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mercredi 9 mai 2018

Alcoolisme féminin : «Je culpabilise, je me sens nulle, mais c’est vraiment trop dur»

Par Anaïs Moran — 
Aline dans sa chambre de l’hôpital Paul-Brousse.
Aline dans sa chambre de l’hôpital Paul-Brousse. 
Photo Stéphane Lagoutte



L’unité d’addictions féminines de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif) accueille des patientes qui, souvent par peur d’être jugées, ont eu du mal à faire la démarche de consulter.

La dernière fois, ça a duré dix jours. Dix longs jours de défonce solitaire à descendre les bouteilles de whisky jusqu’au coma éthylique. C’était au mois de janvier, Aline (1) avait consciencieusement verrouillé la porte d’entrée de son appartement et éteint son téléphone portable pour «s’abandonner à ses démons en paix». Puis le trou noir. «Je ne me souviens que de mon réveil, j’étais seule chez moi, ça tenait du miracle. J’aurais pu y rester. Cet épisode m’a transformée. Je me suis dit "plus jamais".»Aline a commencé à boire à 25 ans. Troubles dépressifs. «La fuite en avant est vite devenue incontrôlable. Je me suis bousillée. J’ai gâché une grande partie de ma vie.»Aujourd’hui, la cinquantaine passée, elle a décidé de «remporter la lutte» face à son alcoolisme en se faisant interner trois semaines dans le service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Une unité spécialisée dans les addictions féminines qui propose depuis 2001 des consultations médicales et psychiatriques ainsi que des hospitalisations en cas d’urgence, avec une attention particulière portée sur la période de la grossesse.

«Les femmes ont beaucoup de mal à passer le pas de notre porte, souligne Sarah Coscas, psychiatre du service. L’image qu’elles peuvent renvoyer aux autres les tracasse beaucoup, peu importe le milieu social dont elles sont issues. Elles se cachent car elles ont honte. C’est légitime parce que la société les juge : les femmes n’ont pas à boire ou si elles le font, c’est avec dignité, sans demander de l’aide aux médecins. Par conséquent, leur prise en charge s’opère beaucoup plus tard que pour les hommes.» Problème : les femmes assimilent nettement moins bien l’alcool que les hommes et souffrent plus rapidement (et intensément) de maladies telles que les cirrhoses et les cancers. 390 femmes consultent chaque année le service : elles représentent environ 30 % des consultations et entre 30 à 40 % de l’ensemble des hospitalisés (auxquels 18 lits sont dédiés).
Maeva (1), 27 ans, est enceinte de cinq mois. Et alcoolo-dépendante. Le week-end dernier, elle est sortie dans un bar seule et a commandé une bière, puis deux. Paniquée, elle appelle en urgence le docteur Coscas pour une consultation. «Je sais que vous pensez que je m’en fous, attaque la jeune femme. Je sais aussi que mon conjoint est très inquiet. J’ai mal de le voir comme ça. Je me sens nulle, je culpabilise, mais c’est vraiment trop difficile.» Maeva est suivie par les médecins de l’hôpital Paul-Brousse depuis le début de sa grossesse. A l’époque, la jeune femme consommait environ une demi-bouteille de vin et quatre bières par jour. «On va repasser à des rendez-vous hebdomadaires si cela vous rassure. Rappelez-vous que notre objectif est d’atteindre zéro verre, dit la psychiatre. Ne restez surtout pas fixée sur ces deux bières. Pensez à tous ces verres que vous n’avez pas bus, vous pouvez en être fière.»
Aline en consultation avec le docteur Coscas.
Aline en consultation avec le docteur Coscas.

Maeva est loin d’être un cas unique. Tous les mercredis, le docteur Coscas fait le tour de la maternité de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. «Les gens sont persuadés que lorsqu’une femme est enceinte, elle arrête tout simplement de boire. Ce n’est pas si facile, avertit la médecin. Certaines futures mères n’y parviendront jamais. Maeva si.»
Depuis trois ans, les spécialistes de Villejuif s’occupent également des addictions des adolescentes. Ils accueillent le temps d’une semaine des jeunes de 15 à 23 ans, peu nombreuses par rapport aux jeunes garçons. Margot (1), 18 ans, vient d’intégrer la structure. Ses premiers binge drinking (beuveries express) remontent à 2013. Elle était alors élève en classe de troisième. Alice Althabegoity, addictologue en charge de son dossier : «Margot séchait les cours pour aller boire des bières avec des amis dans des bars. Leur défi était d’ingurgiter le plus d’alcool possible en un temps record.» A 14 ans, la jeune fille consomme ses premiers purple drank (un mélange de soda et de codéine) avant de tester l’ecstasy et le cannabis. Début 2018, elle finit aux urgences après un épisode de délire paranoïaque sous LSD. «Les jeunes filles sont désormais dans la poly-consommation même si tout démarre généralement par une consommation aiguë d’alcool, explique le docteur Althabegoity. Toujours est-il que l’alcoolisme chez les femmes, qu’elles soient adultes ou ados, relève quasi systématiquement d’une fragilité psychologique liée à l’enfance.»
Lors du groupe de parole hebdomadaire (et non mixte) organisé par Sarah Coscas, les patientes finissent toujours par évoquer leur passé : les traumatismes de leur jeunesse, les atteintes sexuelles, les violences, les liens houleux avec leur mère. «L’alcool devient une échappatoire, résume le professeur Amine Benyamina, chef de l’unité psychiatrique. Les femmes adultes vont consommer de manière anxiolitique en se servant de l’alcool comme d’un traitement. Il y a cette idée d’auto-thérapie, mais toujours en cachette. Les ados, elles, vont s’exploser la tête devant tout le monde, faire la fête pour ne plus penser. Mais à l’origine, c’est toujours une problématique de mal-être et d’estime de soi qui les fait sombrer.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.

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