congés quand ils le souhaitent. Et côté salaire, « avec les primes de congés payés et de précarité, les intérimaires sont payés comme des agents avec vingt ans d’ancienneté », souligne M. Caillon. « Les intérimaires ont quasiment plus d’avantages que nous », soupire Andhrew, un aide-soignant de 51 ans, dont vingt-sept au Bois-Hercé. Ce qui l’énerve, alors que le travail est déjà « minuté », presque « à la chaîne », au moment de faire la toilette des résidents le matin, c’est de devoir former aussi fréquemment de nouvelles intérimaires, particulièrement en été.

D’un établissement à l’autre, les réponses au manque de candidats diffèrent. On assiste souvent à un phénomène de glissement de tâches. « Les postes vacants peuvent se retrouver comblés par des agents de service hospitalier (ASH) faisant fonction d’aides-soignants, constate-t-on à la Fédération hospitalière de France. Il n’y a pas forcément de postes vacants, les missions qui doivent être effectuées le sont au final. » « Dans un contexte où l’on manque déjà de personnel, cela ne fait qu’ajouter des difficultés aux difficultés », estime Pierre Rioux, qui dirige trois Ehpad dans la région de Rodez (Aveyron).

« Parfois, on n’a pas de solution, on dégrade la prise en charge de nos résidents, car on ne trouve personne, explique Michelle Santangeli, la directrice d’un établissement à Rognes (Bouches-du-Rhône), entre Aix-en-Provence et Avignon. Malgré les contacts dans les instituts de formation, nous n’arrivons pas à fidéliser les personnels qui en sortent. Dans un rayon de 30 kilomètres autour de nous, il y a 120 aides-soignantes qui sont formées tous les ans. On ne sait pas où elles vont. »

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